Ortigia est une toute petite île au large de Syracuse, sur la côte Est de la Sicile. Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, ce joyau d’histoire et d’architecture aurait, selon la mythologie, vu naître la déesse Artémis. Désormais et depuis 6 ans, l’île accueille chaque été un festival qui sublime ses beautés en invitant la scène électronique à exploiter ce cadre magique. Ortigia Sound System, projet fondé par de jeunes locaux étudiants en architecture, a toujours eu pour ambition de faire apparaitre l’île sur la carte des événements électroniques, et de valoriser les richesses du patrimoine culturel local auprès d’un public jeune et dynamique. En invitant des artistes de poids comme des talents émergents à se produire à Ortigia, le festival a petit à petit pris une ampleur européenne et se bonifie chaque année, tout en conservant une identité singulière et forte, empreinte de l’ambiance caractéristique de la vie sicilienne : tranquille, douce, chaleureuse.

Chaque édition s’élabore sur le fil d’un concept, un manifeste qui guide la direction artistique du festival, de la programmation musicale jusqu’aux thématiques des talks, en passant par l’identité visuelle de l’événement. Cette année, le leitmotiv de la sixième édition d’Ortigia Sound System – qui se déroulait du 24 au 28 juillet 2019 – s’inspirait de la chanson de l’artiste local Franco Battiato “Il Sentimiento Nuevo” (1981). « C’est une chanson qui parle d’amour, et du fait que l’amour est la seule chose qui aurait perduré, de la naissance du monde jusqu’à aujourd’hui. », raconte Germano, directeur artistique et programmateur du festival. Il décrit ce “sentimiento nuevo” comme le fruit d’une reconnexion à l’essentiel, à ce qu’il y a de plus simple, de plus pur. C’est donc guidé par cette idée que Germano a conçu la programmation de cette année : « J’essaie de retrouver chez les artistes et leur travail la pureté, la sincérité, et le rapport à la simplicité qui émane de ce lieu. Ce n’est pas seulement une question de musique, c’est aussi une question d’humain, de tempérament, d’équilibre et de façon de créer. Le plus important n’est pas ce qu’on fait mais comment on fait quelque chose. »
Chez les festivaliers, ce retour à l’essentiel s’opère de lui-même, invoqué par l’équilibre de la rencontre entre un événement électronique jeune et un lieu antique comme Ortigia. En programmant les artistes à différents endroits de l’île tout au long de journées qui semblent alors délicieusement longues, le festival pousse à contempler les différentes facettes de la culture locale. En journée par exemple, le DJ booth de l’émergente (et prometteuse) webradio coréenne Seoul Community Radio, installé sur le marché d’Ortigia, faisait vibrer les festivaliers et les touristes en balade. Confortablement installé, se régalant à la fois des mets dont seul ce pays a le secret et d’une sélection musicale aussi pointue que variée, on pouvait regarder les poissonniers, pesce sapa (espadon) à l’épaule, et les marchands de fruits aller et venir sur des rythmes électroniques tranquilles. Mention spéciale ici au set du jeune producteur local ELIO, qui combinait deep house, breaks et hip-hop avec la légèreté d’une plume sous un soleil de plomb. Plus tard, des boat parties invitaient les festivaliers à observer l’île depuis le large, encerclés par une eau transparente et en la (très bonne) compagnie d’artistes de poids tels que Leon Vynehall, Danielle ou encore Jamie Tiller.
En début de soirée, le toit-terrasse d’un restaurant face à la cathédrale de Syracuse, somptueuse église bâtie sur les vestiges d’un temple grec, accueillait les jeunes talents de la scène locale. Les concerts du soir animaient quant à eux l’esplanade imposante du château Maniace, ancienne citadelle du XIIIème siècle dominant la mer Ionienne. Ce dancefloor d’exception caressé par les vents aura accueilli l’inénarrable Giorgio Moroder et son “Italian summer special set” sur la grande scène, ainsi que le puissant groupe de Kinshasa Kokoko!, ou l’immense batteur Yussef Dayes. On aura également pu y apprécier les sourires de Myd, la joie communicative de Ross From Friends, et la versatilité de l’irrésistible set de Jamie Tiller. C’est aussi entre ces murs que s’est organisé le tout premier Boiler Room de Sicile, réunissant la nouvelle et remarquable perle de NTS RadioDanielle, le jeune producteur romain et résident de Rinse FranceLamusa II et l’implacable Call Super. Deux de ces nuits se poursuivaient sur une after party en pleine campagne, dans le jardin d’une villa sicilienne. Les plus téméraires auront pu voir le soleil se lever dans une ambiance magique habillée des kicks de Pearson Sound, Elena Colombi ou encore Ben UFO.
Avec une subtilité presque enchanteresse, l’Ortigia Sound System réactive chez ses festivaliers des besoins simples, primaires, et une sorte de candeur adolescente qu’il est difficile de conserver dans la vie citadine. Manger, faire la sieste, regarder les étoiles filer et l’aube se lever, s’émerveiller devant la beauté d’une bâtisse chargée d’histoire comme devant des draps qui sèchent au soleil, s’enivrer, danser toute la nuit… Dépouillées des impératifs de la ville, ces activités deviennent seules nécessités. C’est cette injonction à l’oisiveté qui insuffle au festival ses effets salvateurs et lui donne son caractère hors normes. L’Ortigia Sound System est une sorte de festival-thalasso dont on repart vivifié, un « festival bien-être », comme disait Germano bien avant qu’on puisse comprendre ce que cela voudrait dire. Car les bienfaits d’un tel événement ne se mesurent que lorsqu’il s’arrête, et se contemplent encore longtemps après l’avoir quitté. L’Ortigia Sound System est un événement généreux, qui, outre les courbatures et les souvenirs, a enrichi le cœur et le corps d’un sentiment étrange et pur, de nostalgie mêlée de paix, d’étourdissement et de calme, de fraîcheur et de sagesse. Un sentiment nouveau. Le sentimiento nuevo.
