TRAX.137 SAN PROPER’S PUSSIES

Écrit par Laure Stokober
Le 10.03.2015, à 15h30
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Écrit par Laure Stokober
Un jour que je travaillais seule dans l’un des bureaux de Trax situé derrière le disquaire parisien La Source, une apparition me sortit brusquement de mon état quasi déréel. “Hey bitches !” Je tourne la tête, surprise. “Oh ! actually there’s a girl…”

Devant moi, se tenait un curieux personnage dont la crinière sauvage cachait une partie du visage. Me tendant une main aux ongles barbouillés d’un vernis bleu passablement écaillé, il se présenta : “I’m San !” Quelques mois plus tard, j’ai décidé de rencontrer à nouveau l’intrigant Docteur Proper, que Paris a connu il y a quelques années avec les Twsted, mais qui connait lui-même Paris depuis son enfance.

L’un des DJs résidents du mythique et éphémère Trouw d’Amsterdam s’est laissé conduire dans un bar à chats (= un bar + des chats) du Marais, que nous avons quitté après une petite heure pour partir à la conquête d’un établissement bénéficiant d’une licence plus décente afin de poursuivre notre conversation (parce qu’un entretien autour d’un thé avec un Animal indomptable, ça ne marche pas).

Podcast enregistré au disquaire La Source (Paris)

San Proper’s pussies : les 1001 vies de San Proper

Trax : La question est de circonstance : sérieusement, c’est quoi ton truc avec les chats ?

San : J’ai été élevé avec quatre chats. J’ai beaucoup de copains félins (rires). J’ai fait plusieurs tracks à propos de chats, comme “A Cat called Mice”, sorti sur Perlon, ou plus récemment “Pitbull Propercat”.

Ah, en voilà un qui approche (le chat s’approche de ses chaussures pointues, puis s’esquive rapidement). “A Cat called Mice” fait référence au chat de Awanto3. C’était l’un des chats les plus dingues que j’ai connus. Son nom était Mice, comme “les souris”. Mon ami Awanto3 trouvait ça drôle. C’est un pro des mauvaises blagues. Je trouve que c’est un nom extraordinaire pour un chat ! Mice est parti tout seul et, à sa mort, j’ai décidé de lui rendre un petit hommage. Je crois que le chat est vraiment un animal important pour moi. Et j’aime aussi la chatte : pour moi, ça va ensemble !

J’ai une approche plutôt bestiale de la vie, de la musique, et de ma propre musique, auxquelles je trouve un côté sauvage.

J’ai une approche plutôt bestiale de la vie, de la musique, et de ma propre musique, auxquelles je trouve un côté sauvage. Quand je regarde les gens dans le métro, je me dis que ce ne sont que des animaux, même s’ils ont une cravate et une serviette. J’aime à penser que les êtres humains se comportent et jouent avec excellence de leur instinct animal. Je ne dis pas qu’il s’agit de folie, mais juste d’une forme d’autodéfense. L’innocence de l’humain le pousse à fonctionner comme un animal.

On est tous des animaux, en fait…

Oui. Des chats, des chiens, et des oiseaux. Les chats adorent s’asseoir en hauteur, et contempler la pièce comme pour la dominer. C’est typique de l’être humain. La simplicité et la loyauté du chien est aussi parfois très caractéristique de l’Homme. En ce qui me concerne, je me sens plus proche du singe que du chat, même s’il y a beaucoup de chat en moi, j’en suis sûr.

Je me sens plus proche du singe que du chat, même s’il y a beaucoup de chat en moi, j’en suis sûr.

Tu évoques le “wild side” de l’homme, me parles de ton album intitulé Animal, et du track “Pitbull Propercat” issu de Prospector II où l’on t’entend imiter les miaulements d’un chat grincheux. Parfois, dans tes chansons, ta voix me rappelle d’ailleurs le ton insolent de l’auteur des titres “Animal Language” et “Walk On The Wild Side”, Lou Reed.

Oh, vraiment ? Regarde (il tend son bras gauche couvert de tatouages). J’ai fait ce tatouage quand Lou Reed est mort. Ce sont les premiers vers de “Vicious” de Transformer (“Vicious, you hit me with a flower / You do it every hour / Oh, baby, you’re so vicious” ndlr). C’est le premier morceau que j’ai appris à jouer à la guitare, alors que j’avais environ 9 ans.

Quand tu connais les accords de ce morceau, tu peux ensuite facilement apprendre à jouer “Louie Louie” et “Cocaine”, des classiques. Sauf que j’ai oublié de me faire tatouer le mot “with”. Alors j’ai rajouté un petit oiseau (un dessin symbolique en forme de V ndlr) pour insérer le mot manquant. Une semaine plus tard, je l’ai montré à Tom Trago (compatriote DJ résident du Trouw, ndlr) et lui ai raconté cette histoire. Il m’a répondu : “Mec, ton rajout, tu l’as fait au mauvais endroit !”. J’ai donc dû transformer l’oiseau en fleur, et j’ai ajouté une petite flèche au bon endroit. Lou Reed est une grande source d’inspiration pour moi.

© ©Sido Amo

Et j’imagine que tu n’as pas assez de place pour encrer toutes tes sources d’inspiration sur ton bras gauche…

Je me suis promis d’arrêter la cigarette et les tatouages quand j’aurai 40 ans. J’ai 37 ans, et (il se met à compter ses tatouages un par un) 27 tatouages. Il m’en manque encore 10. J’aimerais me tatouer un portrait de Lou Reed, et un chat noir en souvenir de Mice et d’Iggy, le chat que j’avais trouvé dans la rue et que j’ai appelé ainsi en hommage à Iggy Pop. Ce bras est celui de l’inspiration, et l’autre est celui de mes accomplissements, avec ma signature.

Ce bras [tatoué] est celui de l’inspiration, et l’autre est celui de mes accomplissements, avec ma signature.

Ce sont d’abord le reggae et la soul qui m’ont énormément inspiré. J’écoutais beaucoup Otis Redding, Sam Cooke, mais aussi les Rita Mitsouko, et un petit peu de Gainsbourg. Surtout sa période disco, avec l’album Love On The Beat. Mon père écrivait pour un magazine de cinéma, et il traînait pas mal avec des gens plus jeunes que lui. Ils écoutaient de la bonne pop music des 80s, comme David Bowie ou The Talking Heads. L’une de ces personnes, une espèce de punk chic à la Vivienne Westwood, écoutait les Rita Mitsouko. Désormais, ma copine me traduit les paroles de leurs chansons. La poésie de Catherine est tellement puissante. — Ah ! le thé (en français. On nous apporte le thé. San se sert). Quand on boit du thé, on se sert d’abord, pour être certain qu’il est bien infusé. Mais en fait, on a les tea bags, donc ça ne sert à rien (rires).

Trouves-tu également l’inspiration dans d’autres formes artistiques ?

Je suis inspiré par la vie, par les filles, et par les films. La poésie et la littérature aussi. Ce que je préfère dans un livre, c’est le sentiment de surprise que l’on éprouve à chaque fois qu’une page se tourne, et qui nous retient de le poser. Les polars bas de gamme, c’est ça que j’aime ! Mais j’apprécie aussi la simplicité d’un Bukowski. Je suis également un drogué de la télévision et des films. Mes parents ont divorcé quand j’étais très jeune. J’étais un gosse rêveur, souvent seul. J’enregistrais tous les Hitchcock, des classiques de Billy Wilder, et les Star Wars, Indiana Jones, James Bond… le week-end, je me réveillais à 5h du matin, m’asseyais devant la télé, et attendais le début des dessins animés en dessinant. Tout le monde dormait : ma mère, mon frère, et les chats.

Je suis inspiré par la vie, par les filles, et par les films.

L’écran était brouillé jusqu’à 6h, heure à laquelle commençaient les clips musicaux, suivis à 7h par les dessins animés. Désormais, j’essaye d’hiberner une fois par semaine, surtout après le weekend. Tous ces contacts humains dans les clubs, parfois, c’est un peu trop, alors je reste seul, et je me fais un marathon interminable de films. Je serai au Japon en mars, au Brésil en avril… j’adore ça, mais parfois, c’est un peu étrange de réaliser que je voyage autant. Au lieu de passer du temps avec les gens que j’aime, je le passe dans des aéroports et des avions avec des étrangers. Ca peut quelquefois donner l’impression de gâcher sa vie. La vie, c’est plus une histoire d’amour que de carrière, mais c’est facile pour moi de dire ça alors que ma propre carrière se porte bien.

Est-ce bien à San Proper que je suis en train de m’adresser ?

San Proper, c’est mon vrai nom. J’ai décidé de le garder parce que je le trouve assez drôle. Je ne suis pas un saint, et je suis encore moins quelqu’un de clean ! (rires)

La vie, c’est plus une histoire d’amour que de carrière…

Et le San Proper auquel je parle est-il le même homme que ce personnage si excentrique que l’on connait sur scène ?

Il y a de nombreux animaux en moi, mais ce n’est pas une forme de schizophrénie, et je ne me cache derrière aucun masque. En me voyant, beaucoup de personnes me jugent, et pensent que je suis quelqu’un de brutal, d’insolent, et de fou, mais pour moi, c’est une blague. Parfois, tu as envie de t’amuser et, à d’autres moments, tu es d’humeur provocatrice. Je pense que c’est important de provoquer et de montrer aux gens que tu n’as pas besoin d’être constant. Quand j’étais plus jeune et que j’écoutais Sam Cooke, je passais pour quelqu’un de bizarre. Ça a renforcé mon envie de défendre mes goûts et ma musique.

Je ne suis pas un saint, et je suis encore moins quelqu’un de clean !

Je me bats pour l’excentricité, et j’y crois. Je ne joue pas différents rôles, c’est naturel. Je peux être poli quand je rencontrerai ta mère, plus tard ! Je blague. Le manque de confiance en soi est la maladie la plus épineuse qui existe pour l’humanité. La majorité des artistes sont très timides, bien sûr, et la modestie est une qualité, mais il faut avoir le sentiment d’être maître de ce qu’on fait. Je ne suis pas plus intelligent ou malin qu’un autre. Je suis juste mon instinct. Je ne sais pas pas ce que je fous. Je le fais, c’est tout.

©Sido Amo ©Sido Amo

Tu as commencé avec la guitare, et tu as joué dans un groupe de funk. Comment en es-tu arrivé à la musique électronique ?

C’est arrivé tout seul. J’ai commencé à ébaucher mes premiers morceaux à l’âge de 14 ans. J’utilisais l’enregistreur quatre pistes de mon frère. Je faisais de mon mieux avec son synthé pour mimer les lignes de base, et son Atari pour imiter les drums. Et je jouais mes accords sur une guitare merdique avec quelques effets. Soudain, un peu plus tard, j’en suis arrivé à faire l’expérience de la musique électronique sous plusieurs formes : dub, électro, house old school, techno… de Jeff Mills à Aphex Twin, en passant par Mille Plateaux et DJ Food. J’ai alors commencé à ajouter des disques de musique électronique à ma collection de funk, dub et reggae.

Je fais de la musique électronique avec un effet naturel.

À cette époque, je commençais à en avoir marre de jouer en groupe et de voir toujours quatre ou cinq opinions différentes s’affronter. Je voulais être mon propre musicien, donc j’ai commencé à produire et à jouer seul, à tel point que maintenant je m’occupe des vocaux, des drums, de la guitare… je fais de la musique électronique avec un effet naturel. George Clinton, les Rita Mitsouko, The Talking Heads, Brian Eno, Bowie, le boogie disco, le disco des débuts, ont une atmosphère électronique, et c’est ce qui m’attire le plus. Ces mecs jouaient sur les tout premiers synthés et ne savaient pas encore ce qu’ils faisaient vraiment. Ils jouaient pendant cinq minutes non stop et trouvaient ça dingue. Les premiers pas de la musique électronique sont les plus intéressants, de mon point de vue. La technologie est par la suite allée beaucoup trop loin. Aujourd’hui, on revient à l’analogique.

Tu as récemment sorti Prospector II avec Pit Spector. Pour l’occasion vous avez fait une release party au Badaboum, et vous avez décidé de fêter ça une deuxième fois à La Java. Deux release parties, carrément ?

La Java, c’est un endroit very sympa, et ça faisait un moment que je voulais y jouer. Mais la raison principale pour laquelle on fait une deuxième release party, c’est qu’on s’entend extrêmement bien musicalement avec Pit Spector. Au Badaboum, pour la première release party, j’étais malade, mais ça a rendu le show encore meilleur. C’est assez étrange, mais je trouve que la contrainte est source d’inspiration et me rend plus productif. Je crois que c’est une espèce de truc macho que j’ai besoin de me prouver. Tu n’as pas envie de décevoir les gens, même si tu as de la fièvre. À chaque fois que je m’asseyais, je me sentais terriblement mal, mais dès que j’avais le micro en main et que je mettais un disque, mon corps prenait ma défense.

As-tu d’autres projets en cours ?

Avec Pit Spector, on va sortir un morceau intitulé “Roger Roger” prochainement. On a aussi produit un nouveau track qui s’appelle “Kiss Myself”, avec lequel on fera un clip. On va continuer à travailler ensemble pendant encore un moment, je pense. Sinon, je travaille beaucoup avec Tom Trago, Awanto3, et Melon. Je vais réaliser quelque chose avec Mike Shannon et Andrea Fiorito, et j’aimerais sortir quelque chose sur Silver Network, le label de Jef K. Je joue un peu avec Chris Carrier. J’ai prévu des trucs avec Jackmaster, qui est un excellent DJ, et qui est devenu un bon pote. Je prépare un prochain album très downtempo, avec des morceaux dance assez lents, de la musique pour faire l’amour. Du nouveau arrive aussi bientôt sur mon label Proper’s Cult, avec Ricardo Villalobos, Tom Trago, et The D, plus orienté techno et house. Je ne peux pas me contenter d’un seul style, donc je préfère être éclectique.

Je pense que c’est important de provoquer et de montrer aux gens que tu n’as pas besoin d’être constant.

Tu étais DJ résident au Trouw…

Regarde mon tatouage, là, c’est le Trouw ! J’avais un studio là bas, dans un sous-sol. J’étais censé y rester deux mois. Le staff m’aimait tellement que j’étais traité comme un animal de compagnie. Ils ont fini par me proposer de rester, et je leur ai répondu “Hell yeah ! je reste ici !”

Quel est ton meilleur souvenir là bas ?

Il y a eu tellement d’amour tout au long de ce projet que c’est difficile de n’en garder qu’un seul souvenir. Ce que je retiens surtout, c’est le bâtiment lui-même et, par dessus tout, les personnes qui ont réalisé ce projet toutes ensemble. La foule, le staff, les programmateurs, la cuisine… Tout ça créait un mélange très intéressant d’ingrédients et d’inspirations différents qui étaient offerts au public. C’est assez difficile d’avaler la pilule et de se dire que le Trouw est fermé, mais on s’y fait. Je peux être sentimental et nostalgique, mais je suis aussi heureux et je veux étreindre le futur. Je suis prêt pour le prochain chapître, comme à la lecture d’un livre quand la page se tourne.

© ©Sido Amo

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