Roni Size : “Je reprends le contrôle”

Écrit par Trax Magazine
Le 13.05.2015, à 16h30
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Écrit par Trax Magazine
Après avoir sorti Take Kontrol en 2014 et avant la parution de Do It For The Masses en mai prochain (avec Reprazent), le pionnier drum & bass Roni Size était de passage dans le Finistère, pour Astropolis l’Hiver. Entre ses débuts à Bristol et son besoin de reprendre le contrôle de sa carrière, le dreadeux se livre à Trax.Interview réalisée par Brice Miclet.

Ton dernier album, Take Kontrol, est sorti six ans après ton précédent, New Form². Pourquoi avoir attendu tout ce temps ?

Il fallait que j’arrive à avoir une vie à côté de la musique. J’ai une famille, des enfants, et j’avais besoin de prendre du recul. À force d’être un acteur de l’industrie musicale, tu finis pas ne plus du tout en être spectateur. Moi, j’ai toujours été un fan avant tout. J’aime la drum & bass, j’aime la jungle, la musique. Très vite, c’est devenu l’élément essentiel de ma vie quotidienne. En étant uniquement acteur, je me sentais disparaître en tant que personne.

C’était donc une pause volontaire, mais durant ces six ans, tu as tout de même sorti quelques singles comme « Kops & Robbers ».

Oui, j’ai fait quelques remixes, mais le rythme de vie n’avait rien à voir. C’était un choix de vie. Être un peu normal. Et merde, reposer tes oreilles, les préserver.

J’ai fait un pas en arrière, maintenant, j’en fais dix en avant.

J’ai fait le ménage dans mon entourage, je côtoyais des gens que je ne connaissais pas vraiment. C’était indispensable pour que je continue à avancer.

Take Kontrol donne une part très importante aux mélodies, encore plus que tes précédents albums.

J’ai fait ce disque sans réfléchir. Je faisais des tonnes de tracks, juste pour trouver une voie à explorer. Je ne les ai jamais sorties, mais je les ai passées à Bryan Gee qui les a incorporées à ses sets et les a passées en radio. Et puis des gens sont venus me voir, me demandant « Quand est-ce que ça sort, mec ? » Je leur disais que ça n’était pas prévu et ils trouvaient ça vraiment dommage. Ils m’ont poussé à le faire, c’est ce qui rend Take Kontrol plus expérimental. Il sonne plus moderne je trouve, les basses sont très mélodiques. Les gens ne veulent plus que la drum & bass sonne comme dans les nineties, ils veulent que le genre évolue.

Roni Roni Size (c) Jeremie Verchere

Tu as toujours eu ce créneau mélodique dans la scène drum & bass. Trouves-tu que certains DJs ne l’exploitent pas assez ?

Ce qui est le plus difficile à faire, je trouve, c’est de rendre une basse mélodique. Pas seulement dans le drum & bass, mais dans tous les autres genres. Beaucoup de producteurs drum & bass voient cette musique comme de la drone music. Mais moi, j’ai besoin de pouvoir fredonner la basse, qu’elle soit mémorisable, c’est ça, une chanson.

Ça n’est pas une affaire de basse ou de beats, c’est une affaire de voix. Et en l’occurrence, ma voix, c’est la ligne de basse.

Beaucoup des sons que tu utilises viennent de la soul music. Quel rapport entretiens-tu avec ce genre ?

J’ai 45 ans, et la soul a certainement été la première musique que j’ai écouté, surtout quand j’étais ado. Ma première copine, je l’ai embrassé sur de la soul. Marvin Gaye, S.O.S. Band, Soul II Soul… Quand ta copine n’est plus là et que tu veux te souvenir d’elle, la soul music est parfaite. C’est ce qui me file le smile, qui me fait me sentir sexy… Quand tu marches dans la rue et que tu as un avion de chasse qui arrive en face de toi, il vaut mieux que tu aies de la soul dans ton casque et que tu la regardes droit dans les yeux. Ca va te rendre fucking fresh (rires) ! C’est une musique taillée pour l’amour, c’est pour ça que je l’utilise autant dans ma drum & bass.

Tu as grandi et débuté dans la musique à Bristol, à la fin des eighties. La ville était alors en pleine ébullition artistique, peux-tu nous raconter cette atmosphère ?

C’était unique. À l’époque, on ne l’a pas vraiment réalisé parce qu’on avait pas le recul suffisant. On était juste dans la vibe. Bristol était pleine de producteurs et d’artistes affamés de musique, il y avait beaucoup de raves, de festivals… Ça n’était pas une culture de nightclubs, il fallait parfois sortir de la ville et rouler deux heures, les autorités ne nous aidaient pas. Donc, naturellement, il y a eu une sorte d’engagement spontané chez les artistes. Cette frustration a créé une activité artistique incroyable. Il fallait qu’on fasse quelque chose, qu’on monte des studios, qu’on apprenne.

Qui traînait avec toi ?

Smith & Mighty, DJ Krust, beaucoup de DJs d’horizons différents qui n’avaient qu’une chose en tête : la musique. On allait souvent au club Creation ou au Level, au festival Universe, au centre Malcolm X… Mais ce qu’on préférait, c’était traîner dans la rue et s’imprégner de son énergie.

C’était difficile de se faire une place sur la scène musicale de Bristol à cette époque, surtout en faisant de la drum & bass ?

Oui, très difficile en fait. On faisait notre truc dans notre coin, on voulait être reconnu grâce à notre style, avoir un réel impact sur la scène de Bristol. En regardant en arrière, je crois qu’on a réussi. On a imposé notre marque, notre passion. Je sais que la chance joue aussi un grand rôle dans le milieu de la musique. On a su être au bon endroit au bon moment. Nous, on appelle ça « Lady Luck ».

Certains vous critiquaient, tentaient de vous mettre des bâtons dans les roues ?

Il y aura toujours des gens pour critiquer ta musique. Au début des nineties, quand on évoquait la drum & bass ou la jungle, les gens pensaient direct aux drogues. Ils appelaient même ça de la « drug music ».

Il a fallu être patient et expliquer aux gens que ce qu’on faisait, c’est de la vraie musique, que ça n’était pas seulement une affaire de gamin speedés à bloc.

On a réussi à faire taire ces critiques, mais en partie seulement. Le combat est toujours d’actualité.

Selon toi, qu’est-ce qui rend une track drum & bass efficace ?

D’abord, il faut qu’elle soit « ravable », elle doit plaire aux ravers. Après, j’aime ce qui est unique. Je crois que le problème aujourd’hui, dans la drum & bass, c’est qu’on ne peut plus distinguer un artiste d’un autre. Ça m’effraie un peu pour tout dire. J’entends un son, et ça pourrait être fait par n’importe qui ! Ça n’est pas parce que la drum & bass est codifiée qu’elle ne peut pas être originale. J’aime les DJs et les producteurs que je peux reconnaître quand ils passent quelque part.

Quand tu as débuté, qu’est-ce qui t’as décidé à faire ce type de musique et pas un autre ?

Je crois que chaque producteur recherche une niche musicale. Faire du hip-hop, c’était copier les Américains, idem pour la house music. Certains ont essayé de se mettre au hip-house, mais c’était toujours le même problème pour moi : on ne trouvait pas notre son. Et puis, quand la jungle est née, là, tout a changé. On s’est dit : « Ok, ça c’est anglais, ça, c’est à nous ! On a notre identité. » Et puis il y a eu la drum & bass. Des artistes du monde entier ont commencé à nous copier, et même si ça n’était pas aussi gros que le hip-hop, on a vu qu’on pouvait y poser une étiquette « UK » et en être fiers. On a aussi eu le grime, le dubstep…

Avec Reprazent, tu as ensuite sorti l’album New Forms, en 1996. Comment cela a impacté ta vie personnelle ?

C’était dingue, on a eu le Mercury Prize sans qu’on ne demande quoi que ce soit. Ce succès nous est vraiment tombé dessus, on n’a pas eu le choix en fait. À ce moment-là, notre milieu était très restreint, alors que maintenant, je ne sais même pas où se situe la scène drum & bass. Ça a tout changé pour moi. Avant New Forms, le monde se foutait de ce qu’on faisait. Après ça, il attendait de voir ce que Roni Size allait sortir. New Forms, c’est ma marque dans l’histoire de la musique.

Justement, comment expliques-tu que New Forms ait explosé à ce point, si subitement ?

Je ne peux pas l’expliquer, honnêtement.

Je crois qu’en écoutant notre disque, les gens se sont mangés un truc violent en pleine gueule, et qu’ils ont aimé ça. C’est rare.

La drum & bass a un succès moins important aujourd’hui…

(il coupe) Non ! C’est encore un genre très important, surtout en Angleterre. Mais à un moment, il y en a trop. Je crois que la drum & bass est plus intéressante et plus prolifique quand elle se situe à un niveau de notoriété situé juste au-dessus du milieu underground. Faire partie de la pop culture sans être exposé en permanence est la meilleure situation pour un artiste, celle où il est le plus libre. Mais en ce moment, la drum & bass est tellement fournie, tellement active, qu’elle n’avance plus, elle tourne en rond et finit par ne plus se faire entendre.

C’est plus difficile pour un jeune DJ de drum & bass de vivre de sa musique aujourd’hui ?

Ça peut paraître paradoxal, mais je crois que c’est beaucoup plus facile même s’il y a plus de DJs. Simplement, produire de la musique est devenu bien moins compliqué. Beaucoup de DJs arrivent dans le milieu, font des sons, des albums tout de suite, et avant que tu n’aies eu le temps de savoir qui sont ces mecs, ils sont au top. Tu les découvres alors qu’ils sont déjà au sommet, c’est pas dingue ça ?

Avant, on devait acheter l’équipement qui coûtait un bras, apprendre à le maîtriser seuls… C’était un challenge de tous les jours.

Il devient plus difficile de définir ce qu’est le son de Bristol aujourd’hui.

Je vis entre Londres et Bristol, donc je ne suis pas tellement en position d’en donner une définition. Il faudrait que j’y vive en permanence. Je sais qu’énormément de choses s’y passent, mais j’ai fait un pas de côté. Depuis, beaucoup d’artistes viennent à Bristol pour faire de la musique, ça c’est nouveau. Même des artistes de Londres. Ils cherchent à retrouver l’ébullition artistique de la ville. Ça n’est pas une mauvaise chose, ça crée de nouveaux sons, mais est-ce qu’on peut toujours appeler ça le « Bristol sound » ? Je n’ai pas la réponse.

Tu sors donc un nouvel album avec Reprazent prochainement. Peux-tu nous en dire un peu plus ?

L’album sortira en mai et s’appellera Do It For The Masses, on est en train de travailler dessus. C’est pour ça que je suis crevé, je travaille dur. Il paraîtra sur mon nouveau label, Mansion Sounds.

Tu as donc désormais ton propre label, ton propre studio… Tu voulais retrouver une certaine indépendance ?

Si j’ai appelé mon dernier album Take Kontrol, c’était justement pour montrer que je reprenais le contrôle. Avant, j’avais des managers, des gens des labels, pleins de types autour de moi, et je savais à peine qui ils étaient. Maintenant, je sais qui est mon avocat, qui est mon comptable, mon tourneur, mon manager, je connais les codes de mon site Internet, le nom de mon webmaster, je peux aller sur mon Facebook officiel si je le souhaite…

« Take Kontrol » n’est pas seulement un titre, c’est une page de ma vie.

Qu’est-ce qui a rendu cela possible ?

La patience. Je ne pouvais plus tenir avec le même fonctionnement, il m’a fallu de la patience et du calme pour prendre du recul, puis prendre les bonnes décisions. Quand tu es dans une telle situation, tu es amené à te demander : « Est-ce que j’aime assez cette musique pour qu’elle mérite tous ces sacrifices, tout ce temps que je lui consacre ? » Pour moi, la réponse est oui.

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