Sa7ra-Oui : une rave techno surréaliste dans le désert de Jordanie

Écrit par Thémis Belkhadra
Le 30.11.2016, à 13h17
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Écrit par Thémis Belkhadra
Aujourd’hui, Trax vous prend dans sa valise, direction le désert du Wadi Rum, en Jordanie. Le 21 octobre dernier, dans un des décors naturels les plus impressionnants de la région, s’est tenue une rave party surréaliste où se croisaient des fêtards jordaniens, des touristes et quelques représentants de la tradition bédouine. Un événement qui prouve la compatibilité des cultures électroniques et traditionnelles, et de leurs fêtes.Photos par Thémis Belkhadra

C’est à bord de leurs méchants 4×4, fendant le sable presque rouge du Wadi Rum, que les participants, de tous âges, styles et nationalités, sont arrivés par groupes de huit en fin de journée sur le lieu de la fête. Cette portion du désert d’Arabie, située au sud de la Jordanie, à quelques kilomètres de l’Arabie Saoudite, se démarque par un paysage rocheux impressionnant et une belle couleur orangée.

Le ciel se parait de premières rougeurs tandis que Shadi Khries, producteur jordanien signé sur le label français Versatile, jouait les premières notes d’un set qui durera plus de treize heures. La couleur des montagnes de grès était sublime. Des spots, on en a connu, chacun avait son charme. On garde nos favoris, mais celui-ci… L’immensité du vide désertique, l’authenticité du village bédouin qui accueillait la rave, ces énormes montagnes rouillées, tous ces différents points de vue, la chaleur sèche du Soleil et les bourrasques dès la tombée de la nuit…

Dans son élément, Shadi Khries aura délivré un mix en parfaite harmonie avec ce cadre. Majoritairement composé de techno tribale et de fusions électro-orientales, douces ou plus tendues, il aura aussi surpris par quelques incursions acid techno et plus trance. La musique illustrait et exacerbait la magie de l’instant que les festivaliers expérimentaient. On y retrouvait la tradition bédouine, la culture électronique, le mystère du désert et la force du métissage avec des tracks d’Acid Arab ou Red Axes, mais aussi quelques morceaux de son registre.

Si le son était purement électronique, et si aucun des habitants du village n’avait encore fait l’expérience d’un dancefloor insomniaque, les sonorités orientales des morceaux leur laissait quelques repères. Le lendemain, Ali Hamad, le chef du village, parlait d’une “jolie musique” et assurait que “si elle en [avait] dérangé un ou deux, la plupart des locaux [l’avaient] beaucoup appréciée”. Ce succès est historique et significatif pour les traditions arabes comme pour la culture des musiques électroniques. L’histoire d’une rave saine et multiculturelle, aux portes de la Syrie et de l’Arabie Saoudite, où se seront croisés sur le dancefloor des Jordaniens ébahis, des expatriés qui l’étaient tout autant, des hommes du désert, des jeunes et des vieux, des garçons et des filles, le directeur de l’Institut Français d’Amman ou encore la mère de Shadi Khries. Une rave qui aura prouvé que, malgré les kilomètres, les différences et les barrières auxquelles l’on s’accroche, nous aspirons tous à la même liberté, à la même euphorie que l’on aime exprimer sur un dancefloor.

Reçus par une congrégation de 20 Bédouins de tous âges, les participants se sont livrés à un échange culturel aussi sincère qu’intense. On pouvait assister à un cours de dabke-shuffle entre un jeune Bédouin et une étudiante française, on aura également vu les anciens du village aider les jeunes raveurs à s’allumer un bon feu de camp. Ali Hamad n’aura pas retenu ses pas de danse et ni caché le large sourire sur son visage : “Habituellement, nous recevons des touristes ici pour leur faire découvrir nos coutumes. Cette fois, nous avons aussi appris des visiteurs, et cela me rend très heureux.”  Il ajoute : “L’être humain se doit de garder l’esprit ouvert. Nous n’avons qu’une seule vie alors tout ce qui est nouveau est bon à prendre”.

A RAVE IN JORDAN par Thémis Belkhadra

L’événement était proposé par Malahi Entertainment, une entité culturelle multifonction basée à Amman, la capitale jordanienne. Elle est entièrement dirigée par une jeune femme passionnées, Shermine Sawalha : “Je produis et booke des artistes, musicaux principalement, originaires des Emirats, du Koweït, de Jordanie, du Liban, de Palestine et de Tunisie. Certains projets sont également basés en Europe.” En plus d’être un des moteurs principaux de l’explosion des nouvelles scènes arabes, Shermine est l’un des piliers de la nuit d’Amman. “Il existe des soirées ici : des “girls parties” ou “vodka parties” mais c’est de la pure daube commerciale, explique Shadi. Les événements qu’organise Shermine, je n’avais encore jamais rien vu de tel dans ce pays. Sérieusement, le travail qu’elle fait ici, en tant que femme dans un pays arabe, à promouvoir les cultures underground… Même moi, je ne pourrais jamais m’investir autant”. L’intéressée reste plus modeste : “La plupart des soirées que j’ai connues à Amman était strictes, avec des dress codes et des classes… J’ai ouvert les portes à tout le monde. Des enfants les plus aisés jusqu’aux réfugiés.”

C’est Shadi qui a soufflé l’idée d’organiser une fête dans le Wadi Rum à Shermine. Il y a deux ans, le producteur jordanien s’était déjà installé dans le village d’Ali, en compagnie de Gilb’R (Versatile), dans le cadre de leur projet King Ghazi. Ils étaient venus récolter des enregistrements des nombreux musiciens qui peuplent le désert, dont le talent n’est accessible qu’à ceux qui viennent leur rendre visite. “On est allés à la rencontre de ces musiciens qui perpétuent les traditions mais qui n’enregistrent jamais. On voulait d’abord garder une trace de leur art, puis on a cherché à le transcender avec les techniques de production électronique”, détaille Shadi. Les enregistrements ont ensuite été travaillés et arrangés, puis remixés par I:Cube et d’autres pour construire le premier maxi Abu Sayah. En allant à la rencontre des populations arabes traditionnelles, le projet King Ghazi défie les lois du temps dans la recherche d’un lien solide entre musique ancestrale et moderne. “À mon retour, il y a quelques semaines, je me suis dit qu’il fallait aller plus loin et que ce projet musical pouvait prendre une dimension plus festive”.

L’idée était lancée et deux semaines ont suffit au duo de choc pour tout mettre en place : assurer un service de navettes A/R sur les 300 km qui séparent Amman du Wadi Rum, se fournir en ravitaillements (eau, bière…) et la partie la plus délicate, arranger toutes les modalités avec les Bédouins, qu’il fallait convaincre d’accueillir 120 visiteurs dans leur camp : “Il faut savoir approcher les Bédouins, comprendre leur mode de vie et leurs idées… Tu ne peux pas arriver ici, poser ta scène, mettre le son et tout… Ça ne peut pas se passer comme ça ! En revanche, si tu ne viens pas dans l’idée de faire de l’argent, si tu respectes l’endroit et que tu intègres vraiment les locaux dans ta démarche, ils t’ouvriront leurs portes. Ils sont très accueillants.”

Un résumé des festivités en vidéo:

Le plus fascinant dans cette histoire, c’est que cet événement n’était qu’un test. Un avant-goût d’un projet que Shermine et Shadi mûrissent en privé. “Tout dépend de qui sera prêt à aider mais la porte est ouverte pour de grands projets ici”, assure le DJ. En effet, au-delà de développer la culture rave au Moyen-Orient, le projet d’un festival régulier dans le désert en Jordanie serait un moyen formidable de revendiquer une autre image de la région, et d’y relancer le tourisme – source principale de revenus des derniers représentants du peuple bédouin. Une source de revenus menacée par les guerres, les révolutions et l’instabilité du monde arabe. La fête serait-elle donc l’espoir ? 

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