Par David Blot
Cet article a initialement été publié dans le n°191 de Trax, encore disponible sur le store en ligne.
Film, exposition, livre, documentaire, on n’en finit plus de disséquer la French Touch 90’s. Mais on ne peut pas bien comprendre la rupture qu’elle représenta dans le paysage musical tricolore, si l’on n’explique pas le contexte dans lequel elle est apparue. Celui d’un désert musical d’un pays arriéré, bloqué sur la médiocrité de sa variété française. D’un pays qui jamais n’intéressait le reste du monde occidental si ce n’est pour se moquer de ce bizarre “Johnny Halliday“. Il suffisait de faire un séjour en Angleterre, même une après-midi, pour se taper une honte pas possible face à l’intensité médiatique et musicale de l’île.
Oui, la France d’avant les années 90 était terriblement ringarde. Dur à imaginer aujourd’hui, où l’on redécouvre des petites pépites de new wave ou de funk boogie frenchy 80’s. Où l’on se repasse les bandes-sons de François de Roubaix. Où l’on s’excite sur la scène pop punk, de Marie et les Garçons à Elli et Jacno en passant par Taxi Girl. Où l’on n’en finit pas d’exhumer des précurseurs techno français, Bernard Szajner ici, Christian Zanesi là. Et où l’on imagine des liens entre les princes disco que furent Jarre, Cerrone ou Morali. La réalité était pourtant tout autre. La France des années 80 c’était 1) Jean-Jacques Goldman 2) Téléphone 3) Indochine. Je vous fais grâce des “Danses du Canard” et autres “Viens boire un Petit Coup à la Maison”. Au mieux, Rita Mitsouko, Lio ou Etienne Daho. Personne ne parlait de De Roubaix. Tout le monde rigolait encore de Jean-Michel Jarre (et il y avait de quoi). Et aucun Kas Product dans le top 50. Goldman c’était notre Springsteen, Téléphone nos Stones, et Indochine nos New Order. Au secours.
Le truc c’est qu’il n’y avait pas internet. Je sais, c’est con à dire, mais le jeune ado se retrouvait à la merci des rares médias disponibles. Les Inrockuptibles alors bimestriel, un Rock & Folk vieillissant, et des papiers dans Libération. À la radio, Bernard Lenoir et quelques FM (Nova bien sûr, La Voix du lézard à Paris). À la télé, Les Enfants du Rock. Et c’est tout. Le reste, des fanzines et du temps libre, pas de blog, pas de compte SoundCloud ou de découverte Bandcamp. L’information circulait peu. Impossible, à moins d’être disquaire chez New Rose ou Champs Disques, d’écouter tous ces artistes qui peuplent aujourd’hui les compilations de « underground french of the 80’s ».
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Inutile de vous dire que dans ce contexte, l’arrivée de la house et de la techno à la fin des années 80 prit un retard considérable. Certes, il y avait UNE exception, mais une de ces exceptions qui confirment les règles : Laurent Garnier, le seul DJ de qualité en France, et le seul qui traversait un peu les frontières, le seul qu’on retrouvait dans ces line-up de festivals anglais qui nous faisaient baver d’envie – vous ne pouvez pas imaginer, gâtés que vous êtes aujourd’hui avec vos 531 festivals d’été aux programmes bétons. À l’époque, à part les Transmusicales de Rennes, que tchi.
Alors, quand, vers 93-94, le DJ gourou new-yorkais Tony Humphries plaça St Germain dans ses playlists, quand les Daft Punk naissants signèrent sur le label écossais Soma, ou quand la Funk Mob sortait un maxi sur Mo’Wax remixé par Carl Craig et Richie Hawtin, c’était du jamais vu. Et les français furent les derniers à y croire. Quoi ? Comment ? Pardon ? Des Anglais s’intéressent à nous ? Et bientôt le monde entier. C’est ce qui a changé. Juste ça. Et ça ne s’est jamais arrêté depuis. Peu importent les oppositions – French Touch 1.0 ou 4.0, électro Pulp ou house Respect, Ed Banger ou Antinote, Pépé Bradock ou David Guetta –, depuis, la France est sur la carte des musiques. L’international, notre sauveur… Car maintenant, tout le monde se fout des hommages à Goldman dans le top 50.
David Blot anime chaque soir de la semaine le Nova Club sur Radio Nova, de 19h30 à 21h.