Robert Hood et Femi Kuti : la “black music” racontée par les rois de l’afrobeat et de la techno

Écrit par Célia Laborie
Photo de couverture : ©Hana Ofangel
Le 27.11.2019, à 16h22
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©Hana Ofangel
Écrit par Célia Laborie
Photo de couverture : ©Hana Ofangel
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Le 8 novembre, dans les locaux du groupe ADP en Seine-Saint-Denis, une scène, une table de mixage, un saxophone ténor : la magie s’opère. Les grands Robert Hood et Femi Kuti étaient réunis pour réinterpréter le répertoire de James Brown, dans le cadre du  très pointu programme “Variations”. Le résultat ? Un moment de jazz électronique ultra rythmé et enivrant. Qu’ont-ils en commun pour que leurs musiques se frottent si bien l’une à l’autre ? Rencontre. 

L’un est né à Lagos et porte à travers l’afrobeat l’héritage du légendaire Fela Kuti. L’autre a grandi à Detroit, où il a contribué à l’émergence de la techno avec Underground Resistance, avant de devenir pasteur en 2009. Ce qui réunit le DJ et le saxophoniste, c’est bien sûr le funk, la soul et le jazz. L’influence des grands musiciens qui, dès les années 1960, ont nourri les fiertés noires des États-Unis à l’Afrique subsaharienne. Treize ans après la mort de James Brown, Robert Hood et Femi Kuti répètent après lui : « we’re black and we’re proud ».

Comment avez-vous préparé cette collaboration ?

Robert Hood : C’est moi qui ai d’abord retravaillé des morceaux de James Brown. Mon idée était de lui rendre hommage tout en laissant l’espace pour que Femi Kuti puisse s’exprimer. J’ai commencé à rassembler des rythmes funky pour alimenter ma réflexion. Et j’ai aussi écouté beaucoup de jazz : Pee Wee Ellis, Fred Wesley… Au fond de lui, James Brown était un jazzman. D’ailleurs, Cold Sweat, qui est considéré comme le premier disque de funk, est dérivé d’un morceau de Miles Davis

Comment se sont passées les premières répétitions ?

Robert Hood : C’est très facile de travailler ensemble. Même si nous ne nous connaissions pas avant, Femi et moi parlons le même langage, celui des percussions. Quand on répète, on les laisse faire la conversation, et le dialogue se met en place tout seul. 

Femi Kuti : À ce moment là, on improvise beaucoup. J’essaye de rebondir sur ce que Robert joue, d’apporter des émotions qui correspondent à ce qu’il veut faire passer. 

Robert Hood : C’est comme deux chimistes qui se rencontrent, il amène ses produits, moi les miens, et on espère que ça créé une explosion.

Quelle relation avez-vous à la musique de James Brown ?

Robert Hood : J’y suis très attaché, depuis que je suis assez grand pour atteindre un poste de radio. C’est la musique qu’on écoutait chez moi à Detroit, James Brown l’un des artistes préférés de mes parents et de ma grand-mère.

Femi Kuti : Pour moi, c’est différent. Quand j’étais enfant, mon père, Fela Kuti, subissait la répression du gouvernement nigérian. Les puissants critiquaient son mode de vie, ses engagements, son rapport aux femmes, au cannabis… Et pendant ce temps, la musique de James Brown envahissait les clubs de la région. James Brown était glorifié et présenté comme un exemple à suivre, en opposition à Fela. En réalité, il était utilisé politiquement pour nuire à mon père, et cette différence de traitement m’a rapidement permis de prendre conscience de ces injustices. Mais James Brown est aussi, forcément, un musicien qui nous a beaucoup influencés, comme il a marqué toutes les années 1970, de Diana Ross aux Temptations en passant par Donna Summer

Comme votre père, James Brown était très politisé. 

Femi Kuti : Oui, il a eu un rôle essentiel : il a fait vivre la conscience noire en apportant son soutien à des activistes comme Malcolm X et Mohammed Ali. Au moment où le panafricanisme devait être étendu, il était était aux premier rang. Quand il chantait “I’m black and I’m proud ”, ça nous émouvait jusqu’au Nigeria.

Finalement, il ne s’agit pas de techno, ni de funk, ni de rock, ni de reggae, mais d’une expression de l’âme africaine

Une icône de la techno et une icône de l’afrobeat se rencontrent pour improviser autour du répertoire du maître de la funk. Dans ce projet, plusieurs visages des musiques noires se rencontrent… 

Femi Kuti : Pour moi, c’est de la musique, point barre. Quelque chose de plus profond que la race, qui se rapporte à notre humanité. En Afrique, l’art existait bien avant le début de l’esclavage. Il y avait des musiques pour célébrer les naissances, pour les mariages, pour les enterrements, pour les récoltes, pour faire l’amour… Elles ne parlaient pas de race ; elles célébraient la vie. Finalement, il ne s’agit pas de techno, ni de funk, ni de rock, ni de reggae, mais d’une expression de l’âme africaine, qui elle-même célèbre l’humanité. Quand je vois Robert jouer, je vois l’expression de la beauté de la vie. Et je lui réponds, avec ce que j’ai appris à dire avec mon saxophone. J’espère que le public verra dans ce concert l’importance des mélanges, des rencontres entre les continents. 

Robert Hood : Nous sommes des cultivateurs, des fermiers. Nous plantons des graines et nous espérons qu’elles donneront de la beauté. Il y a quelque chose de très fort qui se joue à ce moment-là, quand on partage cette empathie. En tant qu’hommes noirs, ça nous aide à nous sentir plus forts. Moi aussi, en grandissant dans les années 1970, j’ai entendu James Brown chanter “I’m Black and I’m Proud”. Et c’est grâce à lui, entre autres, que toute une génération a voulu redécouvrir les cultures noires. Nous en avons très longtemps été coupés, à cause de l’esclavage et de la servitude. C’est aujourd’hui essentiel de nous emparer de ces cultures pour nous connecter à qui nous sommes.

La musique participe à cette réappropriation de vous-mêmes ?

Robert Hood : Ça a toujours été ma façon à moi d’être fier, de prendre du pouvoir. Mon père était musicien de jazz, il jouait de la trompette, du piano, de la batterie. Il écoutait aussi beaucoup de musique africaine. C’était très important pour lui de me dire, à travers ces musiques-là : « souviens-toi de ce que tu es, souviens-toi de ce que tu vaux ».

Femi Kuti : Dans ma famille, la musique passe par le sang. Il y a deux semaines, j’ai retracé mon arbre généalogique. J’ai découvert que l’arrière arrière grand père de mon père était un musicien pour le roi, son fils était un musicien pour le roi qui a suivi, son fils était le premier musicien ouest africain à composer pour la BBC, son père était un grand compositeur, et mon père était un grand compositeur aussi. Je suis musicien, mon fils aussi. Cela fait sept générations que nous faisons ça. Je sais que je viens d’un passé très riche, je sais aussi que ma musique est héritée de mélodies et de rythmes indigènes joués dans les villages il y a des centaines d’années.

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