Reportage : on a envoyé deux stagiaires dans la moiteur d’une rave Possession

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Mariana Matamoros
Le 22.05.2019, à 09h21
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©Mariana Matamoros
Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Mariana Matamoros
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Le 20 avril dans la banlieue de Paris, Trax Magazine a envoyé deux journalistes à une soirée Possession, ces événements itinérants en warehouse de minuit à midi. Bartolomé, habitué de ce genre de soirées, et Antoine, dont c’est la première expérience en warehouse, et qui n’a jamais consommé ni drogue, ni alcool. Chacun raconte l’évolution de sa soirée, heure par heure.

Par Antoine Gailhanou et Bartolomé Laisi

1h, Velizy, banlieue sud de Paris

Antoine – Bart et moi nous y rendons chacun de notre côté, mais sur le chemin, je rencontre d’autres fêtards. Alors que nous n’arrivons pas à trouver l’entrée, nous discutons un peu, et je vois que je serai loin d’être le seul à ne pas prendre de drogues – mais que je serai sûrement l’un des seuls à ne pas boire d’alcool. Une fille me dit même qu’elle préfère les soirées sans substance : « tu as une meilleure sensation de bien-être en en ayant pris, mais tu contrôles plus ton corps ». Je suis frappé de voir que les gens sont très motivés avant même d’entrer, tant Possession s’est fait un nom à Paris.

Bart – Dès la descente du tramway, on entend au loin les basses sourdes et étouffées provenant d’un entrepôt qu’on distingue au loin. Après avoir croisé quelques fêtards et quelques apéros, j’arrive devant un immense bâtiment blanc, ancien dépôt Conforama, investi par des milliers de ravers. Que ce soit autour ou à l’intérieur, on a l’impression d’être au cœur d’une mini-ville. Après un contrôle de sécurité minutieux, je pénètre enfin dans l’enceinte de la warehouse. À droite sont installés les sanitaires, et à gauche, bar et vestiaires assurent l’accueil et le confort du public. Au milieu de la foule, je rejoins Antoine, et l’entraîne avec moi.

A – Bart m’amène directement au cœur de la mêlée, à quelques mètres seulement des enceintes. C’est là que tout se passe. Me voilà plongé dès le départ dans la chaleur des corps et la puissance des basses. À chaque kick, c’est comme si je revivais les batailles de polochon avec mon grand frère. Dans les deux cas, j’ai l’impression que ma tête se transforme en punching ball. Mais il faut bien admettre que le mix est très bon.

B – La scène comporte plus de 80 kilos de sons, un écran géant est dressé, et le public est bien au rendez-vous. On se fait accueillir par la fin du set de Parfait, résidente de Possession, qui annonce la couleur. Autour de nous, un public éclectique : certains sont déguisés, d’autres à l’inverse torse nu, mais tous se déchaînent sur la musique.

2h

A – Les piquets dépassant de quelques centimètres du béton sont très agaçants. « Quelqu’un va finir empalé » plaisante un teufeur croisé à l’urinoir. Je n’y suis d’ailleurs pas retourné de la soirée, et heureusement, parce qu’il a très vite été investi par les corps imbibés. Le voilà, l’avantage majeur de la sobriété.

B – Tout le monde plie les genoux face aux kicks indus sombres et puissants de I Hate Models qui vient de monter sur scène. Je tombe deux ou trois fois sur des piquets, plantés dans le sol, mais je passe outre en riant et repars danser sur le set incroyable qui se joue devant moi. Soudainement, la salle s’éclaircit pleins feux et IHM joue un son de Birdy Nam Nam qui transperce toute la salle. Le public est conquis.

A – Ça y est, c’est déjà rempli. Et l’ambiance est finalement plutôt bon enfant, les gens font juste la fête, librement. Côté mix, I Hate Models est accompagné par le VJing de RIEN et… on peut dire qu’ils y vont fort. Symboles religieux, érotisme, ou même Godzilla et des extraits de vieux films d’horreur, tout se mélange. C’est un peu caricatural, mais dans l’ambiance générale, cela prolonge la transe. Sont aussi projetés des extraits de L’Antre de la Folie de John Carpenter ; et c’est justement ce dans quoi j’ai l’impression d’être tombé.

3h

A – Finalement, on s’habitue à la puissance des basses… Après avoir erré quelques temps dans les lieux, je me retrouve en coulisses avec les organisateurs de Possession. La discussion tourne autour des débuts du collectif jusqu’à la situation actuelle des warehouses en France. On reste une bonne demi-heure à échanger. Au fur et à mesure, des personnes supplémentaires nous rejoignent et on finit par dévier totalement de la discussion initiale. Les organisateurs sont ensuite appelés à retourner à leurs affaires, pour s’occuper de la soirée, et je me redirige vers le son. Une entrevue agréable et intéressante, que j’ai bien fait d’enregistrer… Je retrouve tout le monde après une heure d’absence, toujours au même endroit, et nous continuons la soirée de plus belle.

Pendant ce temps, je m’extrais de la masse et fais un tour de la salle, et je vois déjà les premières victimes de la soirée, assises contre les murs. Chaque fois, quelqu’un est en train de veiller sur eux. Puis en sortant, après avoir constaté que le lieu ne cessait de se remplir, je l’ai vu. Celui que je cherchais, celui que j’imaginais déjà avant même de me rendre à la soirée : cet homme tout seul, dehors, en train de danser sur une musique que lui seul entend. Il a l’air si heureux, 10 000 kilomètres au-dessus de nous.

4h

A – Bart et moi tentons d’accéder au bar, malgré une foule compacte. Je constate encore que tout n’est qu’amour, il n’y a que des ondes positives. Alors que la combinaison de la foule et de la danse provoque forcément quelques bousculades, au lieu de voir les gens enivrés s’empoigner ou se battre, ils s’expliquent comme ils le peuvent et tout finit en rires et embrassades.

B – Tout le monde est déchaîné. Les lights à l’ambiance rougeâtre et les grands stroboscopes électrisent l’ambiance tandis que la foule se focalise sur la monstrueuse fin de set d’IHM. Antoine, bien qu’il soit étranger à ce monde, a les yeux fermés et a l’air de bien aimer le son. Je prends la température de temps en temps, mais tout semble aller !

A – On entre peu à peu dans le cœur de la soirée. Bart est inarrêtable et danse comme un possédé – il est décidément bien dans le thème. De mon côté, je me surprends à me laisser entraîner par l’ambiance et la musique. En revanche, avec mes headbangs, je me demande si on ne va pas finir par remarquer que je suis plus un habitué des concerts de punk que des raves.

5h

A – Mes forces commencent à décliner. Je m’assois sur un côté de la salle, et ferme les yeux un instant. Directement, une fille vient me demander comment je vais, et si je ne fais pas un bad trip. Je savoure cette ironie, tout en me disant que c’était bien la peine de ne rien consommer…

6h

B – Antoine fatigue, et ça se sent. Je sors avec lui et nous discutons un instant, avant de se dire au revoir, car il a finalement décidé de rentrer. On est au milieu de la foule, et c’est assez agréable. L’ambiance est détendue et tout le monde profite des premiers rayons de l’aube. Une fois Antoine parti, je reprends une bière et repars de plus belle devant le son !

A – Je récupère mes affaires au vestiaire, dont les murs tremblent sous l’effet de la musique. Alors que je m’éloigne du hangar, les sifflements des oiseaux prennent petit à petit la place de la techno, et se mêlent à mes acouphènes. Je tente d’enregistrer d’ultimes notes dans mon dictaphone, mais ma voix tremble de fatigue et de fraîcheur du matin, mes pensées peinent à s’organiser. Je prends le premier tram, puis emprunte une ligne 13 vide, où je finis par m’endormir et rater mon arrêt. Il me faudra deux heures au lieu d’une pour rentrer.

B – Le jour se lève, et c’est l’heure pour Dax J de prendre le relais. Après quelques annonces au micro, il prend en peu de temps le contrôle de la foule et déchaîne ses sonorités indus/acid sur tout le warehouse. L’ambiance, qui dans la nuit était sombre et mécanique, devient avec le lever du jour des plus amicales. Nombreux sont ceux qui vont s’asseoir à l’extérieur pour échanger et se reposer. Avec mon ami resté à mes côtés, nous rencontrons un groupe de quelques jeunes, et restons avec eux à l’extérieur un certain temps, à discuter de la soirée.

11h

B – L’ambiance devient quelque peu spéciale. Certains, énervés par la fatigue, commencent à se montrer un peu agressifs et irrespectueux. Je décide de partir pour aller tranquillement finir la soirée dans un parc. Sur le trajet, je rencontre un petit groupe, avec qui je rigole bien. On décide d’aller s’asseoir quelques temps pour profiter du début d’après-midi en buvant quelques bières. À ce moment-là, je me dis que le service de 19h que je dois assurer dans le bar où je travaille va être compliqué…

A – Il faut bien avouer que c’était une bonne découverte. La musique n’est peut-être pas celle qui me transporte le plus, mais il faut reconnaître que les artistes mixaient bien – du moins, ceux que j’ai entendus, puisque je ne suis parti qu’à la moitié de la soirée, en réalité. Mais surtout, la bienveillance qui règne dans ce hangar fait chaud au cœur, et compense une sécurité loin d’être optimale. Ce n’est pas pour autant que je vais recommencer dès demain… Je suis d’ailleurs encore en train de me faire une cure de Brian Eno pour récupérer.

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