Texte co-écrit par Tom Lemann
Avant de m’envoler pour la 10ème édition du Tauron Now Muzica Festival en Pologne, mes quelques recherches autour du festival révèlent rapidement la nature particulière de celui-ci. Financé par un géant de l’industrie polonaise du même nom, le Tauron Festival doit son existence à l’un des plus puissants acteurs économiques de la région de Katowice, fort de son monopole autour de l’exploitation du charbon.
A l’entrée du site, nous sommes effectivement accueillis par un extracteur minier, vestige de la ville fièrement rénovée. L’intense odeur de charbon confirme la présence, à quelques kilomètres de-là, du travail sous-terrain. Le tournant touristique que prend la visite guidée nous fait presque oublier ce qui nous amène en ces terres reculées : la musique.
« Soundtracks » le nouveau live d’Apparat a vite fait de nous le rappeler. Malgré des problèmes techniques inévitables — compte tenu de l’envergure du projet de Sascha Ring et de son équipe de musiciens et artistes A/V — ce show donne brillamment le ton à ce week-end… spécial.
Plongés dans ce décor industriel et guidés par les textures fines et déconstruites d’Autechre ou par l’envoutante performance du génie pianistique Nils Frahm, on vite tendance à oublier l’enjeu politique de l’événement.
Il est intéressant de constater que dans ce théâtre de briques, nombre des artistes s’imprègnent d’un certain penchant pour le froid, la force, le métallique. Et ce constat s’applique même au-delà de l’électronique, à l’instar du mystérieux songwriter Ghostpoet ou de l’imperturbable Tyler the Creator, aussi dur que touchant.
Une réelle place est d’ailleurs faite au hiphop, avec une scene locale ambitieuse et innovante, à l’image de SYNY. L’incontrôlable duo polonais qui a retourné le “Carbon Central” sera sans conteste la plus belle découverte de ce Festival.
Certaines choses ont moins de chances de surprendre en revanche, comme la présence d’une imposante scène RedBull Music Academy prise d’assaut par Die Vögel et Robag Wruhme de Pampa Records, épaulés par son fondateur, infatigable DJ Koze. La fraîcheur et le groove des allemands font mouche dans ce décor de briques rouges.
Des chanteurs de tous horizons sont également conviés, comme le puissant Kwabs ou le planant duo anglais Rhye. Fatima & The Eglo Band a aussi fait le déplacement pour offrir ce qu’il manquait de soul et de jazz à ce festival. Mais la performance la plus inoubliable reste celle du MC anglais Ty, un vétéran qu’on espère voir sillonner la scène internationale encore longtemps.
Jeff Mills et l’impressionnant orchestre symphonique polonais se sont ensuite chargés du final, nous livrant un “Light From The Outside World” flirtant avec l’épique. Déçu — comme beaucoup — par son spectacle de danse contemporaine à la Philharmonie de Paris, cette audacieuse création aura eu le mérite de me réconcilier avec le géant américain.
Le Tauron Festival peut sans rougir se targuer d’une programmation riche et finement agencée. Avec moins de 5000 chanceux sur place, je comprends mieux ce qui a valu à l’édition précédente son titre de “meilleur petit festival européen”. Enfin, il y a tout de même d’autres festivals, tout aussi bons, et organisés par autre chose qu’une entreprise de mines de charbon qui valent le coup d’être vécus.
Au sortir de cette escapade, un subtil parfum d’amertume subsiste. Des interrogations, mêlées à cette odeur de souffre sur nos vêtements. Difficile de remettre en cause l’éthique et la finalité d’un festival lorsqu’il est si bien maîtrisé. Mais impossible, à l’issue de ce festival, de ne pas se demander si le Tauron Festival n’est finalement qu’un “music washing” à l’authentique goût de carbonisé.