Photos par Thémis Belkhadra
Des fêtes “désastreuses en termes de sécurité, de santé publique, de tranquillité pour les riverains, mais aussi d’environnement”. Voici comment il y a quelques semaines les free parties étaient encore présentées au Sénat par le député du Gard, Jean-Paul Fournier. Pourtant, lorsque les DFC, les Beausniaq ou encore le liver RaTaXes réunissent plusieurs milliers de danseurs chevronnés dans une plaine du Loiret, face à 60kW de son pendant près de 48 heures le vendredi 18 mars dernier, rien de tout cela ne semble résonner avec ce que l’on constate sur place…
Il est à peu près 21h quand la boîte vocale dévoile les premières informations. Une voix robotique appelle “du renfort” à se réunir en masse sur le parking d’un hypermarché d’Étampes, dans l’Essonne. À une heure de route de Paris, le point de rendez-vous n’est pas très loin. Soudain, à droite de la nationale 20, apparaissent un hypermarché et un parking noir d’une foule impatiente d’en découdre avec les Insoumis. Le collectif attend que les fêtards soient assez nombreux pour dévoiler le lieu où ils danseront pendant les 48 prochaines heures.
Aux alentours de minuit, du nouveau : “Rendez-vous à… dans le Loiret”. Tout le monde à son poste ; alors que le parking prenait déjà des airs de dancefloor, quelques 200 voitures escortées par la gendarmerie s’élancent immédiatement sur la route nationale. Une longue chenille de lumières s’étend à travers la nuit. Un petit tour – et quelques demi-tours – et nous y sommes. Les gendarmes sont installés à l’entrée et ne semblent pas se faire grand souci : la fête s’installe sous leurs yeux, comme si de rien. À l’entrée du spot, les bénévoles récoltent des donations, parfois plutôt généreuses, qui permettent au mouvement d’exister et aux soundsystems de se développer.

Sur place, l’organisation est optimale. Des gilets fluo s’agitent à travers la jachère transformée en parking éphémère, indiquant aux nouveaux arrivants leur place pour la nuit, aidés de bâtons lumineux. Ambiance tarmac pour décollage en approche ? En trente minutes, l’interminable convoi est rangé, trois grandes allées ayant été conservées pour permettre à quiconque de quitter les lieux quand bon lui semble.
Les sound-systems s’installent au moment où les teufeurs prennent leurs marques sur le spot. Deux rangées d’arbres délimitent un couloir au fond duquel une scène magistrale se dresse. Faite de bois, elle représente un ciel galactique survolé par un énorme vaisseau spatial nommé XF-1803. Juste le temps de se restaurer pour bien démarrer la soirée, les premières basses résonnent dans la plaine.
Il est 1h du matin. Nous sommes un petit millier face au son, dans un no-man’s land total. Aussi loin que l’horizon reste visible, aucun foyer ne semble peupler les alentours. La hardtek, le hardcore et le frenchcore – les spécialités sonores du terroir free français – vont rythmer une nuit courte mais intense. Très vite, les corps s’agitent, les pieds tapent, les esprits s’oublient et la foule décolle. Des sourires euphoriques se dessinent sur les visages. L’alliance réussie des Insoumis et leur puissance de feu impressionnent jusqu’aux habitués.
Lorsque l’aube se lève – déjà ? – et que les danseurs sortent de l’ombre dans la lumière bleutée, c’est au son de la drum’n’bass que chacun réouvre les yeux sur la plaine qui l’entoure : l’herbe fraîche, les arbres, la scène, un tracteur et des voitures qui ne cessent de rejoindre les festivités.
On se (re)découvre. Des très jeunes et des plus vieux, certains venus du Nord, d’autres du Sud, des bobos, des cailleras, des punks… Des différences entre les danseurs qui pourtant ne semblent former qu’une seule famille, où le son serait le trait d’union. Le soleil perce à peine la couche grise qui nous surplombe mais la chaleur est au rendez-vous sur la jachère.
9h du matin, les premiers rythmes de psytrance réunissent encore toute une armée face au mur : pas de répit ici. Au cours de la nuit, les sonorités se sont enchaînée sans barrières, du dub au hardcore en passant par la techno et la psytrance. En teuf, on ne semble discriminer aucun style, tant qu’il est bon et qu’il tape fort. Au loin, le propriétaire du champ voisin laboure son champ comme à son habitude. Qui a dit que la free party troublait la tranquillité des riverains ?
À la lumière du jour on reconnait le stand de Techno+, l’association de prévention. Elle est ici pour sensibiliser les participants aux risques liés à l’usage de drogues ou aux rapports sexuels non-protégés, mais aussi pour assurer la sécurité des participants. On ne les distinguerait pas des autres fêtards, fringués comme tout le monde, s’ils ne venaient régulièrement ce matin à la rencontre des danseurs pour les inviter à être responsable et raisonnable. Une bienveillance promulguée par des passionnés de la free qui rassure, et permet de se rapprocher plus encore l’objectif d’autogestion des Insoumis.
Soudain, le son se coupe. Il est 11 heures, et une voix annonce au micro : “On coupe le son un moment pour nettoyer le site, à vos sacs poubelles !” En quelques minutes, tout ce petit monde s’active. Les groupes se déplacent, sacs à la main dans une sorte de chasse au trésor écologique dans la plaine restée de toute façon très propre.
Nulle règle ou loi n’a semblé avoir court ici, si ce n’est le simple mot d’ordre “fais attention à toi, aux autres et au site”. Résultat des comptes au petit jour, déjà bien avancé, une foule riante sur une herbe propre. Contrairement aux éternels fantasmes, pas de détritus ni d’overdose, mais une fête libre, autogérée et réussie où le seul désir y est de faire la fête et d’apprécier une musique brute et sans visage, et non le dernier “prodige berlinois”. Cette dernière teuf impose le collectif des Insoumis parmi les figures de proue de la free en région parisienne, confirmant sa capacité à proposer des événements, certes illégaux, mais propres et calmes, en toute sécurité. Pour la prochaine, il faudra inviter Jean-Paul Fournier.