Dans l’histoire du gaming, le 26 septembre 1986 – date de sortie du mythique Castlevania sur NES et bornes d’arcades – a fait l’effet d’un véritable cataclysme. 20 épisodes plus tard, certains ne s’en sont toujours pas remis. Le compositeur de Zwandania – dont le titre s’inspire explicitement du chef-d’oeuvre créé par les studios Konami – en fait partie.
Derrière cet étrange vinyle au design digne des plus belles cartouches de Nintendo 64, se trouvent un musicien nantais de 38 ans – Emmanuel Visée, alias Amime – et l’illustrateur de BD Adrien Thiot-Rader. Le concept : réaliser un album inspiré par l’univers d’un jeu vidéo fictif inventé pour l’occasion. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le tandem a poussé le concept jusqu’au bout. Au point d’être programmé pour un “jeu vidéo-concert” au festival Scopitone le 14 septembre prochain.
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Bons baisers de Zwandania
Tout commence au célèbre festival de BD d’Angoulême. Adrien y tient alors un stand pour sa maison d’édition associative, Polystyrène. Au même moment, Emmanuel, fan de grunge et de retrogaming reconverti dans la musique électronique cherche un illustrateur pour réaliser le livret, la pochette et les goodies de son premier disque. C’est le coup de foudre. « Il avait les mêmes références que moi, un scénario très précis, débordait d’idées et savait exactement ce qu’il voulait faire », se remémore Adrien. Dès lors, le défi consiste à tempérer les ardeurs d’Emmanuel en distinguant le réalisable du fantasme. D’une BD de 20 pages, l’on passe à 8, impliquant de densifier l’histoire en sélectionnant ses moments les plus intenses.
Cette aventure, en voici la trame. Le personnage Zwandania – qui tire à la fois son nom de Castlevania et de Zwan (groupe de rock alternatif fondé par Billy Corgan à la suite du split des Smashing Pumpkins) – se rend dans un village accompagnée d’une fée. Découvrant que le maire de la ville a contaminé l’eau du puits, transformant du même coup les habitants en zombies, l’héroïne part à sa poursuite et, après plusieurs péripéties marquées par un penchant certain pour la décapitation, le retrouve pour un épique combat final. « Le déroulé standard d’un jeu vidéo à l’ancienne » sur lequel, tient à souligner Emmanuel, se greffe un message écologique bienvenu en cette sixième extinction de masse.
Le diable est dans les détails
Le projet Zwandania, au-delà du simple clin d’oeil aux nostalgiques de la Gamecube, se veut une oeuvre complète. En marge d’une histoire magnifiquement illustrée par Adrien Thiot-Rader, un foisonnement de petits détails font de la rencontre avec cette œuvre une expérience totale. On a bel et bien ici affaire à ce qu’Emmanuel appelle un « disque ludique », où foisonnent easter eggs (éléments cachés, en langage geek) et appels de phares aux fanatiques de consoles vintage.
Outre le visuel rappelant tout autant Castlevania que Zelda 3, qui figure également au panthéon personnel d’Emmanuel, le disque est signé “Konamco”. Encore une référence aux studios Konami, déjà cités plus haut, mais aussi à NAMCO, qui a développé les saga Tekken, Pac-Man et Soul Calibur. La BD, explique le duo, regorge quant à elle de références aux classiques du genre. Sans parler du faux code-barre reprenant le logo de Space Invaders, un petit Mario s’est également glissé dans l’une des pages. Côté goodies, on est servi avec, pêle-mêle, une carte holographique à coller sur la face arrière de la pochette, la carte du jeu imprimée à l’intérieur ainsi qu’un ex libris muni d’un calque permettant de révéler une image secrète. « Si tu savais toutes les idées qu’on a eu… Il ne faut pas tout révéler », s’amuse Emmanuel, enjoignant le public à explorer l’objet sous tous les angles. Et même à relire plusieurs fois la BD pour en découvrir tous les secrets.
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L’art du chiptune
Cette BD, « il faut la lire en même temps que l’on écoute le disque » qui, musicalement, prend la forme d’une série de petits bijoux 8-bit ou, comme aime à le préciser Emmanuel, chiptune. Signifiant littéralement “mélodie de puce informatique”. Également appelé bitpop, le terme désigne un style de musique composé ou inspiré des sons générés par les consoles de jeu dans les années 80 et 90. Des sonorités volontairement artificielles et “cheap” qui, utilisées aujourd’hui, rappellent l’âge d’or des bornes d’arcades et de la Game Boy Advance.
Délaissant les petites bulles et onomatopées de la BD classique, le duo « a préféré laisser l’image et la musique parler » en réalisant « un album complètement muet », ajoute Adrien. Composés « en autarcie » à l’aide de synthés pour enfants et d’une douzaine de “Pocket Operators” Teenage Engineering, chacun des morceaux qui le composent correspond à un niveau du jeu… Jusqu’au jingle d’allumage de la console. Un jusqu’au-boutisme pensé « pour simuler un vrai jeu vidéo en audio ».
Vers le live-gaming
En définitive, s’il manque quelque chose à Zwandania, c’est l’étape ultime, la concrétisation finale, à savoir la création d’un véritable jeu en chair et en bits. Un rêve qu’Emmanuel et Adrien caressent pour l’avenir. « J’ai toujours l’espoir de le réaliser et, même si ça a l’air très compliqué, j’espère que que ça pourra intéresser quelqu’un », confie le musicien. De son côté, Adrien évoque des tentatives avortées et le refus de certains studios devant, entre autres raisons, l’absence d’un apport financier suffisant. « On s’est pris un vent, mais on a beaucoup appris sur la partie conception », résume-t-il. Nintendo, Konami, Blizzard, qu’attendez-vous ?
Le duo ne compte toutefois pas en rester là, et adaptera Zwandania en live à Nantes à l’occasion du festival Scopitone. « Pour ce premier concert, il y aura des vidéos reprenant le visuel de la BD synchronisées en fonction de chaque niveau/morceau », annonce Emmanuel, qui espère entamer une tournée des festivals de musique, mais aussi les salons de gaming. « Je vais intégrer pas mal d’instruments acoustiques, comme le Theremin ou la scie musicale, car les Pocket operators sont assez fragiles. Entre chaque niveau, la map s’affichera pour marquer la progression à l’intérieur de l’album. Ce sera un vrai “jeu-vidéo concert”. » Un format qui rappelle Zone W/O People, le projet des artistes Oklou et Krampf mêlant jeu vidéo et ciné-concert.
Pressé à seulement 200 exemplaires, cette première sortie du label AmimeRecords peut être téléchargée sur Bandcamp et reste disponible en vinyle chez quelques disquaires nantais, mais aussi en exclusivité aux Balades Sonores à Paris. Face à l’engouement, ce dernier en a d’ailleurs recommandé une dizaine. La chasse est ouverte.