Tomorrowland : quand Derrick May, Juan Atkins et Kevin Saunderson ont vidé le dancefloor

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©KV
Le 04.08.2017, à 17h53
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La 13e édition du célèbre festival à dominante EDM, Tomorrowland, s’étendait sur les deux derniers week-ends de juillet, rassemblant près de 400 000 fans de musique électronique. En 2017, jamais la techno n’avait pris une place aussi importante sur un line-up de Tomorrowland, c’est pourquoi nous sommes partis enquêter cet été en Belgique, à Boom, sur le premier week-end, afin de juger sur pièces et de répondre à une question que l’on se posait depuis longtemps : « c’est comment la techno à Tomorrowland ? ».


Par Lucas Marchetti

Tomorrowland : l’un des festivals les plus populaires du globe, un mastodonte de l’industrie commerciale de la dance music, l’un des endroits de prédilection de David Guetta, Martin Garrix ou encore Calvin Harris. Mais Tomorrowland, ce n’est pas que de l’EDM à foison. C’est un festival où se mélangent tous les autres styles de musique électronique : techno, house, dubstep, drum’n’bass mais aussi trance ou encore hardstyle sont représentées sur les 17 scènes.

Si la main stage est quasi exclusivement réservée à l’EDM, les musiques house et techno prennent une part de plus en plus importante chaque année sur le line-up du festival belge. Pourquoi ? Sans doute parce que la techno apparaît comme un genre musical de plus en plus lucratif. Tout le gratin de la scène techno mondiale s’est donné rendez-vous à Boom, dans le plus emblématique des festivals EDM : Carl Cox, Solomun, Luciano et Joris Voorn ont eu le privilège de jouer sur l’immense main stage, et nombre d’autres scènes étaient dédiées à la techno/house “authentique”. Tomorrowland a confié une partie de la programmation de son premier week-end à Drumcode (Adam Beyer, Cirez D aka Eric Prydz, Joseph Capriati, Pan-Pot, Amélie Lens), Paradise (Jamie Jones, Seth Troxler, Richy Ahmed, Patrick Topping, Nicole Moudaber), I Love Techno (Nina Kraviz, Paul Kalkbrenner, Boys Noize, The Belleville Three aka Derrick May B2B Kevin Saunderson B2B Juan Atkins), Cocoon (Sven Vath, Ricardo Villalobos, Dixon) ou encore en donnant carte blanche à Dave Clarke (Len Faki, Ben Klock, Ken Ishii, Charlotte de Witte, Rebekah) sur la magistrale scène The Arch.

Pour le second week-end, les sonorités techno filtraient des scènes Mosaic (Maceo Plex, DJ Koze, Âme [live], Mano Le Tough) et Play Differently presents Model 1 (Richie Hawtin, Tale Of Us, Paco Osuna, Loco Dice, Chris Liebing, Matador). Enfin, le collectif d’after Barcelonais Elrow (Jackmaster, Joris Voorn, Seth Troxler, The Martinez Brothers, Marc Maya, etc) et le label Diynamic (Solomun, Adriatique, Kollektiv Turmstrasse) avaient leur scène sur chaque week-end.

Bref, vous l’aurez compris à la lecture de toutes ces têtes d’affiche, cette programmation ferait pâlir d’envie n’importe quel amateur de techno fréquentant le Time Warp de Mannheim ou l’Awakenings d’Amsterdam. Nous sommes donc partis couvrir le premier week-end de ce Tomorrowland 2017 pour assister au choc des cultures des fans de techno “underground” perdus dans le monde de Tiësto et Steve Angello.

Vendredi 21 juillet 2017, le soleil était à son zénith dans le ciel belge quand les douze coups de midi retentirent dans l’arène de Boom, annonçant l’ouverture des portes de Tomorrowland. Sur le dancefloor de la mainstage, c’est la légende du DJing Carl Cox qui s’est installé pour les trois prochaines heures. Les premiers festivaliers arrivent à grandes enjambées, s’agglutinant massivement vers la mainstage du festival, mais, à voir leurs visages stupéfaits, ils semblent surpris d’entendre ce genre de sonorités dès leur arrivée, Après quelques réticences, on observe les premiers pas de danse, les sourires se multiplient, et la communion prend place au sein du peuple de Tomorrowland, dont la devise est « live today, love tomorrow, unite forever ». Une maxime à travers laquelle les organisateurs prônent la tolérance et tentent d’abolir les clivages entre les amateurs de tous ces différents styles musicaux. Carl Cox, lui, ne se pose pas de questions et, sous un soleil de plomb, envoie trois heures de set dynamiques, alternant passages de tech-house festive et de techno plus sombre, haranguant les festivaliers au micro à coup de ses fameux « Oh yes ! Oh yes ! », immédiatement repris par les clameurs de la foule lui répondant sous des « Ho ho ! Hé hé ! » plutôt caractéristiques d’une population EDM.

Par ailleurs, nos mirettes sont clairement frappées par le gigantisme et la scénographie de la mainstage, aux allures d’un majestueux cirque de musique électronique (reprenant ainsi le thème de cette édition 2017 : « Amicorum Spectaculum »), agrémenté d’écrans géants. Et nos tympans seront tout autant comblés par l’assourdissant sound-system. On se sent minuscule face à la puissance de ces basses, et tout petit au pied de cette magistrale structure, symbole de la démesure de Tomorrowland.

Une fois le set de la star britannique achevé, nous quittons la mainstage pour découvrir l’univers féérique si singulier du festival et ses 17 scènes, en commençant par The Organ of Harmony, orchestrée par le collectif d’after Barcelonais Elrow, avec sa décoration fantasque, florale et colorée, ses performeurs et son sens unique de la fiesta loca catalane !

Après avoir groové sur la tech-house hispanique, on décide d’errer dans le festival, avec comme seul but de chercher du bon son et on se retrouve vite perdus. Le terrain de jeu de Tomorrowland est immense : malgré la signalétique et un plan récupéré à l’entrée, difficile de s’y repérer quand on n’est pas un habitué des lieux. Après un certain temps de vagabondage, on arrive sur une petite scène, les pieds dans le sable, distillant une tech-house péchue. Nous ne savons pas où nous nous trouvons, ni même qui mixe à ce moment-là, mais peu importe, on vit l’instant présent. Car c’est aussi ça la magie de Tomorrowland : se perdre, atterrir dans un endroit, profiter de l’instant, du son (quand il est audible, car pour l’EDM pure et dure, on vous avoue qu’on a vraiment eu du mal) et aimer l’énergie communicative, type « full of love and happiness », qui se dégage d’un public dont rien ou presque ne pourra effacer les sourires, pas même les pluies torrentielles du dernier jour.

Après avoir de nouveau vadrouillé, nous tombons sur une salle nommée Freedom. Attirés par le son, nous découvrons qu’il s’agit de la scène « trance energy ». Peu familiers de ce style de musique, nous décidons de rester car la mélodie nous plaît. On nous apprendra plus tard que le DJ en question se nomme Purple Haze, agréable découverte. Le temps de casser la croûte et c’est déjà l’heure du set d’Eric Prydz sur la mainstage, auteur du méga hit Call On Me et son clip racoleur.

Dépassant le quart d’heure de retard, sur un show de seulement une heure au total, Le DJ suédois se fait désirer, et pour cause : Prydz et son train (l’artiste a peur de l’avion) ont été victimes de la SNCF. La star a dû être escortée par voiture de police jusqu’à la mainstage, à plus de 200 km/h sur l’autoroute. C’est dire l’importance et l’enjeu d’une telle prestation pour Tomorrowland. Pas trop de sonorités EDM au programme de son set comme on le craignait, Eric Prydz jouant aussi ses titres sous son alias Pryda et même Cirez D, son pseudo « techno ». Après un final de longue haleine, sur la montée intenable de son magistral track Opus (dont le remix par Four Tet a été adoubé par Maceo Plex ou Luciano), devant une foule massive en délire, Eric Prydz se retire sous les acclamations du public et les flammes de la main stage

On poursuit notre soirée avec un autre DJ suédois : Adam Beyer, le patron du label Drumcode, qui tenait la scène Core de ce vendredi. Mais on est plutôt déçu de l’endroit, reculé dans les bois de Tomorrowland, avec une acoustique assez horrible, les basses résonnant de façon beaucoup trop puissante, à tel point que le set d’Adam Beyer, inaudible, nous a massacré les oreilles, hormis son closing track (Enrico Sangiuliano – Astral Projection), qui nous a quand même envoyés dans les étoiles. Cirez D arrive ensuite aux platines, et nous livrera un set techno maîtrisé, domptant le sound-system délicat de la scène Core. Pourtant, après le départ d’Adam Beyer, le dancefloor s’est vidé à vitesse grand V. Peu de personnes ont l’air de savoir que derrière l’alias Cirez D se cache Eric Prydz, qui a blindé la mainstage deux heures plus tôt. D’autant que la star se produit très rarement sous son alter ego techno sur nos scènes européennes. C’est un peu le problème du brassage multiculturel et du melting-pot de Tomorrowland, si toutes les communautés musicales sont représentées et se mélangent, on n’a malheureusement pas vraiment croisé de réel puriste passionné du son ni de technophile averti, peut-être à cause du prix élevé du pass festival. Après 1h30 de techno froide et brutale à la sauce Drumcod et un feu d’artifice, Cirez D redescendra vers des sonorités house pour terminer de surprenante sur French Kiss de Lil Louis. Clap de fin pour notre premier jour à Tomorrowland.

De la seconde journée, nous retiendrons le set, très groovy, de Seth Troxler dans les bois de la scène Core, occupée par le crew Paradise ce jour-là, où les festivaliers se sont déhanchés sur un système-son amélioré et le gros line-up de la scène I Love Techno, qui accueillait successivement Boys Noize, le projet « techno 90’s » de Paul Kalkbrenner aka Back To The Future, les Belleville Three de Detroit (Derrick May, Juan Atkins et Kevin Saunderson) et Nina Kraviz. Présentée sur la scène Wind, une sorte de chapiteau géant, en plein cœur du festival, la scénographie aux allures de machinerie rocambolesque est assez impressionnante mais là encore, l’acoustique du lieu n’est pas à la hauteur de la programmation. Si l’acid set de Boys Noize a fait le boulot, on ne peut pas en dire autant de son compatriote Paul Kalkbrenner, qui se produisait pourtant devant une foule abondante, à tel point qu’on a dû rester dehors. Mi-figue, mi-raisin, ni dance ni techno, son set Back To The Future nous a laissé un goût amer. On vous laisse juger par vous-même.

Paul K laisse alors place à la triplette magique de Belleville, et quasi instantanément, le dancefloor se vide. Personne ou presque ne semble (re)connaître Derrick May et ses comparses de Detroit. Une fois de plus, le public de Tomorrowland nous montre ses lacunes en matière de culture techno. Attristés de voir ces pionniers réaliser leur set devant un no man’s land, on ne s’attardera pas, d’autant plus que le rendu sonore, vu l’affluence médiocre, se dégrade, malgré un set de qualité. Vous pouvez réécouter les trois heures de performance des trois de Detroit ici. Il pleut désormais des cordes sur Boom, on file se réfugier à la scène Cage, un mini-club dans le cœur même de Tomorrowland, qui abrite aujourd’hui le label français de techno mélodique : Hungry Music. A l’intérieur, c’est blindé et ça transpire sur le set de Worakls et sa techno orchestrale, qui termine sous une salve d’applaudissements…

Après un after avec l’équipe Hungry Music, dans un club à Bruxelles-les-Bains, on repart au combat le lendemain sur la scène The House Of Books, ou le Café d’Anvers a invité le label Cocoon, avec Sven Väth, Dixon et Ricardo Villalobos, mais aussi The Arch, ayant ce jour-là pour curateur Dave Clarke, qui a programmé Ben Klock, Len Faki, Ken Ishii et la jeune DJ Belge Charlotte de Witte, alors que des trombes d’eau s’abattent sur Boom. Sur la scène semblable à un modèle réduit de notre Arc de Triomphe parisien, le DJ belge Fabrice Lig ouvre la scène pour Dave Clarke.

Tandis que Despacito retentit sur la main stage, on part en quête de la scène menée par Cocoon. Après moult péripéties, on finit par tomber sur une presqu’île, où trône un grand DJ au sweat rouge flashy, Dixon. Sous la tempête, le patron d’Innervisions livre un set dantesque, regorgeant de ses armes secrètes unreleased, l’un des meilleurs que l’on ait pu voir lors de ce Tomorrowland. Ricardo Villalobos prend alors les platines et le temps s’arrêta l’espace de quelques instants, lorsque le Chilien, inspiré, nous sert un remix (probablement de Steve Rachmad) de Franky Goes to Hollywood – Relax. Un moment hors du commun. Enfin, la légende allemande Sven Väth se charge de fermer sa scène et, par la même occasion, d’achever le premier week-end de ce Tomorrowland cru 2017. Durant près de trois heures, « Papa Sven » et ses vinyles régalent les festivaliers, avec un set que l’on qualifiera d’assez classique mais efficace, clos avec le Memory du producteur français Paul Nazca, sous un ultime feu d’artifices sonnant la fin de notre festival.

Mais la musique nous poursuivra jusqu’à l’aéroport de Bruxelles, où les voyageurs circonspects assisteront à une “gate party” animée par des DJ’s en mode techno/house, pour un dernier coup de son avant de reprendre l’avion…

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