Par Adèle Beyrand
Le rendez-vous est donné dans un café du 10ème arrondissement de Paris, son QG comme il l’appelle. Papier peint vintage et comptoir en formica, l’interview est animée par les habitués. Entre deux questions, une panne de courant. « J’aime beaucoup ce côté très traditionnel du Paris café des écrivains ». Simon contraste avec cette ambiance Café de Flore, une veste Lacoste sur les épaules, la même qu’il traine un peu partout. Cette image à elle-seule pourrait résumer l’écrivain. Le mélange entre une jeunesse désinvolte et l’univers plus que classique de la littérature française dans lequel il s’est imposé, et qu’il vient un peu bousculer.
Créer sans argent
On commence à parler de son enfance et de ses débuts. Simon grandit au pied de la Montagne Noire, un massif du sud de la France qui sépare le Tarn de l’Aude. Ses parents, apiculteurs, l’élèvent dans un des petits hameaux qui animent le coin. Au milieu de sa campagne héraultaise, il raconte cultiver un goût immense pour la liberté, et une imagination débordante. Le cocktail typique de l’enfant de la cambrousse. Cette capacité à faire du lieu qui l’entoure un immense terrain de jeu, et le début d’histoires sans fin. C’est dans cet environnement que naissent les prémisses de l’écrivain qu’il deviendra, et les décors de son premier roman. « C’était pas doux mais c’était très libre ». Après le lycée, il quitte la campagne et son ennui mortel pour la ville, et pose ses valises à Montpellier. Il y rencontre une nouvelle forme de liberté, beaucoup plus brute, dans l’ivresse d’une ville qui transpire la fête et le monde. Il y rencontre aussi Capucine, qui deviendra sa compagne pour une dizaine d’années. Mais l’indépendance de l’étudiant s’accompagne d’une première précarité. La chaleur de la métropole a raison de lui, il abandonne les études de cinéma qu’il avait entreprises à la fac pour commencer à travailler, se faire un peu d’argent. Dans un magasin de jouet du centre de la ville, il comprend que finalement, cette vie-là, n’est pas du tout celle qu’il veut. « Ça m’a permis de capter que j’allai pas être un très bon élément d’entreprise d’une manière générale. Et je me suis mis à chercher, à réfléchir, à ce que je voulais vraiment faire. Je savais que c’était dans le domaine de la création. »

Fini le sud et sa latence, Simon prend une nouvelle fois ses valises, direction Bruxelles. Là-bas, il intègre l’atelier d’espace urbain de l’école d’arts visuels de La Cambre, dont son ami réalisateur Nicky L. Lapierre lui a parlé. L’ambiance de cette école n’a rien à voir avec ce qu’il a connu à Montpellier. Il arrive tout d’un coup dans ce climat bourgeois, où créer coûte toujours cher, encore plus quand on y croit peu. Pourtant la précarité dans laquelle il vit est la même. Cette école entourée de verdure contraste avec son appartement cloisonné, dans une ville où tout est sombre. Ce drôle de mélange le pousse à écrire le texte de son premier livre L’été des charognes, à apporter un peu de lumière dans sa vie, et comprendre qu’il est possible de créer sans argent. Il prend conscience du potentiel fictionnel de sa Montagne Noire et de l’ambiance de cet environnement dans lequel il a grandi. « J’écris L’été des charognes, qui jaillit très vite, et là je découvre que je sais faire des choses par moi-même. Que le sentiment que j’ai d’être effronté, de me sentir toujours un peu insoumis aux environnements que je fréquente, d’envoyer toujours les trucs un peu chier, d’un coup il se retrouve justifié parce que en fait c’est réel. » Par un curieux hasard, il réussit à refiler son manuscrit à Gérard Berréby, le directeur des éditions Allia. On est en 2017, la machine est lancée.
Insolence justifiée
Simon Johannin a su transformer sa vie en littérature. L’été des charognes naît de la rencontre entre l’univers de son enfance, et le besoin de ses premières années d’adulte. Besoin de créer, de lancer un cycle et de trouver un terrain de jeu. Mais surtout le besoin de prendre conscience de ses propres capacités et animations profondes. Cette dynamique de s’inscrire personnellement dans ses livres le suivra jusqu’à aujourd’hui. Ce qui aboutit sur cette drôle de proximité que l’auteur offre à quiconque lit ses ouvrages, une capacité d’attester, à n’importe quel moment de son œuvre, de la condition réelle de celui qui la raconte. Tout en offrant une histoire qui le dépasse, et à laquelle chacun peut se confronter. Ce premier roman met en scène la jeunesse d’un garçon de la campagne. Tout est brut et on rit avec la misère. La nature est au centre, presque sanctifiée. Puis l’enfant grandit, les jeux de la ferme sont remplacés par les galères de la ville. Et l’insouciance par les questionnements, entre addictions et premiers amours. Le personnage grandit en même temps que l’auteur qui fait connaissance avec l’écrivain qu’il devient.
Pendant ce temps-là, Simon emménage à Paris avec Capucine, et fait la rencontre d’un monde de l’édition bourgeois et fermé. « Moi j’avais 23 ans quand il est sorti, le livre. J’ai aussi fait un peu halluciner les gens avec la dégaine avec laquelle j’arrivais. » Le roman marche, Simon remporte le Prix littéraire de la Vocation ex aequo avec Nina Leger, les autres maisons d’éditions s’intéressent de plus en plus à lui. Mais lui continue sa petite vie de jeune de 23 ans, rencontre des amis, trouve un appart en banlieue, et la même galère qui le suit depuis Montpellier. Ces instants-là inspirent son deuxième roman qui sort deux ans plus tard, Nino dans la nuit, qu’il co-écrit avec Capucine. Une histoire d’embrouille, de combines et d’amitié d’une jeunesse marginale. Jeunesse qui ne se retrouve pas dans la société mais qui n’a pas envie de s’y retrouver non plus, jeunesse qui construit son propre monde. Nino n’est pas le personnage de L’été des charognes, pourtant ils dégagent la même énergie et les mêmes questionnements, à des moments de vie différents. Le roman marche et Simon est de plus en plus implanté dans le paysage littéraire. Mais très vite, il a le sentiment qu’on essaie de l’enfermer dans une boite, celle de l’écrivain qui parle de jeunesse, alors que lui-même sort progressivement de la sienne. « J’ai traversé ces expériences-là et j’ai d’autres choses à raconter, je fais d’autres expériences. » Il sort alors son premier recueil de poésie Nous sommes maintenant nos être chers. Le recueil suit la même ambiance que ces deux romans, cet univers de jeunesse et de questionnement, avec une violence prédominante. C’est la fin d’un premier cycle de vie.
Mais surtout le début d’un autre. Rapidement, l’écrivain est en manque de diversité sociale. Celle à laquelle il était confronté pendant ses débuts, et qu’il ne retrouve plus dans ce milieu parisien trop hégémonique. Il quitte la capitale pour poser une dernière fois ses valises à Marseille. Il retourne dans le Sud de son enfance, de la culture brassée. Simon s’amuse à décrire Paris comme une grande fête. Et si elle l’a longtemps impressionné, aujourd’hui, il la regarde de loin tout en revenant parfois s’y mêler. Avant de retrouver Sud et sérénité. Ce changement d’horizon est pour lui synonyme de renouveau créatif. Un second cycle de vie s’ouvre, marqué par La dernière saison du monde, son second recueil de poésie. L’ambiance sombre et nerveuse de ses premiers ouvrages laisse place au calme et à la lumière. L’écrivain grandit.
Pas deux fois la même chose
Au fil de la discussion, la figure sérieuse de l’auteur au style brut et violent s’efface. Lui-même avoue s’amuser de cette étiquette d’« égérie underground », comme il l’appelle. Sous ses allures crâne rasé et visage dur, Simon joue avec l’image qu’il renvoie. Sur son Instagram, il alterne entre attitudes de diva italienne, maillot Versace sur une chaise de jardin et looks en survêt. Toujours spontané et très libre, dans ce qu’il montre, ce qu’il dit ou ce qu’il créé. Cette liberté se retrouve dans ses livres, auxquels il ne fixe pas de limites. Il raconte être fasciné de réalisateurs ou écrivains pour qui l’immoralité n’est jamais un problème. « Quand j’ai lu Baise-moi [de Virginie Despentes] à 14 ans, ça m’a fait péter les plombs, d’un point de vue moral ce livre est à brûler sur le bûcher. » Sans questions de provocation ou revendication mais toujours dans une dynamique créative. Ses personnages sont marqués par cette immoralité, et ses livres emprunts d’une violence porteuse d’une poétique immense, qui vient définir toute son œuvre.
J’ai lu Baise-moi de Virginie Despentes à 14 ans, ça m’a fait péter les plombs.
Simon Johannin
Ce curieux mélange entre autodérision et sérieux de l’écrivain se manifeste alors dans ses ouvrages par une brutalité contrastée d’un humour libre et déconcertant. La relation qu’entretient Simon Johannin avec la littérature est représentatrice d’une nouvelle génération qui vient bousculer ce monde-là, et s’amuser de sa figure trop studieuse. On est loin du sacerdoce du poète romantique, du cliché de l’écrivain né pour écrire ou du livre sacralisé. La littérature n’est alors plus cantonnée au livre. Elle est libre de se mélanger à tous les arts et tous les univers. Et surtout libre de se réinventer constamment.
En 2019, Simon collabore avec le collectif parisien Contrefaçon et vient mêler ses mots aux notes du groupe, sur le titre « Ancilla Domini ». Avec l’artiste Jardin, il développe le projet vidéo Notes sur la ville, dont découlera le live Brûler dans la ville que le duo continue de performer. Et aujourd’hui, c’est à l’univers de l’opéra que Simon vient se frotter, pour un projet autour du centenaire de la villa Noailles. Roman, mannequinat, poésie, performance, opéra, « je fais ce que je veux et ce que je veux, c’est ne pas faire deux fois la même chose ». Simon n’a qu’une ligne directrice au moment de choisir ces projets : la « rencontre ». C’est de cette manière qu’il a fait son entrée dans l’univers de la littérature, et c’est de cette manière qu’il continue son chemin. Travailler avec des personnalités qui correspondent à la sienne, des projets qui l’emmène vers des lieux inconnus, et une réinvention constante de ce qu’il a pu déjà faire. Quand la question de la stabilité vient à se poser, il est loin d’être inquiet. « J’ai pas peur que ça s’arrête parce que je pars du principe que ça va pas forcément durer, tout est un peu magique. C’est une chance, même si j’ai travaillé pour ça. » Non pas dans une perspective fataliste, mais presque dans l’attente d’un bouleversement sociétal, prêt à tout remettre à zéro. Ou dans l’attente d’une nouvelle excuse pour se réinventer encore une fois.