Enfant du 313, Jimmy Edgar fait partie de la “jeune” génération de la Motor City (il est né en 1983), qu’il a pourtant quittée à 22 ans, pour New York puis Berlin, parce qu’il n’y trouvait pas ce qu’il voulait, dans un mimétisme troublant avec Jeff Mills.
Tu es de Detroit mais tu vis à Berlin. Si on revient plusieurs années en arrière, comment décrirais-tu la ville qui t’entourait alors ?
J’ai grandi dans Detroit, au sein d’une génération qui avait peur du centre de la ville, à cause de la criminalité. Ma famille a déménagé plusieurs fois vers la banlieue pour trouver plus de sécurité. Et ça donnait surtout envie aux jeunes, comme mes amis et moi, d’aller dans les profondeurs de la ville pour explorer tout ça, cet endroit si dangereux. (rires) On se faufilait dans les soirées de ces quartiers. J’ai grandi en écoutant du hip-hop et de la ghetto tech, qu’on appelait alors “booty” et qu’on entendait beaucoup à la radio.
À cette époque, tu n’étais pas du tout influencé par les pionniers de la techno ou la scène house de Detroit ?
Non. Parce que tout le monde était dans la techno, beaucoup de gamins blancs étaient à fond sur Plastikman. Mais quand j’étais plus jeune, quand tout le monde aimait un truc, automatiquement, je n’aimais pas ça ! (rires) Dans la lignée de la ghetto tech, j’ai découvert la drum’n’bass et c’est seulement quand j’ai commencé à acheter des disques que j’ai découvert ce qu’avaient fait Juan Atkins, Derrick May et ces mecs-là. Et puis j’ai commencé à jouer avec eux.
Je respecte beaucoup UR, mais je ne suis jamais rentré dedans.
Donc à aucun moment tu n’as été influencé par Underground Resistance ou les Belleville Three.
Je ne sais pas pourquoi, mais je suis passé à côté de cette génération intermédiaire entre la mienne et Derrick May. Je respecte beaucoup UR, je comprends mieux leur musique maintenant, mais je ne suis jamais rentré dedans. Je suis plus allé vers Derrick, Juan, Kevin, et les mecs de la house comme Mike Huckaby.
Pas d’Eminem ou les trucs de D12 ?
J’étais complètement dans le hip-hop aussi, avec bien sûr, J-Dilla, que je voyais souvent dans les magasins de disques. Je n’arrêtais pas d’acheter des disques, et j’avais déjà des platines puisque j’avais plusieurs boulots assez jeune. Et lorsque j’avais besoin d’inspiration j’écoutais simplement des disques, je les samplais… J’appréhendais les disques d’une façon vraiment hip-hop.
Et tu mixais où à ce moment-là ? Dans les raves en warehouses, des clubs, des bars ?
Pas les clubs parce que je n’avais pas encore 21 ans. Donc la plupart des fêtes vers 1999-2000 étaient des raves. On était vraiment à la fin de cette époque. On a dû faire à peu près vingt grosses soirées, et après c’était fini.
Vous étiez un petit groupe avec Seth Troxler et les autres ?
Je mixais tous les week-ends à la soirée Untitled, qui était organisée par Ghostly International (top label du Michigan, celui de Matthew Dear). Il y avait aussi Dabrye et Ryan Elliott. Seth Troxler, qui devait avoir 16 ans, traînait aussi là-bas. Ça, c’est vraiment une autre époque à Detroit, parce que la scène rave était morte. On avait genre une quinzaine d’années et on ne savait pas ce qu’on faisait, on ne savait même pas où les gens étaient censés danser. C’était vraiment une nouvelle expérience pour nous, on ne savait pas du tout comment ça se passait. C’est vraiment quand on a commencé à aller en club et à découvrir ce que c’était que la musique électronique qu’on a commencé à faire de la musique.
C’était triste de voir ces teufs se finir mais ça devenait vraiment n’importe quoi, tout tournait autour des drogues.
Comment tu pourrais décrire l’atmosphère qui régnait dans les raves lorsque ça s’est arrêté ?
Pour moi, c’était un fin douce-amère. D’un côté, c’était triste de voir ces teufs se finir mais d’un autre, je trouve que ça devenait vraiment n’importe quoi, tout tournait autour des drogues, il y avait des overdoses. Donc c’était bien que ça s’arrête. J’ai entendu dire qu’une nana qui était morte en soirée était la fille d’un juge, et que ça a forcément poussé la police à sévir sur tout ce qu’il se passait. De toute façon, la police a aussi tendance à sévir dès que tu fais pas mal de cash et que tu ne paies pas de taxes sur ça. Ces fêtes étaient illégales, donc ce n’était qu’une question de temps.
J’ai lu que tu trouvais l’air de Detroit plein de tristesse et de négativité… C’est pour ça que tu es parti ?
Oui, absolument. Je sentais que j’avais besoin de changement. Quand on a commencé à faire des teufs, c’était bien plus positif. On s’amusait ! Mais de nombreuses soirées sont devenues surchargées de gens, avec une mauvaise vibe. Et quand ça se transforme de cette façon, ça ne vaut plus le coup, tu dois simplement… avancer. Et on le faisait vraiment, il y avait vraiment des fêtes incroyables autour de 2005-2006, avec des gens qui faisaient des teufs underground mais d’une manière différente. On faisait ça dans les maisons, dans des lofts. C’était l’âge d’or de mon point de vue. Mais quand j’ai commencé, les soirées tournaient vraiment autour de la drogue.
C’est dur de vivre à Detroit ?
Oui. Le temps est imprévisible, il fait froid quasiment toute l’année, si tu ajoutes le chômage, la vie là-bas est plutôt difficile à vivre. Il y a vraiment une manière d’être, une attitude, quand tu es de Detroit, c’est comme une aptitude étrange. Parce que c’est une ville de survivants. C’est juste un endroit très difficile pour vivre donc les gens sont en quelque sorte fiers de venir de là-bas. Mais bon, c’est comme d’autres endroits dans le Midwest…
On n’était pas nombreux !“Aujourd’hui, tu as des gars comme Omar S ou Kyle Hall, mais à part eux, je ne dirais pas qu’il y a beaucoup de nouveaux producteurs. Detroit est une ville très étendue, il n’y a absolument aucune connexion entre les quartiers, à part Facebook. Donc il n’y a pas vraiment d’esprit de communauté, ce que tu as beaucoup plus à Londres par exemple. Les gens sont vraiment isolés donc ils ne découvrent pas vraiment la musique électronique comme avant. Mais depuis qu’il n’y a plus de vraie scène club à Detroit, ça donne envie à de jeunes producteurs de s’y mettre. Mais quand j’étais jeune à Detroit, il n’y avait que Seth Troxler et moi. Dabrye et Matthew Dear n’étaient pas loin aussi. On n’était pas nombreux. Et on se disait qu’on ne foutait pas grand-chose, d’ailleurs ! (rire)”