Sama Abdulhadi : 4 mois après, la DJ revient sur son arrestation et l’importance de la techno en Palestine

Écrit par Thémis Belkhadra
Photo de couverture : ©Stephen Lock / The National
Le 21.04.2021, à 11h25
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©Stephen Lock / The National
Écrit par Thémis Belkhadra
Photo de couverture : ©Stephen Lock / The National
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Après des mois d’organisations, une incarcération et l’expression d’un soutien mondial, la résidence de Sama Abdulhadi en partenariat avec Beatport et Twitch diffusait son premier épisode ce lundi. À cette occasion, la DJ palestinienne nous emmène à la découverte des artistes les plus talentueux de sa terre natale et du Moyen-Orient, réaffirmant l’effervescence techno qui agite la région depuis plusieurs années.

Par Themis Belkhadra

Depuis le bar où elle se prépare à assister au premier épisode de sa résidence Beatport, Sama Abdulhadi apparaît, comme à son habitude, rayonnante et survoltée. « Après toutes ces galères, c’est un vrai soulagement de voir ce projet enfin se réaliser », confie-t-elle. Le projet en question prend sa source l’été dernier, quand le site Beatport décidait de s’associer à la plateforme de streaming Twitch pour lancer The Residency – un programme de streams au cours duquel différentes têtes d’affiches sont invitées, chaque lundi du mois, à introduire les artistes de leur choix. Après Seth Troxler, Nastia, Maya Jane Coles ou Kerri Chandler, c’était à la DJ palestinienne de prendre la suite : « Ma résidence devait se tenir en janvier, avant que les choses ne partent en vrille et qu’elle ne soit décalée au mois d’avril ». 

En décembre dernier, c’est à l’occasion du tournage de cette résidence, que Sama Abdulhadi avait été arrêtée et incarcérée en Palestine. Un événement hautement médiatisé, qui aura fait pleuvoir les menaces sur la DJ sur fond de polémique religieuse, mais qui aura aussi suscité un soutien mondial demandant sa libération immédiate. « Je ne m’attendais absolument pas à un tel mouvement », confie-t-elle. « En prison, je n’avais presque aucun contact avec le monde extérieur. Les visites n’étaient pas autorisées compte tenu de l’épidémie, et je n’avais le droit qu’à dix minutes pour appeler mon frère chaque jour. Au début, tout ce que l’on me disait c’était que j’étais plus en sécurité en prison qu’à l’extérieur – où tout le monde me détestait et où je risquais de me faire descendre en deux minutes ».

Une pétition demandant la libération immédiate de la DJ à même été lancé par la communauté techno, récoltant plus de 100 000 signatures à travers le monde. « Quand mon frère m’a parlé de la pétition, je pensais qu’il voulait seulement me réconforter. Il me disait : “t’inquiètes, tout le mode est derrière toi, même Roger Waters te soutient !”. J’étais assise dans ma cellule et je ne pouvais pas y croire. » Huit jours plus tard, Sama sort enfin de prison et réalise l’ampleur de la mobilisation : « Ce soutien m’a rappelée que la techno est une communauté avant tout, et non une industrie. Peu importe qui aurait été à ma place, toute la communauté aurait montré son soutien. Mais cela m’a aussi rappelée à quel point la techno est attaquée ; pas seulement dans le Moyen-Orient, mais partout – même dans des villes phares comme Berlin ».

Depuis cette affaire, la techno s’est en tout cas implantée un peu plus dans l’inconscient collectif en Palestine : « Je pensais que les gens étaient conscients de notre existence mais ils n’y prêtaient pas attention. Quand les journaux palestiniens se sont mis à parler de nous, tout le monde était choqué d’apprendre que nous existions. Désormais, le président palestinien sait ce qu’est la musique techno ; l’Imam à la mosquée également ; chaque personne qui foule les rues de Ramallah sait ce qu’est la techno. Cela ne s’est pas fait en douceur, mais j’ai le sentiment qu’on a fait un immense pas en avant. Que les gens apprécient ou non notre musique, ils savent maintenant que l’on existe – ce qui ouvre des perspectives positives pour le développement de la scène locale ». 

Une scène locale de plus en plus solide

Un mois d’isolement en cellule n’aura donc pas atteint la fièvre de Sama qui semble toujours n’avoir d’yeux que pour le positif. « Je suis heureuse de pouvoir enfin introduire d’autres DJs grâce à cette résidence », s’enthousiasme-t-elle. « Particulièrement des artistes de Palestine et du Moyen-Orient. À mon sens, tous ces artistes peuvent se tenir aux côtés de têtes d’affiches internationales. S’ils étaient installés à Berlin, tout le monde aurait déjà entendu parler d’eux. En Palestine et dans le Moyen-Orient, seuls les initiés s’intéressent au travail des DJs. L’incapacité pour eux de tourner en dehors de leur pays les condamne à rester dans l’ombre. Il me semble donc important d’utiliser ma visibilité pour que le monde apprenne à les connaître ». Cette semaine, ce sont les proches de la DJ et membres de son collectif The Union qui étaient à l’honneur. Parmi ceux-ci, le producteur Bruno Cruz, Ya Hu – une jeune DJ impressionnante – et DJ Dar.

La semaine prochaine, Sama introduira, entre autres figures, Nesa Azadikhah, mère fondatrice de l’underground iranien, et l’un de ses artistes favoris : le DJ libanais Jason Kaakoush. « De tous les DJs que j’ai vu jouer au cours de ma vie, c’est incontestablement le meilleur », affirme-t-elle sans hésiter. De retour en Palestine la semaine suivante, le dernier épisode de la résidence sera dédié aux DJs de Nazareth, en la personne de Orabi, Yasmine Eve ou encore Souty. Un programme riche en couleurs musicales qui, en plus d’affirmer l’étendue de la scène techno moyen-orientale, prouve que celle-ci n’en est plus à ses balbutiements mais qu’elle se dresse désormais diverse et plus solide que jamais.

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