[#TBT] Luzing My Edge, le blind test de Luz (Charlie Hebdo)

Écrit par Trax Magazine
Le 05.03.2015, à 16h46
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Écrit par Trax Magazine
Trax continue sa série d’article « #Throwback Thursday ». Chaque jeudi, nous re-publions un article paru dans l’un de nos précédents numéros du magazine. Cette semaine, une interview de Renald Luzier aka Luz, à l’époque dessinateur pour Charlie Hebdo, Magic… et DJ selector pour le Pulp, Queen, Nouveau Casino… Il se prête ici au jeu du blind test pour Trax.Article publié dans Trax en 2005 et sur le blog de Violaine Schütz, sa rédactrice.

À la fois dessinateur (dans Charlie Hebdo, Magic…) et DJ selector (au Pulp, Queen, Nouveau Casino), Luz semble avoir le profil parfait du clubbeur invétéré. Ajoutez à son CV des dessins de flyers pour le Rex et la fabrication d’un fanzine Claudiquant sur le dancefloor, qui sort aujourd’hui en livre, vous admettrez alors que Renald Luzier était bien le client prédestiné pour un questionnaire musical. Vérification de l’hypothèse chez lui, où il nous reçoit avec chaleur, toutes moustaches et t-shirt Liquid Liquid dehors.

Tout le monde sait que les DJs sont des escrocs. (rire démoniaque)

Vitalic – My Friend Dario Extrait de l’album Ok Cowboy

Le jour où Vitalic a arrêté de joué du trubcka (instrument traditionnel ukrainien), a été un grand jour pour l’électro. Depuis, “La Rock 01 “ a fait le tour des dancefloors mondiaux et son album risque d’être l’un des évènements majeurs de 2005…

Luz : C’est la première fois que j’ai une interro en musique, mon Dieu, qu’est-ce que c’est que ça ? C’est bizarre. Ça ressemble à du sous Daft Punk. Ça doit être un piège, un truc à la con ! Cerrone ? Ah non, Vitalic ? Je ne me souvenais pas que c’était aussi cheap. J’ai déjà dansé sur ses maxis comme un fou tout seul à la maison.

Trax : Tu étais torse-poil sur Vitalic à la soirée Atraxion, au premier rang ? Tu es souvent dans cet état ? Comment fais-tu alors pour dessiner ?

(Fou rire) J’ai un peu tendance à me perdre en club, quand tout est beau. Il m’arrive souvent de finir torse-poil et carnets en l’air. À l’Atraxion, j’ai fait plein de dessins, mais ils sont incompréhensibles. On ne reconnaît absolument plus rien. C’est rigolo parce que quand on regarde mes croquis et que le trait est lisse, clair, bien vu, c’est que je n’ai ni bu, ni pris de drogue ou que le concert était très chiant. Si le lecteur ne comprend absolument rien au dessin, c’est que le concert était bien. (Il me montre les fameux dessins, The Hacker est reconnaissable, Vitalic se résume à deux traits de crayon, les derniers croquis ressemblent à de l’art primitif, ndlr)

J’ai un peu tendance à me perdre en club, quand tout est beau.

Tu devrais faire un livre avec tous les dessins de fin de soirée.

Mais là ce serait un bouquin d’art contemporain.

David Carretta ressemble à Mesrine sur ce dessin.

On m’a déjà pris pour Carretta, à cause de la moustache et des cheveux longs.

Le titre de ton fanzine Claudiquant sur le dancefloor, c’est parce que tu t’es souvent blessé sur le dancefloor ?

C’est exactement ça. (rires) Je me fais mal tout le temps et après je reviens avec des bleus. Pourtant j’évite les pogos. Je me casse la gueule tout seul. Quand je dessine, je me blesse parfois. Au concert des Stooges au Bol d’or, il y avait des bikers énormes qui me fonçaient dessus et moi j’étais là, avec ma petite gueule de poppeux, totalement écrabouillé. La première fois que je me suis fait très mal, c’était aux Transmusicales 2002, pendant un concert de Radio 4. Je dansais comme un fou, et en descendant les escaliers, et je me suis pété la cheville. Je me suis aussi pété le genou deux fois. Ce qui est pénible dans ces cas-là, c’est que je perds mon carnet et que des gens s’occupent de moi, du coup je rate le concert. Donc maintenant, je fais attention.

LCD Soundsystem – Daft Punk Is Playing At My House Extrait de l’album LCD Soundsystem
Ce nouveau single confirme tout le bien qu’on pense du gars Murphy et prouve que le disco-punk a encore de beaux jours devant lui !

Luz : (en transe) LCD !!! Je les ai découvert en même temps que j’ai découvert l’envie de danser comme un taré. Je suis un jeune clubber. Pendant des années, j’écoutais du punk, ou de la musique introvertie. Je regardais mes chaussures, m’habillais en marron et restais “entre mecs”. J’étais à bloc sur The Fall et là, j’entends chez un disquaire « Losing My Edge », avec la voix de canard à la Mark E Smith [le chanteur de The Fall, ndlr], qui ne chante pas dans le ton, à la fois juste, et pas juste. Ça a été un révélateur : je me suis retrouvé petit à petit à sortir en club. Murphy raconte toujours qu’il a ce vieux passé punk, puis qu’il a pris un ecsta dans une soirée, et que là : « boum ». Moi c’est pareil. J’étais totalement passé à côté des débuts de la techno, de S-Express, et tout ça. Puis j’ai pris un ecsta, et j’ai arrêté d’écouter des trucs déprimants.

Daft Punk – Robot Rock Extrait de l’album Human After All 
Il n’a fallu que six semaines aux rois de la French Touch pour enregistrer les titres de leur nouvel album, attendu comme le messie. Ça s’entend ?
Luz : Daft Punk ! Quelle merde ! C’est ignoble. J’ai l’impression horrible qu’Europe est en train de jouer dans une pizzeria. Ah le retour du métal !

Puis j’ai pris un ecsta, et j’ai arrêté d’écouter des trucs déprimants.

As-tu été sensible à la French Touch, et à Daft Punk ?
Non, je suis totalement passé à côté. Mais moi je suis toujours passé à côté des trucs. J’écoutais la musique des années 70 en 80. Heureusement avec le revival années 80, j’avais l’air moins con. (Il a l’air perturbé) Ce morceau n’a même pas la tendresse d’un film de cul. C’est odieux. Arrête ça !


Rubin Steiner – Universe Extrait de l’album Drum Major!
Le trublion Tourangeau récemment blind-testé vient de sortir un troisième album jouissif qui défie les modes et les étiquettes. Thoré-La-Rochette serait-elle la prochaine Big Apple ?

Luz : Rubin Steiner !

Tu as participé au projet Oumoupo avec lui, puis tu as écrit sa bio ?

On s’est vu, et ça a accroché, au-delà du fait qu’on est Tourangeau (Il y a des Tourangeaux aux Inrocks, et ce n’est pas pour ça qu’on n’est pote). J’ai toujours aimé le côté ludique de Rubin dans ses disques. Quand on s’est rencontré, il avait une bonne bouille, on avait des potes communs, on a bouffé de la chipolette à Thoré-la-Rochette. Et surtout on a découvert que j’ai été son prof de dessin. J’étais remplaçant d’un prof dans un foyer pour jeunes à la con pendant quatre mois. J’avais 16 ans et Rubin 14. Je donnais des gommes et des crayons à des nerds et des punks, en leur disant : démerdez-vous ! À l’époque Rubin avait une crête et préférait faire du skate, ce petit branleur. J’ai découvert l’histoire en rencontrant Rubin, qui m’a demandé si je n’avais pas été au foyer Courteline, si je n’avais pas un prénom à la con (Renald). Je ne lui ai jamais appris le dessin. La preuve : il s’est tourné vers la musique.

Ce morceau n’a même pas la tendresse d’un film de cul.

Hood – The Lost You Extrait de Outside Closer
Le chaînon manquant entre Sonic Youth et Autechre. Hood is good !
Luz : Hot Chip ? C’est intriguant, cette rengaine, avec ce petit côté electro derrière. Philippe Val ? (Il s’énerve.) Je connais, je passe pour un con là ?

Il y a un sample de quelqu’un que tu aimes bien dessus, Robert Wyatt.

Waaah ! Soft Machine me console beaucoup en ce moment. Avec l’histoire des Inrocks [Luz, dessinateur aux Inrocks depuis plus de huit ans, a décidé de quitter le navire suite à une tentative de censure la semaine dernière de la part de l’équipe dirigeante, ndlr], je me suis mis à écouter des Wyatt, comme un bon copain qui te prend la main, et te dit : “allez viens, on va aller voir des nounours, tout va bien”.

C’est Hood.

Là je suis nul. En fait, je me suis toujours dit qu’Hood c’était bien et que j’avais déjà écouté. Je me suis auto persuadé que je connaissais ce groupe mais je ne les ai jamais entendu. Si ces mecs font des samples de Robert Wyatt, je vais les acheter tout de suite.


The Bravery – Unconditional Extrait de The Bravery
Ce groupe DIY new-yorkais est la dernière sensation rock en date lancée par le NME et MTV. Vous en avez déjà marre ? Luz aussi !
Luz : Oui, oui, plus fort. J’ai un trou. Je le passe en soirée en plus. Bloc Party ? Kasabian ? Cure ?

The Bravery.

Ah oui ! C’est pompier, mais moi j’adore ça. Comme Kasabian. Ce sont des gros cons lookés comme des merdes. Puis tu écoutes, et en fait, c’est pas mal. (Il réfléchit en écoutant ce qui passe) The Bravery ! C’est épouvantable en fait. Je crois que je l’ai mis dans les espoirs de l’année 2005 dans Magic. Pauvres lecteurs, je vais faire un mea-culpa dans le prochain numéro. Il faudrait laisser la place aux critiques pour dire qu’ils se sont trompés.

Que penses-tu du « retour » du rock ?

Pour moi, en fait le rock renferme beaucoup de choses. The Bravery est rock, tout comme Adriano Celentano est rock. (Il insiste pour me faire écouter un 45 t rock d’Adriano Celentano, mais ne le trouve pas dans sa pile de disques d’où dépassent quelques samplers Trax, (ouf !)). Tu trouves du rock dans le hip-hop, dans la dance…Ça ne veut plus rien dire. Ce qui doit être bien c’est que les ados ne doivent plus s’engueuler à propos d’histoires de clans. Ça existe toujours les clans ?

Dans mon lycée, il y avait ceux qui étaient rock ou métal, pas très populaires, et ceux qui faisaient les kékés en écoutant du R&B. Et c’était la guerre entre eux…

Et après en fac, il y a ceux qui écoutent du rock indé, et ceux qui écoutent Bénabar. C’est horrible quand tu vas chez des gens, qui ont des platines et des disques, que tu as envie de passer un peu de son, et qu’ils n’ont que des Bénabar, des SanSévérino…

Il n’y a pas besoin de textes pour qu’une musique soit politique

Quand tu mixes, quelle est ta playlist ? Quels sont les morceaux qui marchent à tous les coups ?

Tiga enchaîné avec New Order, sur la compilation Channel 2 d’Output. (Il chante) Après tu fais semblant de toucher les boutons, et les gens croient que ce sont tes propres fondus. J’ai beaucoup fait ça avec le DJ-Kicks d’Erlend Oye. Grâce à lui, les gens levaient les bras.

Tu es en train de révéler tous tes secrets là…

On s’en fout, tout le monde sait que les DJs sont des escrocs. (rire démoniaque)

Les meilleurs endroits ou tu as été sélector ? Au Japon ?

J’ai joué dans un bar avec ma copine, une des DJettes des Girls’n’Roses, à Hong Kong. C’était le seul bar de toute la ville où ils passaient de l’electro, le reste des bars jouaient de la house pouet pouet. Je passais des morceaux rock, du martial un peu binaire, ma copine des trucs groovy. On n’a réussi à faire danser personne. La deuxième fois, on s’est fait virés parce qu’on n’a pas mis de house (rires). En même temps, ça fait bien sur le CV quand tu écris que tu as mixé au Japon.

Asian Dub Foundation – Tank Extrait de l’album Tank
Le plus engagé des groupes anglais. ADF et Luz : même combat ?

Luz : Monte le son pour faire chier le voisin du dessus. Il est violoniste. Les Chemical ? Cornershop ? C’est génial ça ! Non en fait c’est bien atroce.

C’est un groupe très engagé politiquement.

Asian Dub ?

Oui.

Mais c’est bien là. La voix du mec est mieux, moins cockney que sur les précédents albums.

Tu écris dans Charlie Hebdo, est-ce que tu penses que la musique et la politique font bon ménage ?

Non. Quand j’écoute les disques que je reçois à Charlie, ce sont des groupes engagés où les textes seulement sont travaillés. Ils oublient que la musique aussi doit être intéressante. Il n’y a pas besoin de textes pour qu’une musique soit politique. LCD Soundsystem sont politiques parce qu’ils font danser à New York, alors que c’est interdit. C’est déjà de l’action. Une musique qui te lave complètement, te laissant réfléchir à autre chose est politique. Il n’y a pas besoin de faire des rédactions de 3ème pour dire que Sarkozy est méchant.

Une musique qui te lave complètement, te laissant réfléchir à autre chose est politique.

Comment es-tu passé de la politique à la musique ?

C’était au moment où j’ai recommencé à faire des fanzines, et à les distribuer dans des manifs, après les élections du 21 avril, Le Pen, etc… C’étaient surtout des fanzines « contre » quelque chose. Puis j’ai eu envie d’exprimer des pensées plus positives. Et la musique, c’est positif.

Il y a aussi des musiques qui disent non…

Luz : Oui, les Dead Kennedy’s savent très bien le faire par exemple, de manière assez drôle. Le problème de la chanson engagée, c’est le côté « donneurs de leçons » très casse couille.

Francoiz Breut – La Boîte De Nuit Extrait de l’album Une Saison Volée
La discrète française s’est faite découverte grâce aux chansons de Dominique A avant de s’émanciper en solo avec ses chansons mélancoliques.

Luz : Ça ressemble à du Francoiz Breut qui chante bien.

C’est Francoiz qui chante bien.

C’est Dominique A qui doit avoir les boules.

Sur ce morceau, elle dit : « Ne cherche pas ailleurs, sur je ne sais quel dancefloor, je suis toutes les femmes, sors de la boîte de nuit. »

Toutes les filles ! Il ne faut pas abuser non plus, elle va où en boîte ? Dans quelle ville ? J’ai du rater un chapitre, elle doit s’être métamorphosée en Björk …

Je voudrais dire au lecteur de Trax qu’être en backstage n’est pas si mortel !

Est-ce que parfois tu en as marre du dancefloor ?

Pour l’instant je n’ai pas eu de grosse déception. De toute façon dès le départ, je sais qu’il s’agit d’un milieu artificiel. J’y vais pour faire le con, et aussi un peu d’ethnologie.

Dans tes BD tu critiques beaucoup les pass presse, les sweats à capuche, le carré VIP…

Ce qui me fait peur c’est que ces petites obsessions prennent le pas sur la musique. Comme cette manie des badges : plus personne ne veut payer sa place. Je voudrais dire au lecteur de Trax qu’être en backstage n’est pas si mortel ! Ça vaut le coup pour les boissons gratuites, mais comme l’industrie va mal, il va y en avoir de moins en moins. (Il pousse un râle de désespoir). Ça, ça va être vraiment dur !

New Order – Fast Synth Extrait de l’album Waiting For the Sirens’ Call

Les Fab Four mancuniens font leur comeback avec un nouvel album de « retour aux sources ». Ressortez les baggys et le sifflet fluo !

Luz : Waouh, Give it up ! (il lève les bras). Pet Shop Boys ? New Order ? J’imagine très bien Basterra [le rédacteur en chef du magazine Magic, ndlr] se secouer la gomina dessus.

Quels ont été tes meilleurs souvenirs en club ?

La fois où je me suis fait secouer la bite par une des cheftaines du Pulp, parce que je n’arrivais pas à pisser depuis une demi-heure. Elle m’a balancé : « Allez, allez mon petit père, on y va ! »

C’est ton meilleur souvenir de soirée ?

Ah non ! J’ai un souvenir énorme d’une soirée en Hongrie, au Cinetrip, dans les bains chauds. Il y avait trois pistes de danse avec des DJs drum’n’bass partout, et des piscines couvertes. Dans le bain chaud lounge, une danseuse du ventre, genre Natasha Atlas, s’agitait avec un sabre sur la tête et le sabre ne bougeait pas. C’était incroyable ! Dans le genre énorme, il y a eu la soirée Trax au Queen avec les Chemical Brothers, où j’ai fait Jésus, en grimpant sur des filets et assommé trois personnes en descendant. C’est là que j’ai rencontré ma chérie.

C’est grâce à Trax que tu as rencontré ta copine ? (rires) Oui, vous serez témoins à mon mariage ?

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