Après toutes ces années, es-tu finalement capable de dire si la musique est arrivée dans ta vie avant la technologie, ou vice-versa ?
C’est une question difficile. Car avant de découvrir la techno de Detroit, je faisais des trucs comme du breakdancing, par exemple. Et même avant ça, j’étais à fond dans les ordinateurs. Mais si je remonte encore plus loin, je me rappelle de mon père qui écoutait tout le temps de la musique et de son matériel hi-fi. Il y avait toujours du son dans ma maison. Parallèlement, il fabriquait des circuits imprimés et ce genre de choses pour General Motors, et ça m’intriguait aussi. Quand tu m’as posé cette question, j’ai d’abord pensé à la technologie, mais je me rends compte que ce n’est pas si évident. Parce que les groupes que mon père écoutait, Pink Floyd ou Tangerine Dream, étaient eux aussi très électroniques. D’ailleurs, je me souviens d’un disque qui a beaucoup compté pour moi. A 9 ans, mes parents ont organisé une fête pour mon anniversaire. Et on m’a offert la compilation Disco Directions. Elle contenait beaucoup de classiques disco, mais il y avait aussi cette chanson qui s’appelait “The Crunch” de Rah Band, un truc très synthétique. Il n’y avait même pas de vocaux.
Et puis à cette époque, il y avait les versions disco de BO de science-fiction. Battlestar Galactica, Star Wars, mais avec des synthétiseurs. Ces sons totalement extraterrestres m’intéressaient beaucoup. Au même moment, mon père me refilait ses vieilles bandes reel-to-reel, avec lesquelles j’enregistrais des bouts d’émissions télé. Au final, je me rends compte qu’il a joué un rôle primordial dans tout ce processus.
Comment expliques-tu le fait que la technologie soit aussi liée à ta carrière ?
Il y a d’autres artistes, house ou techno, qui semblent vouloir être davantage connectés entre eux, parfois pour créer des groupes ou simplement pour produire, collaborer. Peut-être souhaitent-ils se rapprocher des racines comme le funk ou le jazz. De mon côté, je me suis toujours posé la question suivante : « Comment puis-je utiliser la technologie pour faire mieux par moi-même ? ». Bien sûr, j’aime travailler avec les autres, des labels, etc. Les projets collaboratifs ne me posent aucun problème. Mais quand il s’agit de ma musique, je préfère faire les choses seul.
Comme une forme de challenge ?
Oui. À 14-15 ans, je passais des heures à programmer des jeux vidéo et des logiciels. Ensuite, j’ai mis au point un système, avec un vieux modem, pour que les gens puissent me laisser des messages. Parfois, on arrivait même à faire des chats en direct. Cette utilisation de la technologie, puis ce contrôle, m’ont finalement permis de me connecter aux autres, de les toucher, tout en étant seul et déconnecté. Et c’est exactement la même chose aujourd’hui. Quand je programme un truc pour chatter ou faire de la musique, cela me permet de communiquer mes idées et mes émotions.
« Arrivés au Canada, on ne connaissait personne. Je suis devenu introverti et le seul moyen que j’ai trouvé pour communiquer avec l’extérieur, c’était les ordinateurs. D’une certaine manière, la technologie m’a aidé à créer mon propre monde. »
Tu penses que ta vie aurait été différente si tu avais grandi dans une grande ville
Certainement. Mon départ de Londres vers Windsor (une ville canadienne, séparée de Detroit par une rivière, ndlr) a été un changement énorme, le plus important de ma vie. Quitter son pays à 9 ans, partir loin avec sa famille et se retrouver isolé a été un véritable bouleversement. Il n’y avait plus que ma famille et moi. J’avais un accent différent, je venais d’Europe… Avec mon frère, nous nous sentions comme des aliens. On ne connaissait personne. Je suis devenu introverti et le seul moyen que j’ai trouvé pour communiquer avec l’extérieur, c’était les ordinateurs. Ils m’ont permis de voyager, de découvrir des trucs, d’échanger. Ils m’ont donné de la force et la possibilité de conceptualiser mes idées. D’une certaine manière, la technologie m’a aidé à créer mon propre monde.
Tu écoutais quoi comme musique ?
Des trucs alternatifs ou électroniques. New Order, Kraftwerk, Depeche Mode, des musiques plus industrielles aussi. Le son de Detroit, je l’ai découvert à la radio. Il y avait The Electrifying Mojo bien entendu (DJ radio légendaire de Detroit avec son émission Midnight Funk Association, ndlr), mais surtout Jeff Mills, qu’on appelait encore The Wizard. Il nous a énormément influencés. Nous avions 16-17 ans, et à cette époque, Jeff était à la radio toutes les nuits. Quand tu y réfléchis, c’était vraiment autre chose. Tout n’était que technologie. On ne savait pas du tout à quoi il pouvait bien ressembler. On cherchait la bonne fréquence et c’est tout. C’était pur, il n’y avait aucune information, juste la musique magique que passait Jeff. Écouter ce show, c’était partir dans l’espace.
Tu sembles définitivement avoir beaucoup de connexions avec Jeff Mills…
Il m’a ouvert une porte. À partir de ce moment-là, je suis allé à Detroit pour le trouver et le voir mixer. Il jouait souvent les mêmes tracks mais de manière différente à chaque fois. Comme je ne connaissais ni les titres ni les artistes, j’ai passé des heures à écouter des disques dans les magasins de la ville, en me demandant à chaque fois si ça allait être le bon. Je me rappelle une étape décisive, quand j’ai mis la main sur Bounce Your Body to the Box de Reese and Santonio. En voyant cette phrase sur la pochette, j’ai fait le rapprochement avec un titre que Jeff passait tout le temps. Les lyrics disaient quelque chose comme “Bounce your body to the box”, mais je n’en étais pas totalement certain. Quand j’ai posé la cellule sur la platine d’écoute, je suis devenu dingue.
J’ai aussi compris que tout ça venait de Detroit. Je pouvais enfin assembler le puzzle. À la fin des années 80, il y avait une émission hebdomadaire sur la techno à Windsor. Un jour, ils ont invité Derrick May pour une interview. C’est comme ça que je l’ai rencontré. Les fréquences invisibles de la radio ont été très importantes pour beaucoup d’Américains, mais encore plus pour quelqu’un comme moi, qui n’habitait même pas aux États-Unis. Elles m’ont offert la possibilité d’écouter le son de différentes villes, si lointaines pourtant.
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Comment a commencé l’aventure Plus8 ?
Derrick May, Kevin Saunderson, Juan Atkins, chacun avait son propre camp. À la base, c’était des bandes de potes qui ont commencé à faire de la musique ensemble, puis à la sortir. Et finalement, les amis se sont transformés en label. Ça a été la même chose avec Plus8. J’avais rencontré Kevin et Derrick, mais je restais un outsider. Alors avec mes potes, nous nous sommes dit : « Si on ne peut pas travailler avec Transmat, Metroplex et KMS, regardons ce qu’ils font et montons notre propre truc. » John Acquaviva, Daniel Bell et moi étions dans une situation similaire. Alors nous avons décidé de travailler ensemble et de voir ce qui allait se passer.
À ce moment-là, tu sembles également avoir développé une relation particulière avec Carl Craig…
Nous sommes tous les deux issus de la même génération, nous faisions partie des « enfants » de Derrick May. Nous sommes allés voir les artistes de la première génération pour en faire partie. Comme il venait de Detroit, Carl a rejoint le camp de Derrick (les labels Transmat et Fragile, ndlr). Au même moment, j’ai monté Plus8. Et nous sommes devenus de très proches amis. Nous avions le même âge, nous avions suivi le même apprentissage, effectué les mêmes expérimentations. Carl a toujours été très ouvert d’esprit. Il aime collaborer avec des personnes très différentes. Certains labels étaient uniquement focalisés sur Detroit. Mais la vision de Carl a toujours eu une dimension mondiale.
Plastikman – Consumed (1998)
Dès lors, ta carrière a été incroyable, entre tes sets novateurs (trois platines, une 909, des effets, etc) et une discographie majeure, jusqu’à l’aboutissement du son Plastikman en 1999 avec Consumed. C’est là que tu as décidé de partir à Berlin. Pourquoi ?
C’était vraiment pour faire partie de la communauté. À cette époque, la scène électronique nord-américaine s’est en quelque sorte effondrée. J’étais devenu proche d’artistes comme Ricardo Villalobos, Zip ou Sven Väth. Et quand je rentrais à la maison, je dois admettre que je me sentais un peu seul. Et personne n’a jamais compris cela. Mes amis avaient grandi, ils avaient des vies de famille, des jobs « normaux ». Ils n’avaient plus envie de sortir. Je me suis senti à nouveau isolé. Alors, j’ai décidé de me rapprocher de mes gigs, de mes fans aussi. Mais j’avais surtout besoin de pouvoir descendre dans la rue, de prendre un café avec mes amis et de parler tranquillement de musique électronique.
« J’avais besoin d’échapper à ce que les gens pouvaient penser de Plastikman ou de Richie Hawtin »
Tu n’avais pas aussi envie de tourner la page Plastikman ?
Si. J’avais besoin d’échapper à ce que les gens pouvaient penser de Plastikman ou de Richie Hawtin. Je voulais être relax, avoir du bon temps. Profiter tout simplement. Et c’était aussi une manière de « retourner » à la maison, de retrouver mes racines européennes. Je me sens mieux ici, j’aime la manière de vivre de Paris, Londres ou Berlin. Ce n’est pas la même chose que de vivre à New-York. Aux Etats-Unis, tu dois conduire pendant des heures, tout le temps. Il y a tellement de différences. Mais j’avais besoin d’un changement radical musicalement, tu as raison. Il fallait que j’ouvre un nouveau chapitre de ma vie. Après Decks FX et Consumed, j’avais atteint une certaine limite. Alors, je me suis jeté à fond dans le DJing, tous les week-ends. J’avais envie de faire un maximum de sets et de soirées. Je voulais faire partie intégrante du mouvement. C’est peut-être moins le cas aujourd’hui, mais il y a quinze ans, les DJ’s américains n’avaient pas de scène locale. Alors qu’ici, ça n’arrêtait pas. Toutes ces soirées, tous ces producteurs, tous ces labels. Il y avait une énergie incroyable en Europe.
Mais tu comprends les réactions sur ton changement d’apparence, etc ?
Je venais de passer dix ans à travailler sur ma musique. Et avec Plus8, tout était devenu un peu compliqué. C’était du business, à 100 %. Et je n’aime pas ça. Je voulais revenir au premières heures de Detroit. Sortir, m’éclater, danser, être avec mes amis. Et c’est exactement ce qui s’est passé quand je suis arrivé à Berlin au début des années 2000. Beaucoup de soirées, un look différent. J’avais aussi besoin de me chercher un peu moi-même.
«Nous n’avons pas été à Ibiza pour la musique de merde. Nous y sommes justement allés pour amener de la bonne musique. Sauf que personne n’a compris ça.»
Le pont entre Detroit et Ibiza a eu plus de mal à passer…
À cette époque, Detroit et Ibiza étaient totalement à l’opposé l’un de l’autre. Mais nous n’avons pas été à Ibiza pour la musique de merde. Nous y sommes justement allés pour amener de la bonne musique. Sauf que personne n’a compris ça. Ce gros changement, en 2000-2001, le fait d’aller sur l’île et y faire des trucs complètement fous, ce n’était que le début de la mutation d’Ibiza. Bien entendu, c’est toujours une place cheesy. Mais quand tu y vas aujourd’hui, dans tous les clubs, tu peux voir Marcel Dettmann, Ben Klock, Sven ou Ricardo. Des trucs plus commerciaux comme Jamie Jones aussi. Globalement, il y a maintenant beaucoup plus de diversité musicale. Ibiza est plus représentative de la réalité de la scène. Les gens doivent admettre qu’elle en fait partie. Mais je peux comprendre qu’en 2001, les gens se soient dit : « Mais qu’est-ce Richie Hawtin va foutre à Ibiza ? »
D’ailleurs, on t’a surtout reproché de faire des soirées et moins de musique…
Je sais, mais la vie est une aventure. Il faut rester heureux de ce que tu fais. Quand elle est à son top niveau, la musique est une porte émotionnelle pour les gens, même si ça ne s’entend pas forcément au final sur le disque. Ils ne se diront pas « il devait être amoureux ce jour-là » ou « il devait être triste ». En revanche, ils sauront que la seule raison pour laquelle j’ai fait ce disque, c’est que je le voulais, vraiment. C’est une nécessité. Par exemple, lorsque j’ai sorti l’album Sheet One, je savais qu’un jour, j’en ferai un autre. Pareil avec Ex. Si je ne ressens pas profondément ce désir de faire un disque, la seule chose que je peux faire, c’est essayer. Et ce n’est jamais bon de se lancer dans un disque sans en avoir vraiment envie. Les gens s’en aperçoivent. Ils l’entendent. Tu sais, je suis passé par de longues périodes, des mois, voire des années, pendant lesquelles je me foutais de ne pas être en studio. Ça aurait été contre-productif. En 2000, j’avais envie d’être en face du public et de mixer. Parce que ça m’excitait bien plus que de m’enfermer pour produire tout seul. Et je peux te dire que j’ai vraiment adoré ce moment. Mais honnêtement, je suis content d’être de retour en studio aujourd’hui. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais par contre, je sais que j’en ai envie. J’ai tout simplement besoin de me sentir libre.
Plastikman – Sheet One (1993)
Tu as également décidé de migrer directement vers le mix digital à cette époque. Pourquoi pas les CDJ, par exemple ?
Ça rejoint complètement ta première question. Et peut-être que ça y répond. La musique en premier ou la technologie ? Quand j’ai choisi de passer au mix digital, c’était pour trouver une nouvelle forme d’excitation, une façon différente de jouer. Et les technologies me l’ont clairement permis. C’était la condition sine qua non. Pour moi, c’est bien le cœur de la musique techno. Cette idée du futur que tu ne peux jamais atteindre. Car à chaque fois que tu as le sentiment d’en être proche, il s’éloigne à nouveau. Et c’est ce qui m’a attiré au début, quand j’ai discuté avec Derrick May ou Jeff Mills et que j’ai écouté leurs disques. Aujourd’hui, c’est toujours ma philosophie, dans tout ce que je fais. Cela veut dire que si les gens qui écoutent mon son pensent être dans le futur et s’en accommodent, je vais alors m’efforcer de faire quelque chose de différent. Mes premières années étaient plus acides, puis sont arrivés Decks FX puis Consumed, et ensuite le mix digital. J’ai conscience que je continuerais probablement à laisser certaines personnes perplexes, mais c’est comme ça. J’ai besoin d’avancer.
« Je ne sais pas si c’est une bonne chose d’être puriste, quel que soit le domaine. »
Il y a beaucoup de puristes en techno. Il n’y a qu’à regarder ce qui se passe avec le vinyle pour s’en convaincre. Tu en penses quoi ?
Je ne sais pas si c’est une bonne chose d’être puriste, quel que soit le domaine. J’ai toujours essayé de trouver les trucs qui fonctionnent pour moi. J’ai des amis, comme Recondite, qui font de la musique produite à 100 % sur ordinateur. Et je l’adore. Elle est incroyable, pleine d’émotion. Mais je ne peux pas faire ça. D’un autre côté, tu as les producteurs qui ne jurent que par l’analogique, comme moi il y a vingt ans. Mais est-ce que pour autant, je n’utilise que ce type de matériel aujourd’hui ? Non, je suis un malade de technologie. J’aime découvrir de nouvelles machines. Donc j’essaie de trouver la bonne combinaison. Les gens doivent comprendre que nous n’allons pas dans les magasins pour acheter une guitare ou une batterie. Pour un guitariste, les choix sont simples : Gibson ou Fender, une pédale, j’imagine un jeu de cordes. En gros, tu n’as pas beaucoup de décisions à prendre. La musique électronique est bien plus complexe. Tu as des milliers de possibilités. Par exemple, je vais trouver telle machine numérique et telle machine analogique. Et c’est leur association qui va devenir mon instrument. Donc, pour moi, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de faire. Et c’est la même chose pour les DJ’s.
Tu es intéressé par les nouvelles manières de diffuser le son, comme la 3D ?
Bien sûr. Il y a beaucoup de travaux sur ce sujet. L’idée est d’imaginer un sound-system qui puisse placer les sons n’importe où sur le dancefloor. Je pense que l’on se dirige dans cette voie. Mais il y a aussi la réalité virtuelle. Cette technologie est en train de créer de véritables espaces physiques. Tu as juste à faire en sorte que ce soit joli. Mais encore faut-il que le son soit réaliste. Ces technologies vont se développer, notamment en club, pour casser la barrière stéréo droite-gauche qui oblige le public à diriger son attention sur la scène, comme dans un concert. Elles vont permettre d’envoyer le son directement vers les gens, autour d’eux. Le meilleur moment pour moi, c’est quand les gens oublient tout pour se concentrer sur la musique. Mais notre culture a changé. Désormais, pendant les soirées, tout le monde prend des photos. Ils espèrent révéler quelque chose sur les réseaux sociaux, en rentrant chez eux. Mais du coup, les gens ne savent plus profiter du moment présent.
C’est l’occasion d’évoquer cette histoire d’enceinte… (En décembre 2014, au Time Warp New York, Richie Hawtin avait balancé une enceinte sur une fille qui le filmait de trop près, ndlr)
Ça a fait « booooooooom » ! Mais c’est le monde dans lequel nous vivons. Tu peux prendre une image, ou une vidéo, et la replacer hors de son contexte. Après, cette histoire d’enceinte, c’est assez difficile à expliquer. On fait tous des trucs cool dans la vie, mais aussi des erreurs. On fait de bons albums, d’autres moins bons. Mais si chacun d’entre nous se jugeait en se basant sur une seule chose, on serait mal barrés. Il ne faut pas s’arrêter à ça.
Mais plus tu es exposé, plus tu prends de risques…
Oui. Et plus tu prends des risques, plus tu dois faire attention à ce que tu fais…
Revenons aux technologies. L’accessibilité a remplacé une certaine forme d’engagement (le rituel d’achat de musique, par exemple). Cette évolution est-elle bénéfique pour les musiciens ?
La musique est clairement gratuite maintenant. Elle n’a plus réellement de valeur et à mon avis, ce n’est pas le bon chemin. Mais en même temps, cette accessibilité permet à un public plus large d’apprécier tout un panel de musiques et d’artistes. Si la scène électronique est cent fois plus grosse qu’il y a vingt-cinq ans, c’est grâce à Internet, aux technologies numériques, à commencer par le MP3. Est-ce que nous voulons réserver notre musique à un petit groupe ou l’ouvrir au plus grand nombre ? Dans les années 90, c’est vrai qu’il y avait ce truc physique d’acheter des disques et de les jouer devant des gens. Aujourd’hui, c’est plus facile. Il n’y a plus de notion d’effort. Mais est-ce que cet effort voulait nécessairement dire que tu allais aimer ce son ? La seule question que l’on doit se poser, c’est : « l’auditeur aura-t-il envie de se connecter à ce monde ? » Si tu trouves un track grâce à Shazam, c’est très bien, car un choix s’offre à toi : est-ce que tu vas juste dire « OK, merci beaucoup » ou vas-tu tu aller plus loin en cliquant sur le lien pour connaître l’artiste, d’où il vient, qui sont les artistes qu’il aime, son label ? Le voyage ressemble finalement à celui du magasin de disques. D’une certaine manière, c’est plus simple aujourd’hui, mais quand tu arrives sur Internet, il y a tellement d’informations qu’il faut tout de même parvenir à se frayer un chemin.
« Aujourd’hui, je ne reviens pas simplement pour faire de la musique. »
Que dirais-tu aux jeunes producteurs, toujours plus nombreux, qui voudraient vivre de leur musique ?
Je pense que chacun doit désormais trouver son propre modèle. Faire davantage de gigs, vendre des t-shirts, fabriquer des objets spéciaux, etc. Je suis persuadé que pour l’argent, il y a toujours une solution. Mais c’est un avis après vingt-cinq ans de carrière. Si tu regardes le début de la techno, la seule chose à laquelle il fallait penser, c’était la création. Et si tu aimais ce que tu créais, ça suffisait. On ne se disait même pas : « Allez, on en vend 5 000 et on fait de l’argent. » Tout ce qu’on voulait, au fond, c’était que quelqu’un les écoute. Il y a vingt-cinq ans, je n’étais pas musicien mais je pensais que la technologie m’aiderait à être créatif. Aujourd’hui, les gamins téléchargent des logiciels comme Traktor, ils utilisent les technologies pour créer à leur tour. Et c’est cool, j’aime ça. La technologie doit ouvrir des portes. Ils vont créer eux-mêmes de nouvelles façons de faire. Et on en revient à ta question de départ. De nouveaux outils, de nouveaux lieux pour danser, toutes les choses dont nous venons parler, pour moi, c’est exactement de ça dont il s’agit : jouer différemment, se projeter dans le futur. C’est pour cela qu’aujourd’hui, je ne reviens pas simplement pour faire de la musique. Je souhaite également contribuer au développement d’appareils pour la créer, la diffuser, etc. Alors, est-ce que c’est musique et technologie ou technologie et musique ? Les deux vont ensemble. C’est un cercle et je suis enfermé dedans.