Les Trans Musicales de Rennes viennent d’ouvrir leurs portes et les trois prochains jours qui suivent s’annoncent à nouveau (très) intenses. Intenses en découvertes, bien sûr, le festival breton étant l’un des seuls à proposer depuis 37 éditions quasi uniquement des artistes émergents. Mais aussi en nuits blanches : la programmation est particulièrement électronique cette année.
Les Réunionnais de KAANG, notre maxi du mois en juin dernier croisent la route des prometteurs Paradis, l’envoûtante Louise Roam celle des Rémois pop-house Postaal et les petits génies Dream Koala et Superpoze, figures françaises du “future beats” (oui l’étiquette est bien vague) invitent l’original collectif de musique classique Code à leurs côtés.
Et alors que le trio techno-house Apollonia (Dyed Soundorom, Dan Ghenacia et Shonky) jouent les têtes d’affiche, c’est dans le coin du doux-rêveur Applescal, du housy et déjà bien installé Darius, ou du Mac Gyver des sons Binkbeats qu’on ira se dandiner. Sans manquer d’aller perdre quelques litres de sueur devant la bien-nommée Raving George, les énervés et foutraques Parisiens Mawimbi, Powell et son power-électro 80’s ou la techno du Toulousains François 1er.
En somme, du son de maintenant voire de demain, qu’il soit bien chez nous ou de là-bas, comme sait le faire depuis tant d’années et sans jamais perdre haleine le programmateur historique Jean-Louis Brossard. Bonhomme et généreux, l’âme des Trans nous a reçu il y a peu pour un entretien qui s’est vite transformée en discussion passionnée.
Entre souvenirs de découvertes d’alors (les premières scènes françaises des méconnus d’alors Underground Resistance, Daft Punk, Calvin Harris, et bien après Fakear ou Thylacine) au “Vous allez tous mourir à Rennes” d’un Mr Oizo enflammant le célèbre le Hall 9, on revient avec le grand architecte de ce beau merdier sur 37 ans d’histoires humaines et musicales. Celles d’un festival hors normes, qui aura vu passer quatre décennies de musique en y jouant un rôle déterminant, autant pour les groupes qui y ont joué que pour leurs publics…
Rencontre avec Jean-Louis Brossard
Trax : Quand on te rencontre, on a envie de percer à jour le mystère qui réside derrière une programmation aussi riche en nouveaux noms et pourtant aussi solide.
JL Brossard : Je ne suis pas le seul à travailler sur la découverte. Il y a plein de festivals qui mettent des grosses têtes d’affiche et qui, sur les autres scènes, font jouer des groupes peu ou pas connus. Mais le truc, c’est d’arriver à faire presque 60 000 personnes avec des inconnus… Après, tu ne peux jamais vraiment savoir ! Pour cette année, il a déjà fallu que je me sorte l’édition de l’année dernière de la tête. Elle était exceptionnelle, avec 30 pays représentés. Une édition très différente des autres, même si je les aimes toutes. C’est important de repartir de zéro chaque année, essayer d’aller dans une autre direction musicale.
Comment se passe la sélection ?
Ma programmation, je la fais un peu comme tout le monde, d’après ce que j’entends et ce que je vois sur d’autres festivals… Il faut bien se préparer par contre, tout écouter, voir le live… C’est un peu bête dit comme ça, mais c’est avant tout un concert que tu proposes, donc si le disque est bien mais que c’est mauvais sur scène, ça ne marche pas.
C’est pareil avec la musique électronique ? Il n’y a pas le même rapport avec le public dans un live avec machines, qu’avec un groupe de rock…
C’est d’abord la musique qui va me plaire. Ensuite, l’artiste emmène souvent une création visuelle. Spécialement pour le festival.
Maintenant tout est enrobé avec des LEDs, des projections visuelles. Tout un système pour créer quelque chose de différent, même chez des jeunes artistes qui ne sont pas aussi installés que Rone, Agoria, Etienne de Crecy ou Vitalic.
“La musique électronique n’est pas une mode : c’est là et ça ne va pas bouger pendant encore longtemps.”
Peut-on parler d’une année plus électronique ? C’est un choix ?
Quelque part je n’y suis pour rien… J’ai écouté des choses qui m’ont plu et effectivement, elles étaient plus électroniques. Il y a une nouvelle vague d’artistes français vraiment de qualité. Je ne prends pas vraiment une “direction”, j’imagine simplement quels artistes pourraient le mieux marcher sur telle ou telle scène, et dans quel ordre. En fait, comment rêves-tu la soirée parfaite.
Vois-tu la musique électronique comme un effet de mode ?
Non, ce n’est pas une mode : c’est là et ça ne va pas bouger pendant encore longtemps. Au départ, la musique électronique était une musique de niche. À Rennes par exemple, t’avais des mecs qui organisaient les Praxis, des afters incroyables, une bande de potes à fond dedans. Maintenant, tous les gamins de 15 à 18 ans sortent et vont voir des DJs.
Tu collectionnes un peu les pays du coup ?
Moi, c’est surtout les disques (rires) ! Mais c’est toujours chouette de pouvoir se dire que l’on a programmé tel ou tel artiste de tel ou tel pays… Par exemple, dans un autre style, j’ai un groupe malgache qui fait du punk rock (The Dizzy Brains). Les mecs chantent dans leur langue, parlent de ce qu’il se passe chez eux, sur cette île très pauvre avec beaucoup de violence. Ils habitent à 200km de la mer, et pourtant ils ne l’ont jamais vu. Ce qui m’intéresse, c’est de montrer ce qu’il se passe dans le monde.
“Ce qui m’intéresse, c’est de montrer ce qu’il se passe dans le monde.”
Pour revenir à la prog de cette année, pourrais-tu nous présenter quelques coups de cœur ?
En musique électronique, il y a Idiotape un groupe sudcoréen. Une putain de tuerie en live ! Un batteur et deux mecs sur des claviers : ça déboîte. Je les ai mis sur le meilleur spot du festival, le Hall 9 de 1h45 à 2h45. Côté têtes d’affiche, il y a Appolonia. Ils aiment jouer longtemps alors je leur ai donné 4h de set sur la Green Room. Et sinon imagine, à trois DJs en 1h ils n’auraient même pas le temps de brancher leurs clefs USB.
J’ai aussi des petits Brésiliens, je sais pas si vous connaissez ces gars là, Fatnotronic. C’est pour terminer, comme Acid Arab il y a deux ans ou Awsome Tapes From Africa. Il doit être 7h du mat et c’est le seul espace qui est ouvert. Tous les party hardeurs se ramènent, tout le monde est là, j’adore ce moment, j’ai envie que ça groove. C’est aussi le moment où je dis au revoir et à l’année prochaine.
Et puis il y a la création de Paradis à l’Aire Libre, tous les soirs jusqu’à dimanche. J’ai choisi de mettre en résidence ce duo cette année, comme on avait pu le faire dans le passé avec Stromae, Jeanne Added, Benjamin Clementine et bien d’autres.
En première partie, j’ai programmé deux projets également électroniques : une demoiselle qui s’appelle Louise Roam et surtout Kaang. C’est le projet du Réunionnais Jérémie Labelle, que je connaissais depuis ses mix indus à l’Ubu. Il est venu me voir avec le producteur Hlasko, qui nous vient du Lesotho et qu’il a découvert sur la toile. Aujourd’hui, je peux donc ajouter le Lesotho à la liste des pays représentés aux Trans ! (rires)