Tribune : “Les forces de l’ordre nous poussent à courir des risques pour simplement danser sur de la techno”

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Mariana Vásquez Matamoros
Le 26.09.2018, à 13h28
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©Mariana Vásquez Matamoros
Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Mariana Vásquez Matamoros
Le dernier week-end de l’été, les 15 et 16 septembre, s’annonçait haut en couleurs tant les propositions de clubbing abondaient. Manu Le Malin en prolongement de la Fête de l’Huma, Virginia en témoin de la rencontre du Centre National de la Danse avec celui des Arts Plastiques, les collectifs Fée Croquer, Possession et RAW occupant à tour de rôle le même entrepôt du Blanc-Mesnil… Un week-end qui avait tout d’une apothéose, mais qui a vu chacun de ces événements perturbés voire annulés, du fait notamment d’un regain d’activité des forces de l’ordre envers ceux-ci. Trax publie ici une tribune rédigée par les membres du collectif Possession François Peyroux, Mathilda Meerschart, Anne-Claire Gallet, ainsi que par Valentin Morize de Raw, Jakob Saulière de Fée Croquer, et le DJ Lorenzo Lacchesi.


Si l’annulation de la dernière nuit d’Humacumba semble être d’origine structurelle – le lieu ayant été victime de son succès – il est en revanche étonnant de constater que la soirée CND x CNAP a dû changer de lieu au dernier moment, n’étant pas autorisée à se tenir dans les locaux-mêmes du CNAP. Quant aux deux nuits Fée Croquer et Possession x RAW, le scénario aura été le même : une arrivée surprise de la police quelques heures avant le coup d’envoi pour stopper le montage et faire cesser le travail des équipes concernées sans fournir la moindre explication, rien qui permette de comprendre ni même de dialoguer.

Depuis le début des années 2010, une nouvelle vague techno déferle sur l’Europe et la France – Dieu merci – n’y échappe pas. Il est aujourd’hui manifeste que Paris, depuis quelques années, a vu son dynamisme nocturne reprendre du galon et sa diversité, sa créativité dans la fête et les manières de faire la fête s’épanouir et se ramifier, s’étendre toujours plus, comme on est en droit de l’attendre de la part d’une capitale internationale, d’une ville qui se veut motrice, influente, désirable et qui affiche une ambition culturelle et avant-gardiste d’une envergure toujours plus grande. Dans tous ces domaines l’expansion de la techno a tenu une place prépondérante, ces dernières années. Elle a été et continue plus que jamais d’être au centre, au premier plan de l’innovation nocturne, scénique, artistique, dépassant les simples cadres du divertissement, pouvant s’exprimer d’une infinité de manières er dans une infinité de lieux.

« Arrivera-t-il enfin ce jour où nous pourrons mettre pleinement en œuvre notre volonté d’être des acteurs de la Cité et non des ennemis des pouvoirs publics ? »

Au lendemain de la célébration de la vingtième édition de la Techno Parade, dont la création fut d’après les mots de Jack Lang l’ « acte de fondation de la culture techno, […] ressenti pas seulement par les jeunes mais par toutes les générations », il ne semble donc pas superflu de rappeler que les événements que nous organisons, non contents de générer du désir et de la fidélité de la part d’un public, constituent avant toute chose une réponse aux attentes de celui-ci. Combien de dizaines de milliers sont-ils à avoir dansé à l’air libre, à s’être aimés à l’abri d’un hangar, à s’être à la fois éloignés et rapprochés d’eux-mêmes dans la pénombre d’une friche ? Combien de dizaines de milliers à s’être mélangés sous nos bannières ? De Paris, d’Île-de-France, du pays tout entier, d’Europe ou du monde, tous âges, corps, apparences, personnalités, désirs et questionnements confondus… Tous accueillis par nous.

Que penser lorsque les forces de l’ordre mettent les moyens qui sont les leurs au service du piétinement de ce que nous appelons liberté ? Que penser lorsque les forces de l’ordre sèment le désordre dans les esprits et poussent les plus téméraires à courir des risques pour avoir simplement le droit de faire la fête, d’écouter de la techno, de danser sur de la techno, de s’aimer sur de la techno, et d’envoyer valser les anxiolytiques que le monde normatif tente chaque jour de nous faire avaler ? Quand l’infantilisation de nos collectifs, la diabolisation de notre activité, sa stigmatisation toujours négative, culpabilisante, accusatrice de tous les maux cessera-t-elle pour de bon ? Arrivera-t-il enfin ce jour où nous pourrons mettre pleinement en œuvre notre volonté d’être des acteurs de la Cité et non des ennemis des pouvoirs publics ?

Au vide et à la désertion nous avons à cœur de répondre par la Vie et l’animation, nocturnes aussi bien que diurnes, nos velléités et compétences ne s’arrêtant pas aux seules soirées festives, loin de là ! Nous ne demandons qu’à réfléchir ensemble aux mille et une manières d’habiter et de redéfinir les espaces – urbains, périurbains, ruraux – qui à ce jour sont la proie de l’abandon et du néant. Il ne tient qu’aux pouvoirs publics de nous accorder un droit d’action, d’organisation et de peuplement de tels espaces (ERP) ; il ne tient qu’à eux de nous accorder un peu de confiance. Nous existons déjà et existerons toujours. Que l’on nous accorde les moyens d’ÊTRE.

La culture techno dont nous nous réclamons cherche à dialoguer, à ouvrir, à créer, sans relâche. À découvrir et donner à entendre – aux oreilles comme à l’entendement – autant d’acceptions, de redéfinitions et de réinventions perpétuelles de ce que faire la fête signifie. FAIRE la fête, à savoir s’amuser mais aussi imprimer son être à la fête, avoir un impact sur celle-ci, une action significative, de sorte que les barrières, frontières, empêchements, plafonds et cloisons invisibles qui se rencontrent et se vivent au quotidien aient bon espoir de disparaître, fût-ce de manière éphémère. Autrement dit : VIVRE.

Si l’été est aujourd’hui bel et bien fini, nous gardons tous à l’esprit que la fête, elle, est infinie.

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