Les soirs de veillée funèbre, on peut l’entendre hurler dans les collines irlandaises. Les cheveux tombant sur des épaules couvertes d’un long drap, pieds nus, la banshee effraie et fascine. Mythe féminin ultra puissant de la mythologie celtique irlandaise, cette créature est considérée comme la messagère de l’Autre Monde, la protectrice des défunts. Certes, Band.she a tout d’une entité bien vivante, mais son nom est largement inspiré de la légende macabre. Et pour cause, à sa tête œuvrent deux sorcières, Svéa Cauquil et Julia Ronget.
No women’s land
Tout commence à Petit Bain en 2018, à Paris. Svéa, régisseuse générale, revient d’une tournée fatigante et fait des remplacements sur le bateau, dont la billetterie est tenue par Julia. Entre deux soirées, les deux femmes discutent du monde de la musique live, ses techniciennes et ses régisseuses qui galèrent à assoir leur légitimité sur le terrain. Un terrain aride, où les femmes sont rares. Selon une étude Prodiss, on compte 27% de femmes techniciennes intermittentes pour 73% d’hommes à statut équivalent. Lors de ce fameux séjour, Svéa s’est par exemple retrouvée sur un plateau de 37 hommes pour 3 femmes. Excédée, elle a voulu sauver sa peau et celles des autres intermittentes. C’est donc tout naturellement qu’elle s’est entourée de Julia, chargée de production chez W Spectacles et Bastien Sicaud, un ami, trésorier et comptable de la Cigale.
On peut poster son CV en ligne et montrer son travail avec des photos, des vidéos et des liens.
Svéa Cauquil
Mais de quoi est fait Band.she ? Concrètement, c’est une association visant à valoriser les profils féminins qui travaillent dans la musique live : les techniciennes, les bookeuses, les musiciennes et les régisseuses. L’objectif : créer un réseau de personnalités féminines qui sont sur le terrain, une sorte d’annuaire ++ pour faciliter les échanges avec les employeur·se·s. « Mais Band.she n’est pas seulement une liste de nom », renchérit Julia. « On peut poster son CV en ligne et montrer son travail avec des photos, des vidéos et des liens. » Sur le site, on retrouve ainsi une véritable plateforme de recrutement, qui enregistre ses premiers profils depuis le mois de septembre. À l’instar de Malt, LinkedIn ou Indeed, Band.she propose aux demandeur·se·s d’emploi comme les recruteur·se·s de postuler à des annonces et de consulter les profils. On retrouve également une messagerie instantanée, des interviews d’artistes et de professionnelles. Un agenda est également mis à jour régulièrement pour se tenir au courant de la tenue de prochains ateliers, concerts et talk.
Tout cet attirail se déploie pour « répondre à un manque d’initiative criant », martèlent les deux banshees. Svéa témoigne : « Tous les jours, tu as quelque chose à prouver, tu es dans un rapport de force incessant. » Si d’autres annuaires du même acabit existent de l’autre côté de l’atlantique, elle ne vont pas assez loin, selon la régisseuse. « Ok, elles présentent des profils, mais ce que l’on veut, nous, ce sont des compétences ! », expose-t-elle. Pas assez formées, peu nombreuses, avides de légitimité, les techniciennes et régisseuses se heurteraient ainsi davantage à un plafond de verre. Que ce soit par rapport aux hommes, ou même aux autres femmes issues de corps de métiers différents. En témoigne l’étude citée plus haut : 33% des femmes occupent des postes dans la musique et le spectacle vivant. Ce chiffre monte à 48% pour tous secteurs confondus.
On est livré·e·s à nous même, baigné·e·s dans une culture masculiniste te poussant à croire que “si tu ne tiens pas le coup, c’est que tu n’es pas fait·e pour ça.”
Svéa Cauquil
Parée pour la tournée
Au centre de ce désert aux vents violent, la tournée et son tour bus. L’empire du cool où la frontière du perso-pro se dissout dans l’alcool et la bonne humeur. Un microcosme éphémère, d’après Svéa, duquel personne ne peut sortir : « Comme on est souvent dans de petites structures, il n’a pas de RH. Donc il n’y a personne dont le métier est dédié au bien être de l’employé pendant les tournées. On est livré·e·s à nous même, baigné·e·s dans une culture masculiniste te poussant à croire que “si tu ne tiens pas le coup, c’est que tu n’es pas faite pour ça”. » Le plus souvent, quand Svéa se plaint de ses conditions de travail, on lui reproche d’avoir choisi un métier dur. « Mais non », contre-attaque la banshee, « on n’est pas censé·e·s en chier autant. Dans ce milieu, on ne parle jamais des risques psycho-sociaux. Donc une omerta se met en place et on nous tombent dessus quand on est trop faibles. C’est un cercle vicieux : si tu ne tiens pas le coup, on ne te recommande pas pour les prochaines missions. Et tu n’as jamais l’opportunité de te former plus. Donc d’acquérir de la légitimité. »
En somme, le but de l’association est de bannir la phrase : « j’aimerais embaucher plus de meufs mais je n’en connais pas. » – « Bah regarde, elles sont là », rétorque Julia, d’un sourire malicieux. Depuis deux ans, Band.she mise également sur la formation de ces profils féminins. À l’instar de leurs interventions au Iomma ou dans les promos des Formations d’Issoudun, le duo encourage les jeunes apprenties à se lancer. Tel un petit plouf avant le grand plongeon, elles sensibilisent aux difficultés liées au genre rencontrées sur le terrain. À l’avenir, l’association souhaiterai organiser des sessions de quatre après-midi dédiées au son, la vidéo, ou encore la MAO. Si le but n’est pas non plus de labelliser leur apprentissage, la mission de créer un réseau de technicienne est accomplie. Mais surtout, l’acquisition de compétences permettrait à ces identités féminines d’accéder enfin à des postes clés. Et donc, de tout faire péter.
Retrouvez Band.she à BIS Nantes (Biennales Internationales du Spectacle) le 19 janvier 2022. Julia et Svéa participeront notamment à la table ronde : « Quelle place pour les femmes aux postes techniques à responsabilité ? ».