Vente de catalogues : la musique est-elle devenue un produit financier comme un autre ?

Écrit par Célia Laborie
Photo de couverture : ©Alex Tormos
Le 14.02.2023, à 10h34
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©Alex Tormos
Écrit par Célia Laborie
Photo de couverture : ©Alex Tormos
Bruce Springsteen, David Guetta, Bob Dylan… De plus en plus d’artistes de  renommée mondiale vendent leur catalogue à des fonds d’investissements, dans le  but de faire fructifier leur œuvre avant qu’elle ne tombe dans le domaine public. Que  ces rachats nous disent-ils de l’évolution économique de l’industrie musicale ?  

Le phénomène ne concerne plus seulement les vétérans du rock à la papa. Au mois de  septembre, le rappeur d’Atlanta Future vendait une partie de son catalogue d’édition pour  une somme à huit chiffres à la société Influence Media Partners. En 2021, David Guetta  cédait l’intégralité de ses morceaux à Warner Music – un deal évalué à 100 millions de  dollars. Avant eux, Bob Dylan, Bruce Springsteen et Sting ont déjà vendu leurs œuvres à  des labels ou à des fonds d’investissement. Pourquoi ce phénomène prend-t-il tant  d’ampleur aujourd’hui ? Et surtout, est-ce l’avenir du financement de l’industrie musicale ?  Si, depuis 2018, des fonds d’investissement comme Primary Wave ou Iconic Artists Group  ont commencé à acheter pour des centaines de millions de dollars des catalogues entiers,  c’est parce qu’ils considèrent que ces morceaux sont entrés dans l’histoire, et continueront  à être écoutés par des millions de personnes d’ici 20 ou 30 ans. Ces fonds vendent des  actions à des grandes entreprises, et servent leurs actionnaires en dividendes, grâce aux  revenus générés par les streams de ces catalogues à travers le monde. Selon l’Américain  Merck Mercuriadis, créateur d’Hipgnosis, l’un des acteurs les plus puissants du secteur, un  titre comme Born to be Wild rapporte plus de 300 000 dollars chaque année depuis 53  ans, et constitue donc un investissement des plus sûrs.

La musique, un « actif rentable » 

Pour Maximilien Jazani, avocat conseil spécialiste des droits dans l’industrie musicale,  cette financiarisation est liée à l’avènement du numérique. « L’arrivée du digital a permis  une sécurisation du circuit financier de la musique enregistrée. Quand on sort un titre sur  Spotify, on le fait dans le monde entier instantanément. Il y a désormais un marché global,  la distribution et le flux de revenus sont beaucoup plus fluides, sécurisés et réguliers. Les  opérateurs qui investissaient dans l’immobilier ou les matières premières se rendent  comptent que la musique est un actif particulièrement rentable, qui ne demande pas de  coûts d’entretien ou de rénovation », résume le juriste qui a notamment assisté David  Guetta dans la négociation de la vente de son back-catalogue de masters. Alors, la  musique est-elle devenue un produit financier comme un autre ? Pour ses défenseurs, la  financiarisation permet une ouverture à la concurrence, dans un monde où trois majors  dominent désormais le marché. Mais quelles sont les conséquences sur les artistes  émergents, dont le catalogue n’a aucune chance d’intéresser les investisseurs ? 

Comme dans l’art contemporain 

Le modèle « star system », basé sur une promotion massive d’une faible part de la  production musicale, n’a pas été remis en question par le numérique, et semble même  avoir été renforcé, puisqu’il porte toujours ses fruits en termes de rentabilité. « De  nombreux catalogues constitués au 20e siècle ont pris au fil des ans des valeurs folles, et  constituent désormais un investissement, un peu comme dans l’art contemporain »,  remarque Cyrille Bonin, membre de l’association culturelle Arty Farty et directeur de la salle de concerts indépendante le Transbordeur, près de Lyon. Pour l’ancien producteur  de musique, on opère aujourd’hui un grand écart, entre des mastodontes aux catalogues  toujours plus valorisés, et des jeunes artistes pour lesquels il est toujours plus difficile de  sortir leur épingle du jeu. « L’offre musicale est aujourd’hui plus importante, et l’accès aux  moyens de production et de distribution s’est considérablement élargi. Pourtant, on  retrouve toujours les mêmes noms en tête des grands festivals en France. Il est difficile de  se faire remarquer, d’autant que la visibilité de la musique sur les plateformes dépend  désormais d’algorithmes aux règles opaques », déplore le directeur de salle.  

La place à donner au live

Les radios, remplacées par les plateformes de streaming, ne sont plus les premiers  prescripteurs en termes de nouveautés musicales. Mais comme dans l’art contemporain,  justement, c’est aussi aux lieux de curation et aux médias indépendants que revient la  mise en valeur de la création émergente. Selon Cyrille Bodin, « en France, grâce à un  réseau solide de clubs, de SMAC et de salles de concert, le live a encore une place  importante à jouer dans la promotion de nouveaux artistes » – ceux qui n’ont pas encore  leur place dans les grands festivals ou dans les Zéniths, mais font toute la diversité de la  scène française. Cette saison, le Transbordeur a d’ailleurs programmé le phénomène  techno I Hate Models, la soirée façon années 2000 La Darude et un live électro  acoustique du Bordelais Mezerg

Pour sortir son épingle du jeu dans ce contexte, les artistes émergents doivent donc  apprendre à se mettre en avant via le live, en entrant en contact avec des réseaux de  programmation et de booking, mais aussi valoriser leur présence sur le net, en s’initiant à  la communication digitale. Il est devenu essentiel de travailler son image en ligne, de  chercher à apparaître sur les playlists influentes des plateformes de streaming, et surtout  de tenter connaître son audience pour mieux cibler leurs campagnes de communication.

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