Berlin souffre en silence. Le photographe hollandais Maarten Delobel, désormais basé dans la capitale allemande a profité du confinement pour se rendre, lors de ses marches nocturnes, sur les lieux des clubs iconiques de la ville. À l’heure où ces derniers sont censés bouillonner, où la fête doit battre son plein et les fêtards aller et venir hors de ces temples de la techno, les rues sont désormais désertes et les portes des clubs bien évidemment fermées. Les mesures de distanciation physique due à la crise du Covid-19 sont les mêmes partout : la fête attendra.
Dans sa série bien nommée Clubsterben (la mort des clubs, en allemand), Maarten Delobel immortalise l’effrayant silence de la nuit berlinoise. Déjà fragilisé avant la crise par les lobbys immobilier, le secteur culturel nocturne de la ville est aujourd’hui plus que jamais en danger. « S’agit-il de la dernière image que l’on aura de ces lieux ou les verra-t-on s’agiter à nouveau ? », s’inquiète le photographe. Dans ses clichés résonnent cette question et le souvenir des basses sensées s’échapper de ces clubs, ainsi que notre espoir de les voir s’ouvrir à nouveau bientôt.
Comment vivez-vous personnellement cette crise et cette période de confinement ?
Je me suis vite rendu compte que la crise allait m’affecter personnellement car beaucoup de mes missions se sont annulées. Mais je peux mettre ça de côté. Il y a des gens pour qui cette pandémie est bien plus grave.
La grande différence avec la France par exemple, est qu’en Allemagne les mesures de confinement sont beaucoup moins strictes. Même s’il est demandé de rester chez soi un maximum, tu peux toujours sortir dans la rue. J’ai donc fait beaucoup de balade avec mon appareil photo et j’ai commencé un journal de quarantaine. C’est l’élément déclencheur de cette série. Je me suis aussi mis à réfléchir à mon propre travail, et à quels étaient les projets qui me procuraient de l’énergie ou pas. Ça a donc été une période de réflexion et de bilan, et dans ce sens ça m’a bizarrement aidé à y voir plus clair dans mon avenir.
Quel est votre rapport à la nuit et au clubbing ?
Quelques années après avoir emménagé à Amsterdam, j’avais 24 ans, le clubbing a connu un revival. Il y avait une nouvelle énergie en ville. Ça a commencé avec le club Trouw. Quelques amis qui s’y intéressaient m’ont aspiré avec eux. C’était un soulagement de pouvoir expérimenter une façon plus relax de sortir, de prendre le temps de découvrir des DJs moins connus, de passer du temps entre amis et de rencontrer du monde. Le club symbolise une sorte de maison. Cette façon de faire la fête est vraiment devenue permanente à Amsterdam. J’ai donc passé pas mal de temps dans divers clubs de la ville. Bien sûr, en tant que capitale de la techno Berlin est incomparable quand il s’agit de club culture. Ici je sens que la notion de club comme foyer est encore plus importante, c’est un endroit où l’on peut être soi-même, sans que les autres ne jugent. C’est magnifique.
Comment était-ce de se balader dans un Berlin désert ? Comment vous êtes-vous senti devant les clubs fermés ?
C’est très ambigu. D’un côté, j’apprécie le vide et la sombreur du paysage. On ne regarde pas la ville de la même façon. En temps normal, notre attention va naturellement vers les gens que l’on voit, maintenant on regarde la ville en elle-même. De l’autre côté, la ville sans son tumulte et le bourdonnement autour des gens perd son attrait. La vie nocturne débridée de Berlin a donné beaucoup d’allure et d’énergie à la cité, et ce serait terrible que les clubs doivent fermer. C’est aussi ce que je me suis dit en prenant ces photos : s’agit-il de la dernière image que l’on aura de ces lieux ou les verra-t-on s’agiter à nouveau ?
La vie nocturne de Berlin était déjà mise à mal avant le début de cette crise. Comment pensez-vous que cette période affectera la club culture sur le long terme ?
Je ne peux que présumer, mais je sais que beaucoup de clubs ont émergé sur un principe de passion pour la musique et de liberté, pas tellement sur un concept de business model. C’est ce que je pense car à cause de la crise, l’aspect financier est maintenant plus important pour les clubs. J’espère simplement que ça n’entravera pas le futur des initiatives créatives, mais j’imagine que c’est possible. Je suis assez curieux de voir les effets à court terme. Comment allons-nous nous adapter à une “société 1,5 mètre” et aux règles additionnelles dans le secteur du clubbing. La Commission des clubs de Berlin a proposé au gouvernement de la ville de réouvrir les jardins et espaces extérieurs des clubs jusqu’à minuit, mais les gens vont tout de même devoir se plier aux règles existantes pour se protéger du Covid-19. Ce qui veut dire porter un masque et se tenir à 1,5 mètre de distance les uns des autres. Je n’arrive pas à l’imaginer, mais bien sûr j’espère que ces lieux pourront rouvrir leurs portes bientôt.
Vous semblez avoir un attrait particulier pour les paysages désolés et les villes fantômes (cf les séries Desolate Amsterdam et Ghost City Capital). Pourquoi ?Qu’est-ce qui vous attire dans ces décors ?
Je suis naturellement attiré par les espaces mélancoliques. Je pense que ça reflette une partie de qui je suis. Ces endroits me font rêvasser et imaginer ce qui était là et comment c’était avant. Ça anime ma curiosité. Quand on marche dans un décor sans que personne ne soit en vue, on sait que quelque chose a déraillé, surtout dans les capitales. Que s’est-il passé ? Il y a généralement plusieurs raisons à cela, comme par exemple une erreur d’urbanisme. C’est ce qui s’est passé pour la capitale de Myanmar. Cette ville s’est construite car des gens ont voulu créer une nouvelle capitale au cœur du pays. Des villages ont été détruits et des communautés déchirées. Ils en ont fait une ville immense mais ça n’intéressait personne d’aller y vivre. C’est très étrange à voir.

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