Par Jean-Paul Deniaud et Erwan Lecoup
Des kicks massifs, le son d’une rave en peak time. Dans le couloir qui mène à la salle de spectacle, les murs tremblent d’un bruit de techno sourd. À peine la porte passée, alors qu’il s’assied sur son siège, le spectateur se retrouve face à la source du vacarme. La fête a déjà commencé. Une vingtaine de jeunes gens dansent à corps perdu autour du musicien, torses nus, en doudoune fluo ou T-shirt coloré. La scène, perchée sur une structure haute, rappelle les entrepôts industriels et l’énergie des fêtes qui s’y déroulent. Très vite, le regard glisse sur les différents danseurs. Chacun possède sa personnalité, est animé par ses gestes particuliers. On s’attache aux mouvements de l’un ou de l’une. Là, un couple s’enlace, s’embrasse, se laisse glisser, tombe. Le volume de la musique s’élève et son rythme ralentit. Les mouvements s’étendent, concentrés précis et intenses du rapport des corps à la musique, jusqu’à transformer le tout en tableau mythique, quasi religieux.
Le collapse par la crise climatique
Ces premières minutes du spectacle Room With A View donnent le ton. Dans le magnifique cadre du Théâtre du Châtelet de Paris, c’est une œuvre musicale et chorégraphique inédite qui va s’emparer de la scène du jeudi 5 au 14 mars prochains. Une collaboration entre le musicien Erwan Castex alias Rone et le collectif de chorégraphes (La)Horde – Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel – nouvellement à la tête du Ballet national de Marseille (BNM), où Trax a pu assister à l’un des filages. Les compositions musicales électroniques de Rone, parfois épurées et presque intimes, parfois véritables scansions et appels à la révolte, sont à l’unisson de la volonté du musicien « qu’à la fin du spectacle les gens aient envie d’affronter les choses, que celui-ci procure de l’espoir », jouant ainsi entre les passages « très dark et dures de la danse, et une certaine lumière via [son] travail ».
Car après plus d’un an d’écriture en commun à concevoir ce projet, c’est le sujet de la crise climatique actuelle, via l’effondrement du monde et du collapse, qui s’est imposé comme une évidence. L’objectif, sensibiliser le public au travers de « la puissance de la musique et l’énergie portée par les corps, non pas en cherchant à en ressortir avec une solution, mais plutôt tous unis par la même dénonciation », explique (La)Horde. « Oui, on peut faire corps tous ensemble, ne pas être juste une juxtaposition de gens qui apprennent à vivre les uns à côté des autres, mais véritablement créer un vivre ensemble avec vraie vision de cohésion », précise Marine Brutti.
Entre chaos et lumière
Sur scène, ce sont aux 18 danseurs et danseuses charismatiques du BNM – 12 nationalités différentes, allant de 20 à 42 ans – qu’est confiée cette mission. Une troupe faite de caractères forts et polyvalents (techniques de voltige, circassiennes liées aux gestes de ballet classique et de danse contemporaine), qui ne s’économise aucun temps mort, jouant pendant plus d’une heure une partition millimétrée d’une extrême intensité. « On a parfois poussé les danseurs jusqu’à l’épuisement, mais sans aucune mise en danger », prévient le collectif, qui détaille par le menu le suivi du groupe par des nutritionnistes ou ostéopathes, afin de leur permettre d’atteindre en sécurité ces « frontières de la transe ». Une transe et un contexte de rave habituels pour (La)Horde – voir leurs précédents spectacles Marry Me in Bassiani, le spectacle de gabber – choisis ici à dessein pour poser la question de l’urgence climatique.
Pour les chorégraphes, ces lieux exutoires que sont « le Péripate, La Station – Gare Des Mines, le Berghain ou encore le Bassiani en Géorgie, sont des espaces où il y a un combat contre la nuit, pour réussir à danser jusqu’à ce que le jour se lève. Retranscrire dans les corps la violence de l’extérieur, une célébration, une messe étrange de nuit, dans laquelle on lutte contre le lendemain ». S’ajoutent à cela les valeurs d’égalité et de liberté traversées par ces espaces, qui répondent au lâcher-prise désiré par la libération du corps par la danse.

Subversion au Théâtre du Châtelet
Plongé dans un décor d’une carrière de marbre réalisé par Julien Peissel, ce spectacle subversif vient s’inscrire dans le cadre historique du Théâtre du Châtelet, où la transgression et la force symbolique de certains gestes, entre pureté et violence, questionneront et interrogeront ce lieu vieux de 1862. Un théâtre qui souhaite s’ouvrir à de nouveaux publics et de nouvelles expressions artistiques par l’intermédiaire de sa directrice artistique Ruth Mackenzie.
Si le titre de la représentation (Room With A View) est éponyme à celui du futur album – dont la sortie est prévue le 24 avril 2020 – c’est aussi car Rone compose à présent toujours face à une fenêtre, contrairement au studio habituellement confiné. Il ne souhaite pas être un donneur de leçon, mais plutôt être dans le rôle « d’un observateur qui retranscrit en musique ce qu’il voit ».
Toutes les informations sont à retrouver sur la page Facebook de l’événement tandis qu’un jeu concours permet de gagner 2×2 places. Le spectacle sera également visible lors du festival Les Nuits de Fourvières les 20 et 21 juillet à 22h au Grand Théâtre de Lyon.