À peine pubère, le kid du Michigan bookait Magda, puis jouait son premier set au Panorama Bar à l’âge de 19 ans, devenant (logiquement) une star des platines à 22 ans. Consacré DJ numéro 1 par le classement annuel de nos confrères de Resident Advisor en 2012, qui l’avaient décrit comme un “clown qui a la classe”, l’expatrié américain confesse s’être un peu laissé aller dans le booth avant de se remettre en question et sur le droit chemin. Son attitude, en revanche, est restée iconoclaste. Seth Troxler n’hésite jamais à balancer sur ses collègues et leur ego trop gonflé, à les clasher (Nina Kraviz ou Steve Aoki en ont pris pour leur grade et on se souvient de son embrouille avec DJ Sneak sur Twitter), ou à se mettre en scène, comme quand il s’était fait photographier dans une baignoire, juste après le bathgate de la DJ russe, ou carrément à poil en train de manger une banane. Une attitude qui en fait un artiste enfin original dans ce milieu parfois trop stéréotypé qu’on critiquait dans notre article consacré à Prodigy en mars. Un type tellement exubérant qu’on en oublie parfois sa musique.
DJ hors pair, Seth Troxler a aussi laissé quelques bons souvenirs en tant que producteur. Après des disques chez Wagon Repair, Wolf+Lamb ou Circus Company (à chaque fois au moment où ces labels étaient au sommet) et un coup de génie (sa collaboration avec Phil Moffa sur Blue Rawls et son clip freaky), Seth Troxler a délaissé (comme tout le monde) la minimale pour tendre vers les sons acid, ce qu’il fait toujours, comme en attestent ses derniers tracks sortis au printemps, CZ ou Evangelion.
Intelligent, curieux, connaisseur, marrant, insolent, Seth Troxler a toutes les cartes en main pour rester au top. Et comme en plus, c’est un sacré bon client pour la presse, on a fait le tour avec lui de l’actualité électronique pendant qu’il commandait un plat dans un resto londonien. Nina Kraviz, Ten Walls, l’EDM, son départ de Visionquest, ses nouveaux labels, le barbecue master (il a gagné trois fois le concours de cuisine de l’Amsterdam Dance Event) est passé sur le gril. Et on s’est régalé.
Rencontre avec Seth Troxler
Après quelques années à Berlin, tu t’es installé à Londres depuis trois ans. Qu’est-ce que tu penses de la culture club en Angleterre ?
C’est vraiment bien ici, il y a plein de fêtes underground. C’est une des villes où il y a le plus de clubs au monde. Berlin, c’était cool, mais au bout d’un moment, ça m’a saoûlé. Ce n’était plus ma vibe.
Tu as toujours le temps d’aller en soirée quand tu ne joues pas ?
Pas vraiment. Quand je suis ici, je reste à la maison, je sors assez rarement en dehors du cinéma ou dans les fêtes où je joue. J’aime bien être avec mes amis, je sors rarement seul. Sauf qu’ici, on fait des choses “normales”. Une grosse partie de ma vie est absorbée par le clubbing, donc j’essaye de consacrer le reste de mon temps à autre chose. Et puis les DJ’s qui m’inspirent sont mes amis, que ce soit les Martinez Brothers ou la famille Circoloco. Quand ils ne sont pas là, franchement, je n’ai pas envie d’aller voir des amateurs (il se marre). J’ai passé trop de temps dans des clubs crados, donc maintenant, quand j’ai quelques heures pour moi, je préfère les passer avec des gens normaux.
Tu vois toujours les gars du label Visionquest (Ryan Crosson, Lee Curtiss et Shaun Reeves), que tu as quitté l’année dernière ?
Oui, mais pas souvent, à dire vrai.
Comment ont-ils réagi quand tu as lancé tes trois nouveaux labels l’an passé, Tuskegee, Soft Touch et Play It, Say It ?
Ce n’était pas dingue… La décision de quitter Visionquest a été prise de façon semi-mutuelle. Ils n’étaient pas contents de la situation et moi non plus. Ils trouvaient que je contrôlais un peu trop de choses. On a donc décidé de se quitter bons amis, histoire que ce ne soit pas trop moche.
Ryan Crosson a expliqué que ton départ a sauvé votre amitié. C’était vraiment si terrible que ça à la fin ?
Ryan a raison. En fait, quand tu es dans un groupe, et que les autres personnes veulent aller dans des directions différentes, c’est vraiment difficile. J’avais des idées et je voulais les emmener jusqu’au bout. Mais quand les trois autres n’ont pas les mêmes envies… Ce n’est pas grave, ce sont des choses qui arrivent. Dans un collectif, si tu veux que ça marche, il est nécessaire d’avoir la même mentalité. Dans Tuskegee, avec les Martinez Brothers, nous sommes alignés, nous avons tous la même mentalité. On sait exactement ce qu’on veut, que ce soit en termes de carrière, d’idées et de la façon de les présenter à nos fans. Si on n’a pas la même idéologie, c’est difficile d’avancer.
Dans une interview à The Independent en décembre dernier, tu disais quelque chose d’intéressant à propos des blagues que tu faisais avec les Martinez sur le fait que la musique électronique vous a permis d’échapper à “un futur stéréotypé”.
Si tu regardes les infos aujourd’hui, et la façon dont la culture black est traitée aux USA, c’est extrêmement négatif. En Amérique, être noir, c’est être dans une minorité. Tu n’as pas les mêmes opportunités que les autres. Les Martinez viennent du Bronx, je viens de Detroit, j’aurais très facilement pu devenir une statistique, un numéro de casier judiciaire ou même un autre gamin black mort. Grâce à la musique électronique, j’ai pu découvrir les autres cultures du monde et devenir la personne que je suis aujourd’hui. Sans ça, je ne suis pas sûr que j’aurais eu ces opportunités.
Tu es Européen d’adoption. Si tu étais né ici, tu penses que tu n’aurais pas eu à te battre autant qu’aux USA ?
Peut-être. J’aurais sans doute eu plus de culture mais la musique m’a ouvert des horizons. En Europe, il y a un peu plus d’égalité. La ségrégation raciale est beaucoup plus forte aux Etats-Unis, en termes de culture et d’identité. En Europe, c’est plus facile pour les gens.
On parlait à un promoteur récemment, elle nous disait que la techno est la musique sans doute la plus ouverte de toutes, en termes de racisme ou de sexisme, par rapport au rock ou au rap. Tu es d’accord avec ça ?
Oui, complètement. C’est une culture basée sur l’ouverture d’esprit.
Pourtant, tu as annoncé que ton label Tuskagee serait réservé aux artistes issus de minorités ethniques. Ça ne va pas à l’encontre de cet état d’esprit ?
Ce n’est pas la seule idée mais c’est le concept principal : sortir de la musique composée par des gens issus de minorités. On veut créer une plateforme pour leur montrer qu’ils ont une chance.
Est-ce que tu prévois d’inclure des femmes sur ce label ? Elles sont aussi minoritaires dans les line-up des clubs et festivals.
Oui, c’est une bonne idée, je n’y avais pas vraiment pensé, mais on peut trouver des femmes. Le truc, c’est de trouver des femmes qui ont le même niveau. Le problème, pour les femmes comme pour les gens issus de minorités ethniques, c’est que, vu qu’il y a moins d’opportunités, ils n’y vont pas en nombre. Statistiquement, c’est donc plus difficile de trouver des artistes de qualité.
Tu penses que les femmes ont moins besoin d’aide que les artistes qui ne sont pas blancs ?
Je pense que les deux ont besoin d’aide. Honnêtement, je pense qu’il y a plus de femmes qui montent dans la musique électronique que d’artistes non-caucasiens. Si tu regardes bien, il y a rarement plus de 5 ou 6 Noirs dans les line-up. Tous ceux qui ont été persécutés doivent s’investir. J’aimerais bien trouver des artistes du Moyen-Orient aussi. Mais je suis sûr qu’on va inclure des femmes sur ce label, ce serait super.
Ton profil est original dans le monde de la musique électronique. Tu es complètement dedans et en même temps, tu as un point de vue assez distant sur la communauté.
J’essaye de prendre le maximum de perspective. J’analyse beaucoup de choses. Beaucoup de gens voient la musique électronique comme un monde plat aux valeurs stables. Moi, je la vois plutôt comme une culture et je pense qu’il y a beaucoup de choses à changer pour l’améliorer. Donc je la regarde comme un ensemble. J’essaye de ne pas juste voir les situations qui se présentent, mais de regarder au-delà, sinon c’est ennuyant et c’est une attitude un peu paresseuse. J’ai 29 ans et je trouve que sortir de la musique sans aucun concept derrière est chiant. Il y a tellement de choses à faire… La musique électronique est la seule scène dans le monde où un individu a la possibilité de faire tout ce qu’il veut. Dire ce qu’il veut, sortir de la musique sur n’importe quelle plateforme, de la façon dont il le souhaite, avec l’artwork et le message qu’il choisit. Et personne ne saisit vraiment cette opportunité ni n’utilise ce pouvoir. Alors que dans la pop, le rock ou le hip-hop, tu ne peux pas dire autant de choses, parce que dans la pop culture, tu as toujours des gens pour te dire que tu ne peux pas faire ci ou ça. Dans le hip-hop, si tu dis une connerie, c’est fini, tu n’es plus cool. Dans la musique électronique, parce qu’elle est ouverte d’esprit, tu peux vraiment dire et faire ce que tu veux, pour changer les choses.
Tu le fais à ta façon, en t’amusant.
Oui, parce qu’on se ferait vraiment chier sans déconner un peu. Allez, détendez-vous !
On peut tout dire dans l’électro mais ça ne réussit pas à tout le monde. Ten Walls par exemple…
Ten Walls a vraiment abusé. Une bonne partie de la musique électronique trouve ses bases dans la culture gay et les choses qu’il a écrites, franchement… Ce n’était pas juste : “Je n’aime pas les gays.” Il est parti très loin, à dire qu’ils étaient des êtres humains différents. C’est le genre de préjudices contre lequel notre culture s’est toujours dressée. Je suis assez content ce qui lui arrive, il l’a bien cherché, et de toute façon, sa musique était horrible… Ça fait d’une pierre deux coups, c’est super.
Tu penses toujours que le monde des DJ’s est trop sérieux ? A l’ADE, tu comparais certains de tes collègues à une bande de vieux PDG qui passent des disques.
C’est toujours trop sérieux. Ils sont tous là, à faire attention à leur image, à se dire “il faut que je fasse ci ou ça” pour être dans le coup, ce genre de trucs de merde. Mais mec, t’es juste un putain de DJ, arrête un peu ! Ce n’est pas si important de jouer dans des fêtes. Si tu dois être aussi sérieux, fais-le à propos de quelque chose d’important pour le monde et utilise ta voix pour tenter de faire la différence.
Pour toi, Seth Troxler est une marque dont il faut gérer l’image ?
Je le fais de façon légère. La seule chose qui m’importe quand je dois gérer mon image, c’est de m’assurer que je suis représenté par ma vraie personnalité et pas comme un singe qui danse ou un pantin. Je ne suis pas comme les autres mais je suis aussi un gros DJ. J’ai un manager et tout ça… Il m’arrive de travailler avec des marques et elles veulent que je fasse certains trucs. Et parfois, il n’y a qu’une chose à leur répondre : Allez vous faire foutre ! Je ne ferai pas ça !
Ce comportement et ces tacles que tu mets parfois t’ont-ils posé des problèmes dans tes relations avec les autres DJ’s ?
Pas vraiment. La plupart des gros DJ’s sont des amis proches, je dirais 80 %. Après, parmi les 20 % restants, comme Nina Kraviz, on ne s’entend pas, c’est tout. Je me fous de ne pas m’entendre avec des gens qui se prennent trop au sérieux. C’est une question de personnalité.
C’est quoi le problème avec elle ?
C’est une bonne DJ mais ce n’est pas une bonne personne. Ce n’est que mon opinion, évidemment, mais elle est partagée par pas mal d’autres gens.
Tu ne penses pas qu’il y a trop de fondamentalistes dans la techno, que ce soit parmi les DJ’s mais aussi dans le public, qui est parfois très rigide ?
C’est clair, il faut vraiment s’ouvrir l’esprit. C’est comme ces puristes du vinyle qui viennent te faire chier si tu joues des CD. Arrêtez ! Je collectionne les disques, je joue la plupart du temps sur vinyle, mais j’utilise parfois une clé USB. Et ce n’est pas si grave. Après, personnellement, je trouve que les DJ’s qui jouent sur ordinateur, c’est un peu de la merde. Mais je trouve les gens beaucoup trop militants sur le son ou sur l’underground. Rien n’est vraiment underground, tout ça c’est une blague, c’est juste une fête, les mecs.
Il y a deux ans, tu affirmais ne vouloir jouer que dans des petits clubs sombres. Tu as réussi ?
J’ai fait ça l’an passé et je suis reparti sur des clubs plus gros. On essaye d’équilibrer les choses. Et ça se passe plutôt bien en ce moment.
Mais tu joues toujours dans les gros festivals.
(Il prend une intonation de rappeur) C’est comme ça que je gagne de l’argent, mec ! Il faut bien que je paye ma maison !
Tu as joué à l’Ultra Music Festival à Miami cette année ? Le mois dernier, Diplo nous disait que c’était vraiment mort et que l’EDM était en train de claquer.
Cette année, j’ai joué sur la scène de Carl Cox. C’est vrai que c’était mort mais c’est toujours cool de jouer avec Carl Cox. Il programme des artistes plus underground, et c’est bien de donner la possibilité à 6 000 ou 7 000 kids d’écouter de la musique de qualité. Peut-être que quelques-uns se sont échappés des scènes EDM et se sont dit : “Tiens, la musique est meilleure ici.” Je pense que de nombreuses personnes présentes à l’Ultra ont réalisé que l’EDM était morte et ils commencent à vouloir revenir vers notre musique. Je trouve que c’est génial d’être un pont pour certains jeunes. Je ne crois pas passer pour un vendu en faisant ça. C’est un début, il faut que nous, DJ’s, soyons là pour accompagner ces jeunes, et que des magazines comme Trax fassent aussi leur job pour les amener vers des choses plus pointues. Quand tu as 17 ou 18 ans, que tu cherches des informations, tu vas vers les médias et les gros events pour apprendre. Et il faut qu’il y ait quelqu’un pour défendre “la vérité”. C’est leur porte de sortie hors de l’EDM.
Donc il y a de l’espoir.
Oui ! Beaucoup !
Tu penses que l’EDM est un danger pour la techno ou la house “authentiques” ?
Non, ce n’est pas un danger, c’est juste autre chose. Pendant un temps, le danger était que les DJ’s EDM se présentaient comme les représentants de notre culture. Aujourd’hui, on arrive à un point où certains artistes montent au créneau. John Digweed par exemple, quand il dit qu’il faut faire la différence entre art et divertissement (sur MTV fin mars, ndlr)
Tu penses que les DJ’s devraient être plus engagés politiquement ou sur des sujets environnementaux ?
Tous ceux qui ont une voix qui compte devraient s’engager pour leurs convictions. Nous sommes dans une époque inquiétante, que ce soit sur le plan social ou environnemental. Ca pourrait devenir très compliqué dans un futur proche, avec les inégalités entre riches et pauvres grandissent, le réchauffement climatique, une guerre mondiale qui pourrait éclater… On pourrait résoudre les problèmes si suffisamment de personnes en prenaient conscience.
Est-ce qu’on peut être un DJ engagé tout en étant un mec fun comme tu l’es sur les réseaux sociaux ?
Je m’amuse sur les réseaux sociaux parce que j’aime ça. Mais j’essaye d’être de plus en plus réfléchi. Parce que si tu fais des blagues tout le temps, ce sera difficile d’être pris au sérieux quand tu voudras parler de sujets vraiment importants. Même musicalement, ça me pose parfois des problèmes. Je joue des disques vraiment deep, pointus et underground, mais les gens me prennent souvent pour un Solomun, juste parce que je suis populaire. Mais ce n’est pas du tout le même monde. Solomun est un mec super mais on ne fait pas la même chose. Avec l’âge, j’apprends à me protéger, afin de pouvoir pousser mes idées plus loin. J’ai bientôt 30 ans et quand j’étais plus jeune, j’aimais faire le con. Maintenant, j’ai compris que je ne pouvais pas dire tout ce que je voulais et qu’il fallait faire un peu plus attention pour que passer mes idées plus efficacement.
Ton beau-père était animateur à la radio. Ça t’a aidé à te construire une perception différente du monde des DJ’s ? Est-ce pour ça que tu es un peu un original dans cette communauté ?
Oui et pas seulement ça. Quand j’allais dans des soirées, gamin, je me disais : “Mais je connais ce son !” Je ne l’avais juste pas expérimenté dans ce contexte. Avoir été exposé à la dance music à 7 ou 8 ans m’a énormément apporté.
Quel genre de musique jouait-il ?
Mon beau-père passait des disques de Trax, de la house de Chicago, du hip-hop ou du R&B. Ma mère était dans la deep house, elle adorait Little Louie Vega. Jusqu’à 13 ans, je vivais à Kalamazoo, une ville du Michigan qui se situe exactement au milieu entre Detroit et Chicago. Puis, j’ai déménagé dans la banlieue nord de Detroit. C’est là que j’ai commencé à mixer. Après, j’ai vécu à Detroit même pendant deux ans quand j’étais à la fac.
Tu as commencé à mixer avec le crew de Ghostly International (label de Mattew Dear et Tadd Mullinix, notamment, ndlr).
Oui, j’étais encore un gamin. J’avais 15 ans quand j’ai commencé à jouer pour leurs soirées à Ann Arbor. Je leur vendais des disques, donc ils m’ont invité. Je jouais le mercredi soir, ma mère m’emmenait en voiture jusqu’à Ann Arbor, à 150 km de là. C’était dingue.
Tu jouais aussi en rave à l’époque ?
Oui et j’en fais encore. Ma première rave, c’était en 2003 avec Magda, c’était ma première tête d’affiche. Ensuite, Ryan Crosson et moi avons commencé à produire nos propres events et on a fêté en mai les dix ans de notre soirée Need I Say More, au Old Miami, une salle de Detroit, lors du festival Movement.
L’an passé, Jimmy Edgar nous racontait cette période du début des 00’s. Il disait que ni toi ni lui ne savaient vraiment ce que vous faisiez.
Jimmy Edgar allait au lycée juste en face du nôtre. De cette période, il y avait peut-être 100 ou 150 personnes, la plupart étaient DJ’s, à faire des petites fêtes dans des bars. C’est hallucinant de voir Jimmy et les autres à ce niveau aujourd’hui, tant d’années après.
Tu as des souvenirs forts de cette période ?
Bien sûr, cette époque m’a façonné. Les gars de Perlon venaient de temps en temps, Ghostly International faisait sa soirée Untitled, il y avait Todd Osborn, les DJ’s de Playhouse, de Kompakt… On était juste des gamins qui allaient en club pour des soirées super cool. À cette époque, la minimale commençait tout juste, avec la tendance Cologne. En 2005, j’ai fait mes premières tournées en Europe, grâce aux gars de M_nus ou Circus Company en France. Pour moi, c’était un changement énorme.
À ce moment, il n’y avait plus grand monde de la vieille garde de Detroit en ville.
Oui, Detroit bougeait au rythme de Richie Hawtin et M_nus et Ghostly International, ça jouait beaucoup de techno européenne. En fait, l’héritage de la ville était un peu ennuyant pour nous. Tout le monde était là : Detroit, Detroit, Detroit, mais nous, on connaissait déjà tous ces disques ! Pour nous, les trucs cool venaient d’Europe et d’Allemagne. C’était notre manière de rêver à autre chose. Les classiques de Detroit, c’est super, mais on les entendait tous les week-ends à la radio.
En fait, après quelques petites années à mixer à Detroit, tu te sentais déjà à l’étroit.
Oui, c’est pour ça qu’on faisait des raves : la scène clubbing de Detroit a toujours été petite, il n’y avait pas grand monde pour sortir. À quelques exceptions près, genre les fêtes de Richie Hawtin, les soirées rassemblaient entre 150 et 300 personnes en moyenne.
Je suis venu en Europe à 18 ans et j’ai joué en 2005 au Panorama Bar pour la première fois. Ça a explosé pour moi et je suis parti en Europe deux ans après, en 2007.
Jouer à 19 ans au Panorama Bar, ça met une claque ?
Tellement. C’était incroyable, je ne comprenais même pas tout ce qu’il se passait, c’était un peu too much, très sexuel. Voir les gays faire des trucs comme ça, quand tu as 18 piges et que tu viens de Detroit, ça fait bizarre. “Ha ok, c’est acceptable de faire ça ?!” Ça m’a ouvert l’esprit.
Juste l’esprit ?
Haha, oui, juste l’esprit.
Parle-nous un peu de l’Acid Future Party que tu organises à Londres au Tobacco Dock le 8 août. Le line-up est assez dingue, avec DJ Harvey, Jackmaster, Marshall Jefferson, Skream, Craig Richards…
C’est un truc auquel on pensait depuis longtemps avec les Martinez, faire une grosse fête bien cool avec de la musique de qualité. On va faire découvrir quelques-uns de nos artistes et d’autres qu’on aime beaucoup. Tuskegee est la manifestation d’un nouveau son acide, c’est vers ça que je penche en ce moment. De l’acid 2.0, avec les mêmes éléments, mais basé sur des techniques de production modernes. Ça devrait être cool. Tout le monde aime la nostalgie.
Il y aura une distribution d’acides pour tout le monde ?
Je sais que moi, j’en prendrai, après, les autres font ce qu’ils veulent !
Fais gaffe, prendre de l’acide avec un barbecue, ça peut être chaud.
J’adore manger de la viande et tripper en même temps…
Tu as remporté trois fois le DJ Cook off, le concours de cuisine de l’Amsterdam Dance Event. Tu as des bonnes recettes pour le barbecue ?
Oui, mais je ne vais pas les donner. Je vais ouvrir un food truck d’ici quelques mois au DC 10 à Ibiza. Ce sera fait en septembre si tout va bien.
Quel est ton ingrédient secret ?
L’ingrédient secret, c’est ma sauce barbecue familiale. C’est mon grand-père qui l’a inventée, elle est délicieuse.
Au fait, qu’est-ce qui s’est passé l’an passé au Burning Man ? Tu devais jouer, Diplo et Skrillex t’ont remplacé, et certains disent qu’ils ont été hués après avoir joué Turn Down For What.
Écoute, je me pointe à cette fête (Robot Heart, ndlr), et les organisateurs ne sont pas vraiment sympas avec nous. Genre horribles, hyper malpolis. Alors je me suis dit que je n’avais pas besoin de faire ça. Ils nous parlaient vraiment mal à Craig Richards et moi et on s’est barrés. Ce n’est pas le message de Burning Man, on ne veut pas jouer pour des patrons d’entreprise. Donc on a pris nos vélos, on est retournés au camp, on a trouvé une fête et on a demandé à jouer. C’est déjà plus underground.
Tu penses que l’esprit de Burning Man s’évapore peu à peu ?
Oui, c’est de plus en plus commercial. C’est censé être underground, avec des fêtes cool. Maintenant, on fait des hit and run. On se pointe, on trouve une soirée où ils veulent bien nous laisser jouer, on mixe et on s’en va, comme des fantômes dans les ténèbres.
Tu étais n° 4 dans le dernier Top 100 de Resident Advisor. C’est moins de pression que d’être numéro 1 ?
C’est vrai que c’était une grosse pression d’être numéro 1. Depuis, je suis descendu, troisième place, quatrième cette année. Je pense que je joue mieux que jamais en ce moment. C’est juste un concours, c’est déjà bien d’être dans le top 5.
Est-ce qu’être numéro 1 a une influence sur ta façon de mixer ?
Oui. Le problème, quand j’étais numéro 1, c’est que pendant un temps, je me disais qu’il fallait que je joue des morceaux pour la foule au lieu de jouer ce que j’aimais vraiment. J’utilisais Traktor… Aujourd’hui, je suis revenu sur le droit chemin pour devenir un DJ émérite. Mes sets sont plus raffinés, plus intelligents, je joue de la meilleure musique.