Retour sur l’amour décomplexé de Prince pour les machines

Écrit par Trax Magazine
Le 22.04.2016, à 19h50
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Écrit par Trax Magazine
Fou des boîtes à rythme, en particulier de la Linn LM-1, Prince a prouvé aux producteurs techno et house qu’un seul homme pouvait sonner comme un orchestre. Avec une savante utilisation des machines et un esprit libre.Par Brice Miclet

Prince était un musicien complet. Crédité de vingt-sept instruments sur son premier album For You en 1978, on le voyait régulièrement gratte aux mains, virtuose aux claviers, aux percus. Pourtant, la marque de fabrique du son de Prince, c’est bien la Linn LM-1. Une boîte à rythme créée en 1980 qu’il poncera sur la plupart de ses albums des 80’s. Notamment 1999, sorti en 1986. Le kid de Minneapolis l’a retournée dans tous les sens, maltraitée, et a su la pousser dans ses retranchements.

S’approprier la machine

Séduit par la particularité de la Linn LM-1 qui utilise des échantillons numériques de batterie, contrairement à ses aînées, Prince parviendra à la faire sonner comme Prince et rien d’autre. Grâce à sa fonction pitch notamment, qui permet de modifier le son d’une tranche en temps réel. Beaucoup se sont acharné à reproduire la snare de “Kiss”, à comprendre celles de l’album Parade, qui propose certainement, avec 1999, l’éventail le plus large de sons tiré de la Linn LM-1. Snares en reverse, kicks doublés à la basse (on y reviendra), boîte à rythme passée dans des pédales d’effet Boss… Même dans la rigidité, Prince parvient à s’approprier les éléments qui l’entourent, et c’est ce qui fait les grands musiciens électroniques.

De la Linn LM-1, Prince a aussi su tirer un mini-mixage très singulier. Les snares mise en avant à l’extrême, comme sur le titre “Head” (sur l’album parfois bien porn Dirty Mind, sorti en 1980), sur lequel on retrouve aussi un kick très aigu, autre preuve de la maîtrise du pitch.

La basse en parfait complément

Sur plusieurs de ses productions, l’artiste a su déléguer la programmation. Sheila E. très occasionnellement, mais surtout Kirk A. Johnson. Celui-ci sera même crédité en tant que co-auteur de plusieurs titres de Prince, comme “Jughead” (1991). Membre émérite du groupe de musiciens qui accompagne le chanteur durant les années 90, la New Power Generation, il se voit confier la programmation des drum machines sur l’album Emancipation, et épaule son boss dans les arrangements de Love Symbol Album.

Ce sont les boîtes à rythme qui sont au centre du groove de Prince. Pas la basse, comme chez George Clinton ou James Brown. Si l’on continue dans les comparaisons funk, il serait plus proche du groupe The Meters, plus minimaliste, au groove sec et très composé. Lorsqu’il commence à coucher un morceau en studio, c’est avec la boîte à rythme. Tout est ensuite ajouté au fur et à mesure autour de cet élément. La basse, elle, vient très souvent se contenter de doubler le kick, comme sur le titre “1999”, et quand elle se fait plus mélodique, se loge, plus haut, dans le même spectre sonore que la guitare. Pour preuve, jetez une oreille au titre “Musicology”, sorti en 2004, où la basse remplit ces deux fonctions simultanément.

Quelques infidélités

Prince fera bien d’autres expérimentations. Avec le fameux échantillonneur Fairlight CMI, il entourera les rythmiques de Linn LM-1 de nappes et de sonorités sorties du stock de la machine, notamment sur Sign O’The Times, l’un de ses chefs-d’œuvre, où il donne vie à son alter ego féminin, Camille, en trafiquant sa voix. Avec aussi les petites sœurs de la LM-1, la LinnDrum (1982) et la Linn-9000 (1984), avec une autre boîte à rythme, la Dynacord Add One, et évidemment, avec la maîtresse Roland TR-808.

L’influence sur la scène de Detroit

Fasciné par l’électronique, Prince avait un profond respect pour la scène électronique naissante de Detroit, était lié au DJ Electrifying Mojo, à qui il donnera une de ses très rares interviews en 1986… Les précurseurs techno, house et hip-hop le lui ont bien rendu. Comme l’explique le site de la Red Bull Music Academy, lorsque Juan Atkins quitte Cybotron en 1985, il se lance en solo, parce que Prince avait prouvé qu’un seul homme pouvait sonner comme un orchestre. L’ambiance d’un “Urban Tropics”, en est la preuve,

tout comme le fait que Carl Craig cite Prince comme sa plus grosse influence avec Kraftwerk (à partir de 1 mn 30).

Derrick May, lui, expliquera en 1997 à Mixmag : “Je débarquais en tant qu’artiste, et on me disait soudainement que je devais être un entertainer… Un artiste, c’est Prince, un mec qui aspire à être capable de dire ce qu’il veut dire, de la manière dont il veut le dire, tout en faisant de l’argent.” Et bien au-delà. A New York, en 1987, Frankie Knuckles entérine définitivement la filiation avec “Baby Wants To Ride”. On y retrouve presque tout de Prince, avec un BPM plus élevé. Les synthés, la sensualité, la voix qui s’adresse directement à la nana qu’il a dans le collimateur…

On est proche du Dirty Mind du Kid. Ce même dirty mind sexuel qui sera l’inspiration première des textes d’Egyptian Lover. Afrika Bambaataa et son “Renegades of Funk”,

Dam-Funk et son “Glide”,

Green Velvet et son “Bigger Than Prince”.

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