Xavier Veilhan, la French Touch de l’art contemporain

Écrit par Célia Laborie
Photo de couverture : ©Louis Canadas
Le 12.06.2023, à 18h40
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©Louis Canadas
Écrit par Célia Laborie
Photo de couverture : ©Louis Canadas
A l’occasion de la nouvelle exposition qui lui est consacrée du 2 juin au 29 juillet à la galerie Perrotin, Xavier Veilhan revient sur son parcours et ses liens avec la musique le temps d’un grand entretien.

C’est l’un des artistes contemporains français les plus connus au monde, l’un des plus prolifiques également. Connu pour ses sculptures d’animaux, ses performances intégrant des technologies de pointe et ses gigantesques installations en pleine nature, Xavier Veilhan explore la question de l’espace et du rôle du spectateur déambulant parmi ses œuvres. Exposé de Séoul à Versailles en passant par New York et le Centre Pompidou, il pose ses valises à la galerie Perrotin, à Paris, à partir du mois de juin. Tout au long de sa carrière, ce fan de Kraftwerk cultive une fascination pour les musiciens électroniques, au point de dessiner la pochette de l’album Pocket Symphony du groupe Air en 2007, et de réaliser une série de statues de producteurs de légende parmi lesquels Giorgio Moroder, les Daft Punk et les Neptunes. Que partagent les artistes contemporains et les musiciens électroniques ? Le monde policé des galeries peut-il communiquer avec la moiteur des dancefloors ? Nous avons posé ces questions à Xavier Veilhan, depuis son atelier parisien jonché de sculptures miniatures, de tableaux en fabrication et de vinyles de hip-hop américain.

À quoi ressemblera votre prochaine exposition, inaugurée au mois de juin à la galerie Perrotin ?

C’est un rendez-vous particulier, parce qu’il aura lieu dans la ville où je vis. Ce sera donc l’occasion de recevoir des gens, d’être là pendant toute la durée de l’exposition, ce qui est rarement le cas à l’étranger. J’ai intégré des meubles du designer Vico Magistretti, notamment des fauteuils reproduits dans une sculpture, qui servent à ce que les visiteurs puissent s’asseoir, pour qu’on puisse avoir une discussion. J’ai aussi développé une trentaine d’œuvres nouvelles, dont la principale est basée sur des marqueteries, des collages de facettes de bois basées sur des photos de sculptures, comme des puzzles en deux dimensions, qui donnent l’illusion de la troisième dimension. 

Votre prochaine exposition na pas encore de titre. Est-ce difficile de donner un nom à ses œuvres ?

Oui, c’est quelque chose qui m’occupe beaucoup – c’est peut-être une manière de ne pas m’occuper du reste. Parfois, je fais ça très vite, sans réfléchir, et il y a presque un côté psychanalytique, ou écriture automatique. Pour l’exposition à venir, j’ai pensé à Pictures of You, comme la très belle chanson de The Cure. Ça marche bien, parce que je présente des images de mes amis, des Parisiens qui ont posé pour moi et que je retrouverai dans la galerie. Pour les titres d’exposition, je m’inspire souvent du monde de la musique, comme quand j’ai titré une exposition à Shanghai Channel Orange, d’après l’album de Frank Ocean, ou quand j’ai carrément nommé une exposition new-yorkaise Music. Tout cela peut sembler arbitraire ou anecdotique, mais c’est relativement important. Avant, j’appelais souvent de mes œuvres Sans Titre, pour ne surtout pas déterminer la compréhension des spectateurs. Petit à petit, je me suis mouillé un peu plus. 

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Les références musicales sont très présentes tout au long de votre œuvre. À quand remontent vos premières émotions liées à la musique ?

Mes parents écoutaient du Brel et du Brassens, c’était assez ennuyeux. Adolescent, à la fin des années 1970, j’ai découvert le punk et le disco, ça a été extrêmement libérateur. À l’époque, l’accès à la musique était complètement différent, il y avait très peu de possibilités de rencontres. Quand ça marchait, c’était incroyable. On a assisté ensuite aux prémisses de la musique électronique et du hip-hop, c’était dingue. Il y avait Kraftwerk et James Brown, et Afrika Bambaataa est arrivé et a réuni les deux pour créer quelque chose de complètement nouveau.

C’était une atmosphère à la fois positive et nihiliste, qui nous intimait de nous amuser, même si tout semblait foutu

Xavier Veilhan

À quoi ressemblait le monde de la nuit tel que vous lavez connu en arrivant à Paris, au début des années 1980 ?

J’ai commencé à sortir quand je suis arrivé à Paris pour étudier en prépa puis aux Arts Déco. Je n’avais pas du tout d’argent, donc je participais à des jeux concours organisés par des radios libres pour avoir des invitations à des concerts et des fêtes. Il y avait un peu partout cette énergie venue du punk qui était assez belle, et nous disait qu’on pouvait faire les choses même si on ne savait pas les faire. C’était une atmosphère à la fois positive et nihiliste, qui nous intimait de nous amuser, même si tout semblait foutu. La meilleure boîte que j’aie connue, c’était un rade qui s’appelait Chez Roger Boîte Funk, boulevard de Strasbourg. Il faisait 50 degrés, il n’y avait que des shots à boire, le plafond était super bas, l’ambiance un peu claustrophobe, et des groupes jouaient en live. On allait aussi à la Main Jaune, l’Acid Rendez-vous… Quand je regardais autour de moi, je voyais Christophe Lemaire, Hedi Slimane, Véronique Leroy, des amis de NTM. Je ne savais pas encore si ça allait marcher pour moi, mais j’avais la certitude d’être dans le bon wagon.

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Vous avez commencé à fréquenter des clubs au moment où vous commenciez votre formation dartiste. Ces lieux ont-ils inspiré votre travail ? 

Oui, forcément. J’ai cette ambition d’arriver à une espèce de beauté presque physiologique, comme quand la musique nous saisit, nous donne des frissons, nous fait pleurer, nous fait danser plus qu’il ne le faut. Ce moment imparable et assez rare, ce tapis volant qui emporte toute la salle, c’est ce que j’essaye de recréer dans l’espace de l’exposition : un ensemble qui prenne les gens à bras le corps. 

J’ai cette ambition d’arriver à une espèce de beauté presque physiologique, comme quand la musique nous saisit, nous donne des frissons, nous fait pleurer.

Xavier Veilhan

Dans vos performances, vous collaborez souvent avec des compositeurs comme Air, Sébastien Tellier et même la pionnière de la musique électronique Eliane Radigue. En 2015, pour le Pavillon français de la Biennale de Venise, vous créez Studio Venezia, un studio denregistrement dans lequel des musiciens pouvaient se relayer librement pendant sept mois. Pourquoi cette volonté dintégrer la création musicale dans vos œuvres 

On associe souvent la musique à la performance, mais ce qui m’intéresse, c’est plutôt le travail effectué jusqu’au moment où on enregistre. Jusque dans les années 1960, on jouait, puis on enregistrait ce qu’on jouait. Aujourd’hui, le studio est devenu un véritable lieu de travail, notamment grâce aux créations de Stax Records, des artistes comme les Beach Boys et bien sûr les Pink Floyd. Aujourd’hui, la production fait presque tout dans certains morceaux. À la Biennale de Venise, j’ai voulu parler de ça, et faire se croiser le flux continu des visiteurs avec cet état très particulier du musicien en train de développer un morceau. Nous avons créé un studio avec une centaine d’instruments, un piano, un clavecin, des boîtes à rythmes, des Ondes Martenot, un synthé MS 30, une console EPI de 1974, un théorbe prêté par le musée de la Musique… Des musiciens baroques ont croisé Jennifer Cardini, Chassol, Chloé, Brian Eno, Lee Scratch Perry. Certains venaient avec une idée précise, d’autres tâtonnaient jusqu’à ce que quelque chose se passe, se cristallise. C’étaient les moments les plus intéressants. 

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Sagit-il aussi pour vous, dans ces moments, de satisfaire une forme de curiosité ?

Le statut d’artiste est parfois un peu artificiel, mais l’une de mes motivations, c’est de me mettre dans une position où je réalise certains rêves, comme celui de rencontrer les musiciens que j’admire le plus au monde. C’est une chance énorme. 

En 2015, vous avez exposé pour la première fois votre série Producteurs, composée de sculptures de certains des producteurs les plus célèbres au monde : les Daft Punk, Lee Scratch Perry, les Neptunes, Giorgio Moroder, Quincy Jones… En quoi ces personnages vous intéressent-ils ? 

À l’époque, je venais de finir une exposition au château de Versailles, pour laquelle j’avais réalisé des sculptures d’architectes célèbres. Je me suis rendu compte qu’on connaît souvent leurs bâtiments, mais rarement leur visage. Pour les producteurs, c’est pareil : des artistes comme Tony Visconti, qui a produit David Bowie, Giorgio Moroder ou Rick Rubin ont tous façonné un univers à une certaine époque. Comme des architectes, ils distillent des messages essentiels sans vraiment les incarner eux-mêmes. Je suis beaucoup plus intéressé par ces producteurs de studio que par la performance scénique. En l’espace de quelques années, ils ont créé un nuage abstrait dans lequel on a tous bercé en faisant nos courses, en écoutant la radio, en roulant en voiture. En les représentant dans des sculptures, j’ai voulu donner une forme à ce nuage abstrait. 

Les Producteurs sont des sculptures d’échelle et de matériaux variés, réalisées à partir de scans 3D, une technologie pour laquelle le modèle doit poser pendant au moins 45 minutes. Comment êtes-vous parvenu à convaincre ces artistes de participer au projet ?

Nous avons eu quelques échecs, mais très peu, finalement. On a pris notre temps pour identifier les personnes à qui parler pour s’ouvrir les bonnes portes. Avec, parfois, des coups de chance. Giorgio Moroder m’avait contacté quelque temps auparavant parce que son fils faisait des études artistiques, et qu’il voulait que je le prenne en stage – j’ai évidemment accepté, et ça nous a permis d’établir un contact. Quincy Jones avait un stagiaire français qui connaissait mon travail et l’a convaincu de participer. Il était très chaleureux, il n’arrivait pas à rester immobile pendant la séance de pose parce qu’il n’arrêtait pas de parler. Il racontait ses souvenirs de la France, à l’époque où elle était perçue comme une sorte d’Eldorado pour les artistes noirs américains. Le moment qui m’a le plus marqué, c’est la rencontre avec Lee Scratch Perry, qui est mon producteur préféré. Je lui avais apporté une bouteille de champagne un peu pourrie, trouvée à la gare à côté de chez lui. Il racontait n’importe quoi, mais c’était génial. Pour amorcer le dialogue, on m’avait conseillé de lui parler d’afro-futurisme, parce que ça l’intéresserait peut-être. Mais c’était au moment où Brad Pitt et Angelina venaient de se séparer, et il a passé son temps à improviser autour de ça, en chantant : « Brad Pitt, Angelina, Brad Pitt, Angelina »… Il fallait le suivre, il était dans un personnage de fou, mais je trouve sa fantaisie et son inventivité incroyables. 

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Comment avez-vous choisi les poses des artistes ?

Je leur ai demandé quelle était leur position signature, celle dans laquelle ils créaient. Rick Rubin, que j’ai rencontré dans sa villa à Malibu, m’a dit qu’il était souvent allongé avec un téléphone ou une tablette. Tony Visconti, lui, a tenu une posture d’Aïkido pendant 45 minutes. Les Daft Punk ont accepté de poser debout, sans casque, parce qu’ils venaient en tant que producteurs, et qu’ils n’ont jamais porté de masque pour aller en studio. 

Pensez-vous que les producteurs qui ont posé pour vous comprenaient votre démarche artistique ?

Ils ne comprennent pas forcément le résultat, mais ce sont souvent des personnes qui s’intéressent à ce qu’elles ne comprennent pas. 

Au quotidien, travaillez-vous en musique ? 

Dans mes ateliers, nous travaillons en équipe, donc ce n’est pas vraiment compatible. Mais à partir de 18 heures, j’allume souvent mon tourne-disque ou une enceinte Bluetooth. Je peux mettre du rock garage, du Snoop Dogg ou du hip-hop français plus contemporain. J’aime beaucoup Laylow, La Fève, Lala &ce et Alpha Wann. 

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Vous vous êtes intéressé à la place des architectes, à celle des producteurs. Pour vous, quel est le rôle social dun artiste contemporain, aujourdhui ? 

En ce moment, je réfléchis surtout à la façon dont je peux faire le moins de mal possible. Transmettre quelque chose, c’est d’abord moins polluer, éviter d’être le représentant d’une société patriarcale, essayer de vivre dans le capitalisme avec discernement. Au-delà de ça, en tant qu’artiste, je m’intéresse à la beauté. Je suis toujours dans la quête de solution à des questions par ce qu’on pourrait appeler l’harmonie, l’élégance, la pureté. Ça peut paraître ringard, mais il y a toujours une sorte de mystère là-dedans.

Xavier Veilhan, du 2 juin au 29 juillet à la galerie Perrotin (76 rue de Turenne, Paris 3)

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