Rone : « J’aurais aimé être danseur, c’est un art très intime »

Écrit par Maxime Jacob
Photo de couverture : ©D.R.
Le 24.04.2020, à 16h06
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©D.R.
Écrit par Maxime Jacob
Photo de couverture : ©D.R.
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Le musicien, qui a présenté le ballet Room With A View au Théâtre du Châtelet du 5 au 14 mars 2020, en avait assez de composer dans un sous-sol sans fenêtre. Alors il s’est installé dans un petit studio en proche banlieue parisienne. Et au mur, Rone a accroché les visages des danseurs du Ballet national de Marseille avec qui il a collaboré sur ce projet. Rencontre méditative.

Cet article est initialement paru en février 2020 dans le numéro 228 de Trax Magazine, disponible sur le store en ligne.

L’album tiré du ballet Room With A View est sorti ce 24 avril sur le label InFiné.

Que t’évoque la notion de corps en mouvement ? 

Quand j’étais petit, à 15 ou 16 ans, ma grande sœur m’a invité à l’Opéra Garnier pour assister à Shazam ! de Philippe Decouflé. Je me suis retrouvé devant un spectacle très chaud, qui m’échappait un peu. Je ne comprenais pas ce que je voyais, mais ça me plaisait beaucoup. (Il hésite à poursuivre, ndlr) Allez, je lâche le mot : il y avait de la sensualité ! Je suis très heureux d’être musicien, mais j’aurais aimé être danseur parce que c’est un art très intime. Ce sont des gens qui remuent leur corps devant d’autres gens. Et puis, l’absence de langage de la danse lui donne une dimension universelle. On est bombardé de discours en permanence et c’est important de pouvoir exprimer des choses sans mots. J’avais envie depuis longtemps de faire quelque chose en rapport avec ce domaine. Quand le Théâtre du Châtelet m’a proposé cette carte blanche avec (LA)HORDE (collectif en charge du Ballet de Marseille, ndlr) j’ai tout de suite demandé à avoir une photo de chaque danseur pour les ramener dans mon studio. Je composais et je me disais : comment ce danseur va réagir à ce morceau ?

Comment imagines-tu le futur du corps humain ?

Je suis assez sensible au transhumanisme. Enfin, je veux plutôt dire que je trouve ça flippant. J’avais composé la musique d’un film de science-fiction dont le propos était qu’au-delà du progrès induit par le transhumanisme, il existe un risque d’être dévitalisé. Je me fais peur à moi-même quand je suis avec mes deux enfants et que je regarde mon téléphone pendant dix minutes. C’est dramatique. Je ne peux pas m’empêcher de me dire que ce sont autant de minutes perdues avec eux. S’il voyait cette scène, Alain (Damasio, ami intime de Rone, ndlr) dirait qu’on est déjà dans le transhumanisme : il ne manque pas grand-chose pour que le téléphone soit intégré au cerveau et qu’on décroche en se frappant le téton. D’ailleurs, je suis sûr que les gens trouveraient ça génial. 

Médites-tu ?

Oui, mais c’est un peu particulier. Je n’ai aucune technique de méditation. Ma copine pratique le yoga et tout un tas de choses. Elle a tenté plusieurs fois de m’initier, mais ça ne fonctionne pas. Je ne peux pas m’empêcher de rire ou de faire le con au bout d’un moment. En revanche, je médite sous forme de siestes. Ça peut être une sieste de vingt minutes, mais je peux aussi partir pendant deux heures. J’ai des idées qui viennent et me transportent sans que je sois tout à fait en train de rêver. J’ai l’impression qu’on me souffle des choses. Je ne suis pas en train de dire que quelqu’un me parle, attention. Je pense plutôt que cela vient de l’intérieur, que les choses se révèlent à moi. Ma copine se fout de moi parce que je fais beaucoup de siestes, tout le temps. Je lui réponds que je travaille quand je dors. En période de composition, je peux m’agiter pendant huit heures sur mes machines sans que rien ne sorte. Alors, je fais une sieste. « Il faut réveiller la nuit qui est en soi », dit Cocteau. J’aime beaucoup cette idée. Quand tu es dans l’agitation, tu passes à côté de plein de choses. 

Es-tu quelqu’un de spirituel ?  

Je vais encore parler de ma femme. C’est mon côté Columbo. Elle est très spirituelle. Elle croit un peu aux fantômes. Alors que moi, je suis plutôt cartésien. Mais j’ai quand même traversé une crise de spiritualité en 2015, quand ma mère est décédée. Je devais donner un concert à l’Olympia pour l’album Créatures alors qu’elle était très malade. Je n’avais pas vraiment le cœur à jouer. Maman est partie deux jours avant le concert, tout en douceur, on a eu le temps de parler. Juste avant de partir, elle m’a dit que cette date à l’Olympia était importante, qu’il fallait que je la fasse. Elle avait raison. Je crois que c’était un de mes plus beaux concerts. Sur scène, j’avais l’impression d’être porté par elle. J’avais l’impression qu’elle était là, tout près. Plus récemment, j’ai interprété un titre de Room With A View pour la Blogothèque, dans lequel je fais chanter des choristes. Entre deux prises, un des chanteurs vient me voir et m’explique que son grand-père est décédé et qu’il adorait ma musique. Je ne sais jamais quoi répondre dans ces moments, alors je lui ai promis qu’à la prochaine prise, on chanterait pour son grand-père. Et quand le chœur s’est remis à chanter, j’ai ressenti une véritable ferveur mystique. 

Pourquoi crées-tu ? 

Je crois que j’ai commencé à créer parce que j’étais très timide. Dans les repas de famille, j’étais celui qu’on n’entendait pas. J’étais un lycéen très romantique. J’étais amoureux d’une fille. Je pensais à elle toute la journée, toute la nuit, sans jamais oser lui parler. Ça a duré deux ans. Il suffisait qu’elle me regarde pour que ça me nourrisse. Bref, J’étais complètement bloqué, anxieux et j’avais besoin de trouver des solutions pour sortir de l’impasse. C’est à cette période que tout a pris forme. Je dormais très mal la nuit et je regardais bêtement la télévision. Un jour, j’ai réalisé que composer la nuit était plus intéressant, qu’il se passait plein de choses en moi quand je faisais de la musique et que la nuit passait beaucoup plus vite. Par la suite, j’ai continué à créer essentiellement parce que j’avais l’impression d’être vraiment en vie quand je composais. Comme dit Alain Damasio, je ne me sens pas surnuméraire. J’ai l’impression de faire quelque chose qui a du sens, même si c’est un grand mot.

Est-ce que créer est quelque chose de douloureux pour toi ? 

La création m’impose une certaine discipline. Je suis plutôt de nature flemmarde, alors je dois me fixer des horaires de travail. Je dois m’occuper de mes deux enfants, je vais les chercher le soir à l’école, ce qui m’oblige à garder un rythme normal. Mais parfois, je dois casser tout ça. Ma femme est d’ailleurs très compréhensive. Quand elle voit que je bouillonne, elle m’encourage à me barrer et je pars m’isoler avec mon matériel pendant plusieurs jours. Et là, il n’y a plus de règles. 60 % de mon album a jailli comme ça, dans l’isolement. Dans ces moments, je peux commencer un morceau à 17 heures et le finir le lendemain matin. Quand j’ai eu mes enfants, j’ai bêtement pensé : c’est fini, je ne ferai plus de musique, je ne pourrai plus. Je me suis rendu compte que j’avais tort parce que la contrainte, l’emploi du temps, la vie cadrée, ça t’oblige à lutter, à batailler et à trouver des fenêtres par lesquelles s’exprimer. C’est pour ça que j’ai la chance de vivre les deux. J’ai des amis qui n’ont pas ce cadre familial et qui parfois se perdent complètement dans la liberté. 

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