En juillet dernier, le légendaire DJ et producteur de techno Richie Hawtin, alias Plastikman, annonçait la sortie d’une nouvelle application interactive inspirée par son projet live CLOSE. Intitulée CLOSER, elle promet une immersion plus profonde dans l’univers sonore et visuel de l’artiste, qui s’est donné pour mot d’ordre la transparence totale sur son approche du live. L’artiste en profite pour également sortir un nouvel album, CLOSE COMBINED (GLASGOW, LONDON, TOKYO – LIVE). L’occasion parfaite pour discuter technologie, intelligence artificielle et futurisme techno avec le boss des labels Plus 8 et Minus.
Quelle est la place de la technologie en live selon vous ?
Je pense toujours au prochain projet, et réfléchis beaucoup à ce que pourraient être les shows de la prochaine génération. Comment l’analogique et le digital pourraient s’y imbriquer d’une nouvelle manière. Pour moi, le développement de la technologie Eurorack (le standard du synthétiseur modulaire créé par l’allemand Didier Döpfer en 1995, ndlr) était, au début, le coeur battant de la musique électronique et, aujourd’hui, il reste, et devient de plus en plus futuriste. Comment miniaturiser les composants, les rendre plus efficaces et uniques, comment l’interface peut te permettre de produire une musique intéressante… Tout ça m’intéresse énormément. Bien sûr, je suis passionné de technologie digitale, mais ce n’est jamais aussi bon que lorsqu’on interagit avec une machine. Je n’ai jamais aimé pianoter sur un clavier, utiliser une souris…
Quelles innovations vous excitent actuellement ?
En ce moment, je suis très fan de ce nouveau jouet [il montre un Teenage Engineering op-z]. D’un côté, il ressemble à un jouet, mais si on creuse un peu, sa puissance est énorme. Il ne fait pas que de la musique, mais peut aussi contrôler de la vidéo, séquencer des protocoles DMX*… Ça aurait été vraiment parfait pour les lives de Plastikman, il y a 15 ans. Nous avions besoin de pouvoir contrôler le son et l’image en même temps, et ce genre de machine le permet.
[*Le protocoles DMX est la norme standard de transmission des données pour le contrôle de l’éclairage dans le monde du spectacle, ndlr.]
Utilisez vous l’intelligence artificielle dans votre travail ?
Je ne l’utilise pas, pour le moment, dans la partie “écriture” de la musique. Mais comme tout le monde, j’ai testé quelques plugins de mastering de chez Izotope, notamment Neutron, qui utilise une forme d’intelligence artificielle. Et je me sers parfois des algorithmes du site Landr pour avoir des versions temporaires de mes morceaux en vitesse, je n’ai pas honte de le dire. À l’avenir, je compte m’y intéresser de plus en plus, et suis en train de développer un projet qui explorera en profondeur la manière dont l’homme et la machine peuvent se connecter à l’intelligence artificielle.
De nombreux producteurs “reviennent” à l’analogique et au modulaire, fustigeant le sampling ou les instruments virtuels comme moins authentiques… Qu’en pensez-vous ?
Je ne pense pas qu’il faille choisir entre l’un ou l’autre de ces moyens. J’adore la chaleur de l’analogique, mais j’aime aussi comment les effets digitaux peuvent tordre le son et les samples. Au bout du compte, ces querelles de chapelles sont un tissu de conneries. Les premiers morceaux de techno étaient déjà le résultat d’hybridations entre les différentes manières de faire de la musique. L’une des machines les plus importantes pour nous, dans les années 80-90, était le Ensoniq Mirage, un synthétiseur ET échantillonneur… La question n’est pas quelle est la bonne voie, mais quelle est la tienne, ton chemin de création.
Outre ce passéisme parfois ridicule, vous critiquez souvent le caractère prévisible de la techno actuelle. Comment faites-vous pour rendre vos performances imprévisibles ?
Mon Eurorack n’inclut aucun module utilisant l’intelligence artificielle au sens strict, qui commence à devenir un moyen privilégié pour générer de l’imprévisibilité, mais j’ai ce petit séquenceur Voltage Block, de chez Malekko, qui me permet de rapidement trouver des mélodies sans passer par un clavier. Je déplace un bouton de bas en haut et il trouve des notes tout seul. Dès que j’ai quelque chose dans le casque qui va avec la musique qui est en train d’être jouée, j’utilise ces mélodies en les altèrant. C’est super rapide et quasiment aléatoire ! C’est parfait pour moi, qui ne cherche pas à créer la “meilleure” mélodie, mais à générer et modifier ce qui sonne le mieux à un moment donné du live. En studio, j’utilises aussi très souvent un séquenceur Numerology Five12. Il est basé sur de vieux séquenceurs analogiques et possède une tonne de paramètres de randomisation. Lorsque l’on trouve l’équilibre entre l’homme et la machine, où chacun fait ce qu’il fait de mieux, on entre au paradis.
Vous dites également souvent que la techno a perdu sa dimension “futuriste”. Avez-vous récemment écouté quelque chose, ou vu un live qui vous a fait penser le contraire ?
Nous sommes dans une position très bizarre. Les gens pensent qu’être futuriste, c’est faire du broken beat ou tout déconstruire. Je ne suis pas contre, mais pour les gens comme moi, qui ont grandi avec de la techno en 4/4, le challenge est de continuer à rendre ce rythme excitant et innovant, sans essayer de recréer une sorte de version moderne du son des 90’s. La question centrale est donc : comment préserver les fondations de la techno et, au même moment, aller de l’avant. Dans cette optique, je crois que ce que j’ai vu de plus excitant récemment est le show de Colin Benders. Brut, sale, parfois ambient, vivant et spontané. C’est ça, l’esprit techno.
Est-ce cette spontanéité, cette interaction avec le public que vous recherchez avec CLOSE ?
Exactement. CLOSE est futuriste au sens où j’essaie de le rendre aussi spontané que faire se peut. J’ai les morceaux et je maitrise les machines, mais je n’ai pas de plan. Vivre l’instant, et y emmener le public : là réside le coeur d’un grand DJ set pour moi.
De quelle manière cette nouvelle application CLOSER peut-elle y contribuer ?
CLOSER est supposé permettre aux gens de regarder, écouter et voir comment je joue. C’est une application divisée en trois parties sur l’écran. Le show, mon point de vue subjectif et, en bas, un focus sur l’équipement que je manipule. Chacune de ces zones est interactives, et il est possible d’isoler des parties précises du live pour les écouter de manière indépendante du reste. Ainsi, le public peut “déconstruire” mon live, le décortiquer. Et puis, il y a un petit film interactif nommé CLOSE combine. Il permet de mélanger trois de mes live shows pour créer une expérience CLOSE totalement unique à partir des sons et des visuels enregistrés dans des villes différentes. Comme une performance qui ne s’est jamais produite en réalité. C’est une expérimentation, une version qui ne cessera d’évoluer. On verra bien ce qu’en font les gens !
N’êtes-vous pas angoissé à l’idée de vous mettre encore plus à nu ?
Beaucoup de DJ’s sont effrayés pour de nombreuses raisons à l’idée que les gens comprennent comment ils jouent, qu’ils découvrent leurs disques secrets… Ma mission, c’est de jouer live et emmener la techno plus loin de la manière la plus transparente possible. J’espère ainsi rendre les gens plus curieux et les inspirer. Je n’ai rien à cacher, donc ça ne m’angoisse pas.
Après avoir sorti la table de mixage MODEL:1 et, désormais, une application, peut-on s’attendre à d’autres équipements signés Richie Hawtin à l’avenir ?
On travaille sur deux nouveaux projets en ce moment. L’un est une nouvelle mouture de la MODEL:1. Quant à l’autre…. top secret !
Richie Hawtin jouera son live CLOSE à Amsterdam le 16 octobre prochain, en compagnie de Modeselektor et SOPHIE pour une soirée 100% live.