« Ce qui est amusant, c’est que les gens ont beaucoup de mal à se séparer de leur téléphone, même pour quelques dizaines de minutes dans le cadre d’un projet artistique. C’est là que l’on se rend compte à quel point c’est devenu un objet profondément personnel, et c’est justement ce qui nous intéresse. » Alexis Fried se tient entre deux « sets », ces objets créés par l’agence de design Artel (qu’il dirige aux côtés de Paul Marchesseau et Wladimir de Lantivy) sur invitation de l’école Camondo : à sa gauche, une sorte de moulin de perches à selfie, au bout desquelles sont fixés une trentaine de téléphones mobiles qui pulsent en rythme. Verts, bleus, roses, les écrans s’illuminent de manière à créer un motif lumineux et hypnotique, grâce à une application co-produite avec le collectif Orbe, qui permet de synchroniser les smartphones en un clic. À droite, un dispositif similaire, sauf que ce sont cette fois les flashes des téléphones qui s’activent en cadence derrière un parapluie de photographe.
Post Piper, c’est le nom de ce projet qui comporte, en plus des « sets », un site web sur lequel sont diffusés articles et entretiens vidéo – réalisés par le collectif bleue pastèque et le philosophe François Guérroué – de chercheurs s’intéressant à la culture club à travers le prisme des sciences humaines. Les sets sont l’incarnation pratique d’une réflexion qui porte sur le clubbing depuis son origine. « Pour nous, la fête est un outil de création du politique, résume Paul Marchesseau d’Artel. Historiquement, des endroits comme le Loft de David Mancuso ont contribué à l’imagination d’un futur collectif, notamment pour la communauté gay. Et la technologie a joué un rôle important là-dedans. » On pense au sound-system sur mesure de Mancuso, à son attachement à la pureté du son doublé d’une approche presque spirituelle du DJing. Chez Post Piper, le maître mot est « mutualisation ». Les smartphones étant devenus de réelles extensions de notre corps, le second cœur de nos interactions sociales, le geste de don qu’implique l’activation des sets revêt un caractère presque subversif. « Au travers de la mutualisation de ces objets pour créer une scénographie collective, nous voulons aussi rapprocher les gens, explique Alexis. Et Paul d’ajouter : c’est par les usages que l’on change la manière de voir les choses. Le club est l’un des rares endroits où les gens sortent de leur zone de confort, et c’est là que nous voulons les amener à imaginer le futur de manière collective. »
Au musée des arts décoratifs, Post Piper s’est aussi amusé à créer un club virtuel en association avec PBmusic. En embarquant un Subpack, un caisson de basse qui se porte comme un sac à dos, le visiteur peut enfiler un casque audio et explorer le reste de l’exposition “Let’s play” tout en ayant l’impression de déambuler entre les différents espaces d’un grand club, l’ambiance changeant de salle en salle. Bien plus immersif qu’une silent party, ce dispositif laisse entrevoir tout un tas de possibilités pour l’emploi de la réalité augmentée dans le domaine de la musique électronique. Entre les projets de Björk et le pôle VR de Boiler Room, le futur du clubbing s’annonce passionnant. Post Piper ne va pas s’arrêter en si bon chemin, et travaille actuellement sur un projet de collaboration avec un chef d’orchestre ; Alexis nous confie aussi être en discussion avec le collectif Sport National, très porté sur la techno expérimentale, le drone et le noise.
Les sets du projet Post Piper, une collaboration entre l’atelier Artel et l’École Camondo, sont visibles gratuitement jusqu’au 14 mai au musée des arts décoratifs, Paris 1er, dans le cadre du Festival du Design D’Days. Un entretien avec l’ethnomusicologue spécialisé en musiques électroniques Luis-Manuel Garcia (notamment contributeur de Trax et de Resident Advisor) devrait aussi être publié sur le site de Post Piper très prochainement.