Fin septembre, vous vous êtes produits sur la scène d’Elektricity, le festival électronique annuel de Reims, ville dont vous êtes tous les deux originaires. C’est important de prendre la température à domicile avant de se lancer dans votre tournée ?
Guillaume Brière : On a toujours eu un super accueil ici, et cette année c’était encore le cas. Puis, jouer sur le parvis d’un monument comme la cathédrale de Reims, ça doit être un super trip visuel pour un spectateur. On appréhendait un peu, comme à chaque fois que tu joues à domicile, mais le bon retour du public nous a gonflé à bloc pour la suite. Puis tu sais, Reims est réputée pour être un public très pointilleux. Que tu sois du coin ou pas, s’ils n’aiment pas, ils te le font savoir.
Benjamin Lebeau : Reims a fait flipper une génération d’artiste. Tu sais que selon la légende, à l’époque du punk dans le milieu des années 80, cette ville était considérée comme un lieu test. Les maisons de disques faisaient venir des groupes et si le public appréciait, on donnait le feu vert au groupe. Apprivoiser le public rémois était, selon eux, un signe de réussite prochaine. Ce n’est qu’une légende, mais vu l’ambiance qu’il y a eu, on veut y croire un peu.
Pour affronter ce type de public, on fait quoi avant de monter sur scène ?
BL : On a pas vraiment de gestes robotisés qu’on répète à chaque fois. Même si on est des personnes très superstitieuses, on aime pas trop avoir de rituel d’avant scène. C’est assez bizarre parce que, dans la vie de tous les jours, je crois énormément à la chance.
GB : Tu m’étonnes que tu crois en la baraka, tu es ce qu’on appelle « une chatte en cuir » (Rires). Le type capable de trouver des billets de 500 euros par terre. Mais il est tête en l’air. Une fois sur deux il va les pommer, et moi, en type malin comme en Formule 1, je me mets dans son aspiration et je ramasse les miettes.
On vous sent très attaché à cette ville ?
GB : Je t’explique ce que je nomme le paradoxe rémois : tu trouveras jamais un mec du coin qui te dira du bien de la ville. Par contre, soit ils y reviennent tous un jour, soit ils habitent ici toute leur vie. On est un peu pareil. Et puis pour la création, quand tu es proche de ta famille et de tes amis, c’est quand même plus facile.
Ouais, faites pas genre, c’est surtout parce que le Champagne est pas cher et coule à flot ?
GB : Même pas, tu veux une preuve ? Pour t’avouer un truc, il y a quelques années, à mon anniversaire, on m’a offert mon poids en bière Jupiler. Un sacré cadeau, et t’inquiète que je fais pas 40 Kg. Il y avait un de ces nombres de cagettes, l’empilement était plus grand que moi. Je suis de Reims, j’habite à Reims, mais j’aime pas le Champagne.
BL : Par contre, moi je pourrais m’en faire passer par intra-veineuse, j’adore ça. Donc tu vois, même en soirée, on est complémentaire en terme de boissons.
On va revenir un peu à la genèse de cet album. En 2014, vous jouez au festival les inRocKs à la Cigale. Après ce concert, vous décidez de changer de cap pour Chemical ? Comment on prend ce genre de décision ?
BL : On n’a pas vraiment changer de cap mais plutôt essayé de revoir notre copie. Cela s’est passé deux ou trois jours après, on voit que les retours sont pas top. Tu sais, on accouche toujours dans la douleur, et avec du recul, ce spectacle est une étape salutaire dans la construction de ce deuxième album. On voulait rendre hommage aux années 90, mais cela ressemblait trop à du « Underworld », alors on a ramené ce qui nous caractérise, une touche plus « pop ».
GB : Puis tout le monde ne peut pas se tromper en même temps. Quand même tes amis proches te disent « vous pouvez mieux faire », c’est dur, mais il faut savoir prendre du recul. C’est toujours compliqué d’entendre des critiques, mais elles nous semblaient constructives, c’était pas de la méchanceté gratuite, taper pour taper.
De cette première mouture d’album, vous n’avez rien garder du tout ?
GB : Evidemment qu’on a gardé plein de choses, mais on les a rangées au chaud ! Plus on vieillit et plus on est adepte du recyclage. Quand tu es jeune, tu veux toujours faire du neuf et partir de rien. Avec l’expérience et les réalisations à côté (musique de film, pub, production…) tu te crées ta propre bibliothèque de création où tu pioches à droite, à gauche, au hasard des rencontres et des projets. Le gimmick de voix sur notre titre « Lost In London », c’est un enregistrement que j’ai retrouvé sur un vieux PC poussiéreux vieux de huit ans et qui s’allumait presque plus. Quand tu crées, tu rouvres des tiroirs.
BL : Le son « Lost in London » dont il parle, on en a même fait une version style Major Lazer et un remix bossa nova. On aime bien dénaturé chacun de nos sons et puis les garder sous le coude. Qui sait ?
À l’écoute de cet album, on sent une certaine schizophrénie, des ballades lentes, contemplatives (« Submarine », « Lost in London ») puis des sons plus techno (« Drifted », « US and I »). Cette dualité, c’est votre force ?
BL : Pour nous, la totalité d’un album ne peut pas se faire dans un seul et même moule, la schizophrénie en musique, c’est un compliment pour nous. On vient autant de la techno que de la drum and bass, nos influences sont multiples. La plus grande difficulté après c’est de bien tout mélanger pour en faire quelque chose de cohérent. Sur le morceau « Drifted », on voulait faire un truc gabber à la Thunderdome, mais avec en fond une voix un peu John Lenon. Quand tu essayes d’expliquer cette chanson, tu te dis que c’est paradoxal comme envie.
GB : Mais notre musique est un paradoxe et on l’a érigé en style. On est un peu Docteur Jekyll et Mister Hyde, en alternant les rôles.
C’est vrai que l’on sent bien les influences UK…
BL : On a toujours eu un rapport particulier avec les groupes anglais, que ce soit du punk ou de la musique électronique.
Question featurings, il semblerait que pour quelques médias, Petite Noir soit la petite sensation de la rentrée. Vous avez eu le nez fin là dessus ?
GB : J’ai toujours aimé cet artiste. Un matin, hop! un message sur Twitter et je lui propose de faire un son sur l’album. De nos jours, cela peut être aussi simple et rapide que ça. Et puis, il s’est avéré que son manager était un mec qui faisait partie du groupe Autokratz, groupe avec lequel on a tourné au début de The Shoes, donc le courant est passé rapidement.
BL : À chaque fois qu’on collabore avec un artiste, ça se passe comme ça : des bouteilles jetées à la mer. On n’est pas dans les tractations, les appels d’agents, les rencontres organisées. On est au feeling, et d’ailleurs à chaque fois, nos collaborations deviennent des potes. On ne veut pas faire des featurings juste pour le faire et inviter des « grands noms » ; si tu es inconnu et que tu nous envoies un truc qui nous plait, tu peux être sur l’album.
Déjà, sur le votre premier album vous nous aviez gratifié d’un superbe clip pour « Time To Dance », qui mettait en scène l’acteur Jake Gyllenhaal en tueur sociopathe. Vous récidivez ici avec « Drifted », un clip composé uniquement des GIFs les plus connus de la sphère Internet. Cette importance de l’image, elle vient avant, pendant ou après votre création musicale ?
BL : Avant de faire, on réfléchit d’abord à des images qui nous caractérisent, qui nous parlent – c’est notre ligne directrice. On tapisse notre studio de ces images avant de commencer à composer. La pochette de notre album est la première pierre de notre réflexion musicale. Comme un bon journaliste doit fatalement connaître son titre d’article avant de se lancer. (Rires).
GB : L’image nous cloisonne, sans elle on se perd dans des expérimentations.
L’artwork de l’album me fait penser à un personnage de la mini série P’tit Quinquin diffusé l’an dernier sur Arte. Une espèce de revendication populaire artistique.
GB : Mais totalement, on est des « P’ti Quiquin », populaires mais attachants. Ce sont nos racines, on aime cette esthétique populaire et authentique du nord de la France. Une fois, une critique sur les réseaux sociaux m’a fait rire. « Facile de faire de la musique quand on a Papa et Maman qui payent le loyer. » Tu sais d’où on vient, mec ? On vient de la classe populaire, et on en est en fiers ! Et puis, même si cela avait une once de vérité, depuis quand la qualité de ta musique se jauge à l’oseille de tes parents ?
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L’album Chemical est disponible sur iTunes.
The Shoes sera en concert à l’Olympia le 18 novembre 2015.