Tribune : « Les politiques urbaines ont fini par “domestiquer” les milieux alternatifs »

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©D.R.
Le 03.04.2020, à 11h04
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Comment les acteurs des musiques électroniques, et plus largement de la culture, peuvent-ils repenser une véritable contre-culture qui soit responsable écologiquement comme socialement, et ainsi développer une culture environnementale et engagée ? Comment cette période de pandémie peut-elle permettre de replacer la culture et l’éducation au centre d’un jeu auquel elles sont indispensables ?

Tribune signée par Kevin Ringeval, producteur des nuits 3672*, ex-directeur et fondateur de l’Aérosol, et membre du conseil d’administration de Technopol

LA FÊTE D’APRÈS

Dans les années 60, la conscience écologique débarque sur les démocraties industrialisées et bouscule, par la même occasion, la culture de masse. C’est la naissance de la contre-culture.

Le dérèglement climatique, la pollution et l’épuisement des ressources naturelles menacent l’humanité et la planète dans son ensemble. Nous en voyons les effets avec le Covid-19 en ce moment même. Le progrès, conçu comme croissance exponentielle, lutte contre la nature et l’extirpation de ses richesses. Celui-ci montre de plus en plus ses limites et enfonce les sociétés dans une fuite en avant insoutenable, un développement inégal entre nations, ainsi qu’une inégalité sociale génératrice d’exclusion et de marginalisation.

Nous sommes en guerre

Nous sommes en guerre, notre président nous l’a dit. Dans les années 60 et au début des années 70, aux États-Unis, en opposition à la guerre du Vietnam, naît le mouvement hippie. Il est l’antithèse de la culture dominante à tous niveaux. Celle-ci se caractérise entre autres par l’inversion des normes et des valeurs de la culture de masse, afin d’inventer un courant culturel par lequel on pense le monde ensemble. En novembre 1989, quelques décennies après la Seconde Guerre mondiale, le mur de Berlin tombe et permet à la future capitale de l’Allemagne de ne former plus qu’une seule ville, réunie. Au même moment émerge une nouvelle musique électronique prenant le nom de techno, point de départ d’une véritable contre-culture.

À ses débuts, la techno exprimait la liberté, mais aussi la révolte. Les fêtes illégales annonçaient l’idée qu’un monde nouveau était sur le point d’arriver. Les nuits s’organisaient dans bon nombre de lieux désaffectés de Berlin. Les fêtes techno underground fleurissaient et une scène rave commençait à s’y établir. Durant ces rassemblements, s’exprimait de manière sous-jacente ce fantasme de l’abolition de la lutte des classes. Cela dura quelques années, avant d’être avalé et écrasé par l’industrie musicale et celle du tourisme…

Nous sommes en guerre et nous voulons en sortir. Nous sommes en guerre contre un néolibéralisme qui détruit notre monde et nos espaces de vie.

Penser collectivement au monde de demain

Aujourd’hui en 2020, nous pouvons mesurer comment les politiques urbaines ont fini par “domestiquer” les milieux alternatifs. Les espaces de contre-culture n’existent quasiment plus, même si des réflexions importantes et nécessaires naissent dans les warehouse autour du consentement, du féminisme et des modes de consommations de drogues. Bon nombre de collectifs réfléchissent également à leur impact environnemental lors de l’organisation de fêtes. Demain, c’est l’ensemble du monde de la fête qu’il va falloir rendre plus intelligent. Pour cela, nous devrons mutualiser, sortir du consumérisme de la culture et imposer une vision, une économie de partage.

Les fêtes “électroniques” peuvent-elles être de nouveau génératrices d’idées ? Se redessiner demain autour d’un militantisme éthique et environnemental, relatif donc à la protection de notre environnement ? Comment nous, acteurs de la nuit en tout genre, et la diversité de notre public, allons-nous faire corps face au musellement de l’expression artistique qu’imposent progressivement nos pouvoirs ? La “teuf” est un vecteur de rassemblement extrêmement fort, qui transcende les sensibilités politiques et les frontières. Elle crée un espace de liberté où l’on peut rêver notre monde, exigeant désormais de nous que nous réfléchissions collectivement à la façon dont nous souhaitons l’habiter en dansant.

La culture est un service répondant aux besoins essentiels de la population. Commençons à repenser les choses ENSEMBLE, dès maintenant, ICI !

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