Cet article est initialement paru dans le numéro #218 de Trax Magazine, disponible sur le store en ligne.
Pour un festival de musique, la scène est on ne peut plus classique. Sur cet espace de restauration champêtre, flanqué de deux scènes gigantesques, stands de burgers, corners végétariens et autres food trucks s’alignent devant les regards alléchés des festivaliers. Pourtant, en coulisses, les équipes jouent une partition tout à fait singulière. Frigos partagés, huile de friture recyclée, tri des déchets différencié, et, bien sûr, menus à l’unisson. Sur le food court du We Love Green plus encore qu’ailleurs, les équipes aux fourneaux se mettent en quatre pour composer avec l’environnement. Or, la cuisine éphémère porte en elle son lot de contraintes. « Même si le Bois de Vincennes, ce n’est pas Burning Man, c’est vrai que c’est plus compliqué de produire dans une cuisine qui n’est pas la nôtre », abondent Théophile Pourriat et Bertrand Grébaut du restaurant étoilé Septime – prix 2017 du développement durable, classé parmi les World’s 50 Best Restaurants – qui tenaient l’an dernier sur le festival le bar à vins Septime La Cave.
Face aux exigences du cahier des charges de We Love Green – un seuil d’empreinte carbone à ne pas dépasser, par exemple –, l’espace de repos réservé aux cuisiniers se métamorphose en véritable lieu d’entraide. « L’ambiance y est assez exceptionnelle, tout le monde s’échange des idées de recettes », s’enthousiasme Eva Jaurena, fondatrice d’Ernest. Pendant l’année, Ernest œuvre à la distribution de paniers de fruits et légumes aux populations en situation de précarité, celui-ci étant financé par un petit pourcentage prélevé sur les ventes de ses restaurants partenaires, mêlant solidarité et écologie. Et cela s’affiche également à la carte. Avec trois plats maximum, dont un obligatoirement végétarien, les menus sont soumis à des restrictions sur l’usage des produits animaux, coûteux en énergie. L’électricité, issue de panneaux solaires et de générateurs carburant à l’huile végétale recyclée, s’emploie donc avec parcimonie. Une injonction à la créativité, selon Eva. « Cela nous force à repenser notre carte avec des plats froids ou partiellement chauds, économes en ressources. C’est aussi ça notre métier. »
Menus réduits = moins de gaspi. Avec moins de produits à stocker, les restaurateurs font d’une pierre deux coups : ils gagnent en efficacité en réduisant les allers-retours en cuisine. « On va au plus simple : nos équipes sont formées à ne faire qu’un seul burger », explique Yves de Rochefort, agriculteur de légumes bio et céréales à Patay (Loiret) le reste de l’année, qui revêt le temps du festival sa toque de chef sur son stand. Autre priorité pour réduire les déchets : « Éviter les surplus inutiles. » Un système qui nécessite d’être sur le qui-vive, ce flux tendu obligeant parfois les restaurateurs à se réapprovisionner directement chez le producteur d’un jour sur l’autre – l’avantage des circuits courts – et à travailler d’arrache-pied. « Le samedi soir, quand on s’aperçoit qu’on n’a pas assez de produits pour le lendemain, le boulanger refait des buns, l’éleveur m’accueille chez lui à 2 heures du matin pour me refiler des steaks… On est solidaires entre producteurs et artisans », relève Yves. Enfin, les invendus sont récupérés en fin de festival par l’association Linkee puis redistribués via Emmaüs, Les Restos du cœur ou La Chorba. En 2018, près de 800 repas ont ainsi été fournis.
Mais l’impact environnemental des restaurateurs débute bien avant qu’ils n’entrent en cuisine, le respect de la chaîne du froid s’avérant gourmand en ressources. Pour y parer, le festival organise la tournée des restaurateurs de la région avec des camions réfrigérés mutualisés. Une fois sur le site, le moindre trajet est pensé pour limiter la consommation de carburant. Bertrand Grébaut et Théophile Pourriat se sont vite pris au jeu. « Sur chaque événement, il y a toujours des allers-retours avec le restaurant. Là, on ne circulait qu’en Uber green ou en scooter électrique. » « C’est un choix engagé qui a du sens », acquiesce Eva Jaurena d’Ernest, qui a dû s’adapter en apprenant son métier de restauratrice éphémère. Et se lever tôt. « On précuit nos frites le jour-même, à 6 heures du matin, puis on les refait frire dans la journée pour que la cuisson soit parfaite », révèle Yves. Une technique bien rodée qui n’empêche pas le restaurateur de s’imposer de nouveaux défis. « L’an dernier, c’était les glaces au lait fermier. Cette année, on va essayer de proposer des frites à base de patate douce et de panais. »
Et le goût dans tout ça ? La qualité des recettes est un « critère de sélection primordial » décrète Pascal Barbot, chef de l’Astrance (deux étoiles au Michelin). L’an dernier, il était président du jury de sélection des stands du festival. Compte tenu des critères culinaires et écologiques stricts de son cahier des charges, le chef ne cache pas son enthousiasme : « Je suis allé sur beaucoup de stands, le niveau était incroyable pour un festival et l’offre était très variée. J’ai eu des retours très positifs de la part de la presse et de festivaliers. » Dans son propre restaurant comme à We Love Green, la conclusion est la même : « La qualité n’est pas un frein pour le développement durable, ça peut marcher ensemble. » Que les dieux de la baguette saucisse-moutarde l’entendent.
Pour s’inscrire à l’édition 2019 du festival en tant que restaurateur, c’est par ici.