Article initialement publié dans le TRAX n°211 en mai 2018.
Depuis la sortie en 2013 de l’électrisant Immunity, Jon Hopkins s’était fait particulièrement discret. Le revoilà cinq ans plus tard avec Singularity, l’album sans doute le plus mûr de sa carrière. La recette de ce méticuleux opus ? La sérénité des heures dès que l’on a cessé de les compter, des séances de méditation quotidiennes et quelques trips sous champignons.
Lorsqu’ils rencontrent le succès public et critique, deux voies s’offrent généralement aux artistes : multiplier les projets dans la foulée et battre le fer tant qu’il est chaud, ou bien suspendre le pas, chercher patiemment la prochaine étape. L’ancien acolyte de Brian Eno a évidemment emprunté la seconde. « Durant deux ans et demi, j’ai travaillé exclusivement sur cet album. » Un habitué des collaborations (on se souvient de ses tournées avec Imogen Heap et Coldplay) et compositeur reconnu de musiques de films, Jon Hopkins s’est, pour la première fois, entièrement focalisé sur son travail solo. Surprenant, donc, d’entendre dans les premiers morceaux des sonorités familières, très proches en somme de celles d’Immunity. Sans hâte, elles vont se diluer et s’évaporer.
Quand la marée se retire, et avec elle les stabs tordus et bourdonnants typiques du son d’Hopkins, Singularity révèle des plages spacieuses, où planent des chants éthérés, modelées par les nappes et les arpèges naufragés. À chacun d’apprécier alors le chemin parcouru. Singularity a pris doucement forme au fil des jours. Un galet sculpté par le souffle plutôt que par le burin. Durant ce processus, le moral du producteur s’est avéré sa seule boussole. « Lors des premiers mois, je n’avais aucune idée de comment j’arriverais à terminer cet album. Il a fini par prendre forme, mais j’ai dû apprendre à être patient. Tant qu’il restait dans un morceau quelque chose qui me rend heureux, je continuais à bosser dessus. » Ou lorsque l’intention se mue en attention. À la mélancolie encaissée, boule de nerf qui cogne dans Immunity, succède ainsi un album apaisé et plus « ouvert ». Moins facile à suivre, aussi.
Passé les minutes atones de Feel First Life, l’ouïe se retrouve disloquée entre les pistes de C O S M. « Je me rends compte que les structures de mes morceaux sont plus libres. Mon écriture est moins conditionnée » – le résultat d’années de pratique quotidienne de la méditation transcendantale. Empreint d’un certain mysticisme, Singularity transpose ce récit de dissolution en une fable cyclique. « Il commence par le chaos, l’agression, et se consume en une heure pour finalement se purifier et revenir à son point de départ, mais par le chemin opposé. » Dans ce samsara sonore, la nature immaculée et irrationnelle reprend ses droits sur le désir angulaire des villes. Les synthétiseurs abrasifs laissent place à des morceaux aux kicks feutrés ou absents, à la lisière de l’ambient.
« En vérité, la civilisation n’est qu’une clairière dans la forêt. Plusieurs choses m’ont fait prendre conscience de cela, notamment les champignons psilocybes. L’on expérimente un grand émerveillement pour la nature dans cet état, et j’ai voulu retranscrire une partie de cela en musique. » Bien sûr, il serait erroné de réduire l’album à une sorte d’épiphanie psychédélique. Sur le dernier morceau Recovery, intime ballade acoustique, Hopkins joue d’un piano qu’il possède depuis 1989, celui qui l’a vu grandir. « Il est sur tous mes disques. On l’entend peu sur Singularity, mais il était essentiel qu’il soit présent. » Une douce nostalgie qui tranche avec l’emphase des fugues de milieu d’album. Au pied des grandes visions demeure le nœud confidentiel de l’artiste, un point d’ancrage au départ de ses ascensions cosmiques, pour ne pas tout céder à l’infini. Singularité, donc.
L’album Singularity est sorti le 4 mai sur Domino Records, et Jon Hopkins sera en concert au Trianon le 26 octobre. Plus d’information sur la page facebook de l’évènement.