Par Arnaud Wyart
C’est désormais une habitude : chaque année depuis 2013, Laurent Garnier, sous son alias Jean Bon, et ses associés (Nicolas Galina et Arthur Durigon) définissent une programmation musicale, puis c’est toute une équipe qui s’active pour transformer le village de Lourmarin en “micro” festival. Un pari loin d’être gagné d’avance, d’autant plus que dès le début, la figure tutélaire de la techno a choisi une orientation “pop rock”, soit le contre-pied total.
Pour Arnaud Rebotini, qui connaît bien Laurent (depuis l’époque où il travaillait chez Rough Trade à Bastille) et le festival (il est déjà venu 3 fois), ce dernier brille justement par son décalage et une réelle proximité. « La plupart des festivals sont hyper formatés alors qu’ici, la programmation est vraiment géniale. En plus, ce sont des petites scènes. C’est idéal pour découvrir les artistes et rencontrer des gens. Personnellement, voir les gros groupes qui cartonnent sur d’énormes scènes, ça ne m’intéresse pas du tout. Après, c’est vrai que Laurent pourrait facilement organiser une rave ou un festival électro en passant quelques coups de téléphone, mais ça n’est pas du tout ce qu’il souhaite faire. Pour être honnête, c’est même étonnant que je joue (en live pour l’édition 2018, ndlr) », explique-t-il. Si l’on vient ici, c’est donc d’abord pour apprécier des artistes et des groupes pop rock pointus (Katerine, Chk Chk Chk, Chapelier fou, Zombie Zombie, Lescop, The Soft Moon ou WhoMadeWho, pour ne citer qu’eux), mais pas seulement : il y a toujours eu une place pour la musique électronique et les DJ’s (citons Etienne Jaumet, Ariel Wizman, Jacques, Dave Haslam ou Gilles Peterson). Depuis quelques éditions, certains artistes électro sont même têtes d’affiche et jouent le dimanche soir dans le château (cette année, ce sont les 2manyDJ’s qui s’y collaient). Résultat : le public peut trouver encore plus facilement son compte.
« Ici, tu vois des gens tout simplement heureux »
Un public qui se montre de plus en plus fidèle avec les années qui passent. Le sentiment d’appartenir un peu à une grande famille y est certainement pour quelque chose. En tout cas, une chose est sûre : Yeah est devenu aujourd’hui un rendez-vous incontournable, comme nous l’explique Scan X, proche de Laurent Garnier et qui fait de son mieux pour être présent (presque) à chaque fois (notamment pour animer des workshops dédiés à la production musicale). « Il faut savoir que beaucoup de gens venaient déjà – et de partout – pour séjourner dans la région. Alors presque naturellement, le festival s’est transformé en une sorte de réunion dans laquelle tout le monde se retrouve. Il arrive même souvent de croiser des personnes que tu n’as pas vues depuis 6 mois ou un an. C’est vraiment rare de voir autant de profils différents dans ce genre de lieu ».
Et quel lieu ! Le festival Yeah!, ne l’oublions pas, c’est avant tout un cadre idyllique (surtout à cette période de l’année) : le Luberon. Loin des hangars, de la foule déchaînée et des espaces sécurisés, règne ici un doux sentiment de liberté et de convivialité. Pendant la journée, les rues sont investies par la musique et le festival regorge d’activités : vente de vinyles, espace retro-gaming, dégustation de vin (le festival propose sa propre cuvée), conférences, tournois de pétanque, chasses au trésor, expositions photo, projections vidéo, tests de synthétiseurs et j’en passe. Le soir, c’est le château qui accueille les artistes, ainsi qu’un marché et des food trucks, au pied des oliveraies.
Niveau ambiance, on n’est pas loin de la colonie de vacances, ce qui n’est pas sans déplaire à Moustic. « C’est vrai que la démarche est différente. Ici, il y a une certaine offre (je n’aime pas dire ça), donc tu as un public qui correspond à tes choix, à ton état d’esprit. Ça change tout. En plus, il y a des enfants, des familles… Et des gens extraordinaires, comme un belge, très grand (tu ne peux pas le louper). Je ne le connais pas, mais il était déjà venu. Pendant que je mixais, je l’ai vu traverser la foule avec sa piscine de bières pour venir me saluer en souriant. Et c’est cela que je trouve génial dans ce festival : tu vois des gens tout simplement heureux. C’est vraiment le pied. J’ai un ami qui disait : « faire plaisir aux gens, c’est se faire plaisir et essayer d’être contagieux ». Nous tentons vraiment d’appliquer ce principe pendant les 3 jours », nous raconte l’ex-animateur du Groland. Vous ne le saviez en effet peut-être pas, mais Moustic est DJ et pas des moindres (grâce à Laurent Garnier avec qui une amitié s’est nouée lorsque celui-ci a composé le générique de Groland). À Lourmarin, il officie même depuis la toute première édition et ses sets sont toujours très attendus. Pour ses choix artistiques, Laurent Garnier fonctionne ainsi, à l’instinct, et les artistes le lui rendent bien.
« Ce qui est incroyable, en dehors du cadre, c’est que tu ne ressens aucun stress »
Un autre exemple avec Rone, qui pourtant ne connaissait Laurent Garnier que de loin, enfin avant que ne sorte Mirapolis en 2017. À partir de là, les choses se sont accélérées. Laurent est tombé sous le charme de l’album et a même remixé le titre éponyme. De là est né un nouveau lien et très vite, Rone s’est retrouvé invité à Lourmarin pour clôturer l’édition 2018. Un sacré challenge que l’artiste a su relever sans problème. « Je terminais une grosse semaine de tournée et c’était vraiment parfait de terminer ici. Je pense que l’inverse aurait été beaucoup moins cool. J’ai pu récupérer dans une chambre du château et, malgré un matériel considérablement réduit (à cause de la pluie, ndlr), être prêt pour mon live. Ce qui est incroyable ici, en dehors du cadre, c’est que tu ne ressens aucun stress. Ça fait toute la différence. Et puis l’ambiance est tellement géniale. Par contre, je ne vais pas te mentir, j’ai quand même senti une petite pression monter avant le concert. Mais c’est normal. Très franchement, je n’avais pas envie de décevoir le “papa” ». Celui-ci était justement sur le côté de la scène pour apprécier le final magistral d’un Rone en parfaite maîtrise, à l’image des trois jours. Et selon nos informations, l’édition 2019 est elle aussi un excellent cru… Un retour aux racines de la fête et une vision qui s’inscrivent désormais dans la durée. Yeah !