Cet article est initialement paru dans le magazine Trax #206.
Une soirée The Night Day est organisée le 30 mars prochain au 142, rue Montmartre à Paris. Une plongée en immersion dans les nuits sans fin de Keffer.
The Night Day
« The Night Day, c’est une série que je ferais à vie. J’en suis venu à acheter un appareil photo parce que j’en avais besoin pour prendre des clichés de mes pochoirs dans la rue. Puis en 2006, j’ai pris la première fois mon appareil pour une Super Nature de Sylvie Chateigner chez Maxim’s. Je ne sais pas pourquoi mais j’en ai tiré une série qui a remporté un prix. Sylvie m’a présenté Bruno et Brice du WAD, et ma carrière photo est partie comme ça. Je suis complètement autodidacte, un peu comme Jean Pigozzi, un homme d’affaires qui shoote sa vie. Il faisait ça dans les backstages avec Mick Jagger, moi, j’ai fait ça dans les backstages avec Asap Rocky. L’intention a toujours été de sortir et après, éventuellement, de faire des photos. J’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes au bon moment qui m’ont permis d’accéder à des clubs, et à découvrir ce monde vraiment de l’intérieur. J’ai plusieurs grilles de lecture de la nuit : je sors d’abord pour être avec les potes et pour la musique. Si je peux faire des photos et que je marre, c’est cool. Et même si je me fais chier dans un club, je shoote et ça me fait marrer. Au final, je me marre tout le temps. »
Les femmes à moitié nues
« On me demande souvent : comment tu arrives à prendre toutes ces femmes en photo la nuit ? Je réponds toujours : parce que j’ai demandé. Je ne sais pas pour quelle raison elles le font et je ne veux pas savoir. Je suis là pour shooter l’instant et ce qu’elles veulent donner à ce moment. La désinhibition des femmes sur les photos vient avec la mienne. Ça va dans les deux sens. C’est vrai que les photographes ont un pouvoir sur les gens, en particulier sur les nanas, en particulier la nuit, en particulier quand elles ont bu, mais j’utilise ce créneau pour shooter, jamais pour autre chose. Les gens ne se sentent pas inquiets avec moi. Il doit y avoir trois personnes en dix ans qui m’ont demandé de retirer des photos. Je pense qu’il y a un truc que je reflète qui m’a permis de faire tout ça, quelque chose de cool, que je n’ai jamais cherché à comprendre. »
Les inconnus
« Je ne me considère pas comme un photographe, je suis un mec qui fait des photos. Les vrais photographes ont appris à l’école à avoir cette distance avec leurs modèles. Moi, j’essaye d’être dans le même état que les personnes que je shoote, même s’il n’y a pas forcément besoin de drogue ou d’alcool. On peut être grisé juste par une ambiance et là, il n’y a pas de retenue au moment de shooter. Mais je me suis déjà fait menacer ou casser mon appareil. C’est dur d’expliquer à un mec que tu viens de faire une photo cool et qu’il est dessus, alors qu’il est dans une situation pas du tout confortable, où il n’est pas forcément beau. DJ Rork, qui est photographe à l’origine, m’a toujours dit : « Peu importe ce qu’il va se passer après la photo, si tu penses qu’il faut la faire, fais-la. » »
Les stars
« Frédéric Taddeï, qui a fait la préface, m’a fait repenser tout le livre. La première sélection était trop centrée sur un who’s who de DJ’s, au lieu d’avoir l’essence même de la nuit, les gens dans la globalité, connus ou pas. Il y avait trop de personnes en train de poser, alors que mon truc, c’est justement l’inverse. Mes modèles, ça a toujours été les gens autour de la fête, ceux qui la font et ceux qui en profitent. J’ai refait une sélection qui s’est avérée plus honnête et plus représentative de tout ce que j’ai fait depuis dix ans. Il y a des stars, mais on ne voit pas Brodinski derrière des platines. On le voit habillé pour Halloween, en train de mixer avec une bouteille de Badoit dans le slip et une perruque. Si tu ne fais pas gaffe, tu ne sais même pas que c’est lui. Pareil, j’ai Diplo est en train de faire le con sur scène, mais je suis sur lui, dans une position quasi intime, le shooter à 10 mètres n’a aucun intérêt. Je me suis recentré sur cette ambiance, celle de mes nuits, celle où tout est possible, et où tout finit par arriver. »
The Night Day, de Keffer (éditions Drago, 200 pages, 139 photos, et une préface de Frédéric Taddeï), 50€, avec une compilation (digitale ou vinyle) incluant des titres de DJ Deep, Chassol, Jackson (And His Computer Band), Ichon & Myth Syzer ou Acid Washed.