36 ans d’avant-gardisme, ça doit bien s’expliquer. 36ème édition du Festival des Transmusicales de Rennes, et d’année en année, ce festival ne cesse de rajeunir. Dans la recette, c’est sur, il y a de l’éclectisme, du risque et de la sophistication qui font des Trans la version musicale du Festival de Cannes, la Palme en moins. Car les Trans, pour son boss Jean-Louis Brossard, ce n’est pas un simple ‘tremplin’ (mot qu’il bannit de son répertoire) pour prodiges méconnus : en 1992, Underground Resistance et Jeff Mills n’ont pas eu besoin de la Rave Ô Trans pour bénéficier d’un ‘tremplin’ après tout. Mais sans ce premier passage en France, sans doute que le mouvement techno aurait mis un peu plus de temps à séduire les cœurs français. Derrière cette longévité, il y a Jean-Louis Brossard, l’infatigable programmateur et éternel digger de trésors. Alors que commence aujourd’hui la 36ème édition du festival, le bonhomme livre ses impressions sur la prog électronique de cette cuvée. Alors, grand cru ?
Quel est votre outil favori pour dénicher les groupes et artistes que vous programmez chaque année ? Vous êtes du genre pro de l’Internet, voyages, le terrain, le bouche à oreille… ? Comment vous fonctionnez ?
Tout ça réuni en fait ! J’écoute de la musique toute la journée, je vais à des concerts en Angleterre, en Hollande ou ailleurs, et bim, j’ai un coup de cœur, quand ça se passe bien. Parfois avec un morceau j’ai envie d’écouter le reste du travail de l’artiste. Après je prends des risques parfois car j’ai juste écouté un titre, mais qui m’a subjugué, qui apporte quelque chose de nouveau. Justement, un groupe que j’ai découvert sur Internet qui passe cette année et que j’adore, c’est Islam Chipsy (chantre de l’electro-chabii, ndlr). Il vient du Caire et j’aime bien le coté trance de sa musique.
J’aimerais qu’on revienne sur le Rave Ô Trans, avec UR (Underground Resistance) et Jeff Mills en 1992. Vous pouvez me raconter, comment ça s’est fait ?
En 1992, je ne connaissais pas trop encore la musique électronique. Bon je connaissais quelques groupes par-ci par-là, mais dans l’ensemble c’était une culture que je ne connaissais pas. Et c’est avec mon pote Manu Casana qu’on a crée la première Rave Ô Trans, mais j’ai voulu changer pour ne pas rester coincé dans ce registre. Puis on a fait Edit To Technics, il y avait Doc Martin en bas, Prodigy, et c’était leur première date en France d’ailleurs. On a programmé Transglobal Underground, Sons Of Arqa, des trucs différents. Et après avec Laurent Garnier on a crée la Planet, mais on a arrêté parce qu’à cette époque c’était toujours les mêmes mecs qui tournaient dans les soirées électroniques.
Je n’ai pas vu MC5 en 1968 à Harbor, mais j’ai vu UR au Trans et c’était incroyable.
L’esprit rave de cette époque est encore là selon vous ?
C’était différent à cette époque, déjà c’était moins commun d’écouter de la techno. C’était mignon, il avaient un look bien reconnaissable, petit sac à dos, baggy, etc. Quand on a fait les premières raves les gens avaient des looks de fous, c’était génial. Et puis le mouvement s’est ouvert, et c’est super d’ailleurs. En fait ma première rave c’est celle que j’ai organisé avec les Trans. Et ça m’a beaucoup plu !
C’est votre meilleur souvenir en matière de musique électronique ?
Oui, ma plus grosse claque c’est sans aucun doute Underground Resistance. Je dis souvent un truc à ce propos d’ailleurs, c’est que je n’ai pas vu MC5 en 1968 à Harbor, mais j’ai vu UR au Trans et c’était incroyable. Mais il y en a eu plein d’autres en fait : les Daft Punk à l’Ubu, les Chemicals Brothers à leurs débuts…
Le public des Trans peut venir écouter de la techno et finir scotché par un groupe instrumental africain.
C’est qui le public des Transmusicales ? C’est toujours le même ou vous le voyez évoluer au cours des années ?
Le public des Trans reste plus ou moins le même, toujours plein d’énergie et il aime beaucoup danser ! C’est un public curieux, ouvert à tous les genres, qui vient pour découvrir de nouveaux artistes et surtout pour s’amuser. Il peut venir écouter de la techno dans la Green Room et finir scotché par un groupe instrumental africain. C’est un public assez étonnant, on en fait pas beaucoup des comme ça !
Et comment vous expliquez la longévité du festival, du public et de vous même d’ailleurs ?
C’est l’envie qui prime au final. L’amour de la musique, bien évidemment, la volonté de découvrir des artistes, c’est aussi simple que ça. Et puis chaque année il y a cette excitation pour chaque festival que j’adore. Bon il y a aussi de grands moments de solitude aussi, mais c’est vite oublié. L’énergie de bouger, de faire des choses, prime au final, et c’est passionnant.
Les Transmusicales en 2012 @Benjamin Clementine
À quel point vous pensez qu’un passage aux Trans peut influencer la carrière d’un artiste ?
Déjà il ne s’agit pas d’un tremplin, car un passage au Trans ne permet pas la gloire. C’est surtout l’occasion pour eux d’être découverts, ensuite ils font le reste du travail. Certains font cinquante dates après un passage au Trans et d’autres pas, ça dépend de leur prestation et de leur univers. Après parfois il devient ‘la grande révélation des Trans’, le groupe qui explose, mais bon ça n’arrive pas à tous. Après certains n’explosent pas par manque de talent mais parce que derrière il n’y a pas les majors qui gèrent la promo… Ça ne va pas les empêcher de faire plein de concerts hein !
Justement, quels sont vos coups de cœur de cette édition ?
Je n’ai pas vu tout le monde, et fort heureusement d’ailleurs, et j’ai hâte d’en découvrir certains au Trans. J’attends beaucoup de DBFC, j’ai beaucoup aimé leur single “Leave My Room”. Ismal Gispy, j’en parlais plus haut, j’attends aussi beaucoup de leur concert, surtout que j’ai galéré pour qu’ils puissent venir, ça fait deux ans que je suis dessus ! Ils n’avaient pas de passeport, mais le problème à été réglé il y a quelques mois.
The Hacker aussi, même si ce n’est pas une découverte, j’ai hâte de le voir car je ne l’avais jamais programmé au Trans, en tous cas je l’aime beaucoup humainement. Je l’avais déjà vu aux Nuits Sonores, d’ailleurs on est resté jusqu’à huit heure du matin. L’équipe de nettoyage à du nous déloger de notre caravane !
Il y a Ten Walls aussi, le lituanien avec son tube “Walking With Elephants“, j’ai adoré et je ne l’ai pas vu en set encore. Ah oui, et j’aime beaucoup aussi les danois de Den Sorte Skole : ils ont fait un triple album avec plus de 600 samples, et je pense que leur set sera très étonnant. C’est un peu la partie électronique comme je l’aime : un peu dingue à la Flying Lotus, que j’avais programmé aux Trans d’ailleurs. Ce sont des artistes hors normes. Il y a aussi Clap Clap! et Marco Barotti, des Italiens. Marco Barotti propose une musique électronique très percussive qui me parle beaucoup : il fait ça sur un ballon pneumatique, c’est assez incroyable !
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Retrouvez toute la programmation de la 36ème édition des Transmusicales sur le site officiel.