Du 6 au 22 mars prochain aura lieu en Ile-de-France, la 16ème édition du festival de musiques expérimentales Sonic Protest. Toujours porté par cette ambition de faire se rencontrer, sous le même étendard de la recherche sonore, musiciens de divers horizons – de l’électronique au noise rock, en passant par le rap –, l’événement accueillera cette année une cinquantaine de groupes ou artistes solos. Le public aura le privilège de découvrir leurs créations à travers des performances et concerts singuliers, organisés sur 12 soirées, dans 9 lieux de la capitale et de sa proche banlieue. Une édition 2020 définie comme « XXL » par les programmateurs, qui disent s’être « permis cette dimension pour pouvoir présenter un large panorama [musical], dans des lieux eux aussi fort différents ».
Si l’ampleur de Sonic Protest sera décuplée cette année, les objectifs sur la mixité des publics et démarches artistiques, eux, sont restés les mêmes depuis sa création en 2003. Une époque où le festival n’était alors construit qu’autour de « 2 soirées de 3 plateaux, célébrant la première venue en Europe des géniaux Argentins de Reynols », groupe culte aujourd’hui dissous. « On parlait déjà d’agir pour l’ouverture des clôtures et le mélange sur scène – et a fortiori dans la salle –, afin de s’adresser à tout le monde et de remettre au centre de l’écoute, le plaisir ». Le tout dans « un festival pour les musiques noise, drone et drôles », commente l’équipe de programmation.
Une large programmation dans différents lieux
L’événement a ainsi tout naturellement élargi depuis 2011 son programme à un « cycle d’actions culturelles, afin de rendre encore plus accessibles à tous les publics, des pratiques musicales exigeantes ». Parmi elles ont alors été initiées « des interventions d’artistes en milieu scolaire ou dans des structures spécialisées ». Sans oublier les emblématiques Rencontres Internationales autour des Pratiques Brutes de la Musique, et leur thématique Musiques libres et handicap, qui marqueront le coup d’envoi du festival. Le format consiste en deux journées et soirées de tables rondes, projections et concerts les 6 et 7 mars, pour échanger sur les liens entre les pratiques « des acteurs des scènes expérimentales et celles de personnes en situation de handicap mental et psychique ». Des connexions que l’équipe établit tout d’abord dans une dimension comportementale, à savoir par « l’enchaînement de mouvements particuliers – gestes répétés, scansions et ruptures plus brutales que de normal – impliquant le corps dans une action ». Grande nouveauté pour 2020 : un partenariat avec l’Elan Retrouvé, une fondation qui soigne et accompagne des personnes souffrant de troubles psychiques, et qui permettra à ces 4èmes Rencontres d’être proposées aux professionnels comme séminaire. Une véritable « reconnaissance » de leur importance, selon les organisateurs.
Côté programmation musicale, mixité sociale et expériences sensorielles seront également de mise, avec comme ambition « le partage d’un moment d’exception où chacun a le sentiment que ce qui se joue là ne se reproduira pas », expliquent les programmateurs. Les jours suivants seront notamment marqués par la venue du pionnier du dub jamaïcain Lee “Scratch” Perry à l’Église St Merry à Paris, le 18 mars. Ce dernier sera accompagné de son collaborateur anglais Adrian Sherwood, patron du label culte On-U Sound et coproducteur du dernier album de Perry (Rainford, sorti l’an dernier) et de sa récente version dub Heavy Rain, sur laquelle apparaît notamment Brian Eno. La culture jamaïcaine ne sera pas non plus en reste pour l’avant-dernière soirée du festival, avec le sound system bruxellois Distomobile du label Third Type Tapes, au Générateur de Gentilly.

Le festival proposera également un beau volet techno avec HP, le nouveau projet du bruitiste Russel Haswell et de Powell, fondateur du label londonien Diagonal Records. L’univers lo-fi et noisy de l’Américain Container, justement signé chez Diagonal pour son Vegetation EP en 2016, sera aussi de la partie ; tout comme le minimalisme aux accents indus du combo de Bristol Emptyset, « qui présentera pour la première fois en France son nouveau live A/V ». Dans un registre plus pop et electronica, la soirée du 14 mars sera l’occasion de retrouver les sonorités tribales des Japonais WaqWaq Kingdom, dont la réputation individuelle des membres – Kiki Hitomi et Shigeru Ishihara – n’est plus à faire. Enfin, autre vétéran invité, cette fois-ci du côté du kraut : l’Allemand « précurseur des musiques industrielles » Asmus Tietchens, qui avait notamment formé son premier groupe (Liliental) avec Moebius, moitié des essentiels Cluster – autres proches de Brian Eno.
Exposition et performances expérimentales
Les expérimentations abrasives semblent être un des fils conducteurs de la manifestation, avec la présence d’artistes évoluant dans un style glitch, parfois non loin de l’abstraction pure. C’est le cas, entre autres, de la Française Méryll Ampe, aperçue l’an dernier à la Carte Blanche du collectif parisien Barbi(e)turix pour l’exposition féministe Computer Grrrls de la Gaîté Lyrique, ou de l’Italienne JD Zazie, qui nous plonge dans un univers fascinant fait de bips digitaux et sons de disques durs. Dans un registre plus étrange encore, Sonic Protest accueillera Hair Stylistics, ex- Violent Onsen Geisha qui, de l’avis de l’équipe, est « le plus fucké des bruitistes japonais ». Enfin, le noise et l’expérimental s’aventureront aussi du côté du rock et de ses dérivés (F-Space, Mopcut, Fleuves Noirs…), et du hip-hop avec le funky 2decks, invité lors des Rencontres 2018, ou le producteur palestinien Muqata’a, dont le talent s’est déjà exprimé en Boiler Room.
Outre les divers ateliers proposés durant l’événement, une grande part des performances a été pensée de manière à accentuer cette notion d’immersion revendiquée par Sonic Protest. On pourra notamment en faire l’expérience grâce au travail d’artistes comme Mathias Gmachl, le plasticien qui traduira en images le live de HP, ou encore Thomas Bégin, qui manipule les larsens par une installation faite de fils et de guitares. Autre rendez-vous immanquable : Pierre Gordeeff, « qui passera 7 jours à fabriquer un instrument monumental en composants électroniques, dont il jouera durant un marathon de 7h », le 14 mars à l’Échangeur. Autant de manières innovantes, finalement, de repenser l’implication du public dans un rassemblement musical.
Toute la programmation est à retrouver sur la page Facebook de l’événement ou sur son site Internet.