Rencontre avec la DJ française AZF qui bouscule la scène techno parisienne

Écrit par Pierre Serafini
Photo de couverture : ©Jacob Khrist
Le 30.06.2016, à 16h52
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©Jacob Khrist
Écrit par Pierre Serafini
Photo de couverture : ©Jacob Khrist
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AZF fait partie de ces DJs qui façonnent le futur du clubbing “made in Paris”. Résidente chez Moune, DA des soirées Jeudi Minuit à La Java, Audrey a récemment fait exploser la première Boiler Room organisée par Teki Latex à Paris, avec un set techno sans compromis qui coïncide parfaitement avec son personnage, sa vision de la musique et de tout ce qui gravite autour. Elle remet ça pour un podcast Trax exclusif, en complément d’une interview fleuve qui remet les pendules à l’heure. Rencontre avec une femme qui donne envie de croire en l’avenir et qui n’a pas fini de faire parler d’elle.

Retrouvez AZF aux pages mode du TRAX 194 (été 2016, spécial Ibiza), en kiosque dès mardi 5 juillet

Où trouver son mag


Tracklist en fin d’article

Quand et pourquoi as-tu commencé à mixer ?

Un peu par hasard en fait. J’étais physio de la soirée d’une pote, Leonie Pernet, qui s’appelait les Corps vs Machine. C’était une soirée techno pour meuf, assez trash, Chez Moune, à l’époque où Guido d’Acid Arab était DA. C’est vraiment mon premier club de cœur, même si j’ai connu le Pulp et que j’y allais souvent, surtout les jeudis – j’étais encore trop jeune, je pense. À cette période, tout pouvait arriver, c’était assez magique. Je me suis retrouvée derrière les platines de cette soirée où je suis devenue résidente quelques temps, sans trop savoir pourquoi ! Je pense que ça devait être en 2012 ou 2013, je n’ai jamais eu la mémoire des dates… Puis j’ai commencé à m’y mettre plus sérieusement il y a trois ans, d’abord en duo, puis seule maintenant.

“Je ne joue que la musique que j’aime. Sombre, oui, sûrement, je ne pense pas être une personne hyper shiny.”

Ton premier disque ?

Si on parle de musique électronique, mon premier disque était un CD mixé d’Ivan Smagghe qui s’appelait Cocorico 03, sur le label italien Mantra Vibes en 2008. Je l’écoutais en boucle à l’époque et je l’ai pas réécouté depuis.

Ton podcast est plein d’énergie et met en avant une techno industrielle sombre mais pas glauque, sans complexe. Il te ressemble pas mal en fait, non ?

J’espère ! Je ne joue que la musique que j’aime, que j’écoute chez moi du soir au matin. Sombre, oui, sûrement, je ne pense pas être une personne hyper shiny. J’aime ce truc brutal dans la techno industrielle, un truc direct, assez violent. J’aime le fait qu’il ne faille pas forcément l’intellectualiser pour la ressentir, c’est pour ça que je ne m’en lasse pas depuis tout ce temps. Ça correspond sûrement à une part de mon caractère, évidemment, je n’ai pas du tout un rapport froid et distant à la musique. Je l’analyse, certes, mais ce n’est jamais ça qui prime sur le reste. La part sensible est énormément importante pour moi. Mais “sensible” ne rime pas forcément avec “gentil” ou “sentiment facile”, ça peut être une part sombre, des pulsions ou ce genre de choses.

D’ailleurs, à quoi ressemble ta vie en ce moment ?

Ah ! Ma vie est un peu moins en bordel qu’avant, figure-toi ! Je vis à Berlin depuis quelques temps, pour une durée encore indéterminée et c’est un truc assez nouveau pour moi. Je suis très attachée à ma ville, Paris, je n’avais jamais pensé vivre ailleurs. J’ai tout ici, mes amis, ma famille… Mais j’ai eu l’occasion de faire pas mal d’allers-retours entre ces deux villes depuis environ un an et je me suis rendu compte que Berlin me permettait finalement une vie plus calme, un peu plus posée, contrairement à ce qu’on pourrait croire ! J’avais besoin de ça. La vie à Paris est assez intense, la limite entre la vie pro et la vie perso est plus mince car tu connais facilement tout le monde. Être à Berlin me permet de prendre du recul sur les choses, qui se passent assez vite en ce moment.

“Ma sexualité n’est pas un choix ou un attribut, c’est mon identité, mais ça n’a pas de rapport direct et utile avec la musique que je joue.

Côté DJ, ça se passe super bien en ce moment, notamment depuis la Boiler Room du mois dernier qui a été un énorme accélérateur. Prochainement, il y a le festival Astropolis, l’opening du Macki Festival, le Rex pour la première fois avec une soirée du crew Legitime, et le 4 août, je curate le Woodfloor de la Concrète, entre autres gigs en Province. Pour cette date à Concrète, j’ai la chance de pouvoir faire mon plateau et donc de faire jouer des artistes locaux que j’aime.

À coté de ça, je m’occupe toujours de la programmation des Jeudi Minuit à La Java, donc je ne coupe pas totalement le cordon avec Paris ! J’essaye de faire se côtoyer différentes familles et scènes locales plus underground. On est sur des petits formats parce que c’est un jeudi, mais ça nous permet de faire venir des artistes ou des collectifs qu’on soutient, sans pression de résultat. C’est assez agréable de bosser dans ces conditions. Ça fait maintenant deux saisons que je fais ça, une soirée par semaine, sur des petits budgets. C’est du travail, c’est certain ! On peut dire que c’est vraiment mon bébé, ce projet.


AZF – Overdrive Infinity par OverdriveInfinity

Tu fais partie des trop rares artistes féminins et LGBT à avoir une résidence et un public grandissant à Paris. Tu penses que la scène électronique va dans le bon sens par rapport aux combats qui restent à mener ?

Dans le bon sens, je trouve que ce sont quand même de grands mots. Je pense qu’on ne recule pas, c’est déjà ça… En discutant avec les promoteurs, je sais que c’est une question et un débat qui arrive beaucoup plus fréquemment qu’avant. Après, j’ai peut-être un discours un peu moins radical que d’autre sur le sujet. La parité parfaite dans la musique électronique, je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire. Ce que je souhaite en revanche, si on parle des médias par exemple, c’est qu’une fille qui produit aussi bien qu’un mec (si cela est quantifiable en ces termes), dans le même style, etc, n’ait pas à en faire cent fois plus pour obtenir la même visibilité. Mais aussi que cette visibilité ne soit pas due, en premier lieu, au fait d’être une fille. Déjà que c’est compliqué d’être une meuf dans un milieu de mecs, si en plus tu arrives à sortir ta musique et que tu dois encore prouver qu’elle n’est pas reliée à ton genre pour enfin prouver sa légitimité, là, ça devient complètement ridicule.

C’est le traitement qui me révolte. Cette question qu’on me pose à chaque fois : “On dit souvent que tu joues de la techno de mec, qu’en penses-tu ?” J’en pense que c’est débile comme question ! Comme si, avant un set, en choisissant mes tracks, je me disais : “Bon, ce soir je joue plutôt de la techno de meuf ou de la techno de mec ?” Mais ça veut dire quoi ? Qu’on me fasse écouter les deux, que je puisse enfin comprendre cette question. Si j’ai envie d’arriver en bombers et en jean tout déchiré pour jouer et la semaine d’après faire un shooting mode pour Trax, qu’est-ce que ça peut bien avoir à faire avec ma musique ?

“Ce que je souhaite, c’est qu’une fille qui produit aussi bien qu’un mec […] n’ait pas à en faire cent fois plus pour obtenir la même visibilité.”

Dans ma vie personnelle, j’essaye systématiquement de démonter l’obstacle du genre, et je fais pareil dans ma vie professionnelle. Si je fais ce shooting, qui n’est pas un truc sur lequel on m’attend, c’est aussi pour ça et parce que ça me faisait marrer. La misogynie, le sexisme existent dans la musique comme dans tous les domaines professionnels en France, il est là le fond du problème. Et c’est encore plus triste et énervant de voir que, même dans un milieu dit de “culture”, on en soit encore à ce stade.

Après, j’ai la “chance” d’évoluer dans des réseaux plus indépendants, plus underground, où on est quand même plus nombreuses et libres d’y faire la musique que l’on veut. Aussi parce que ce chemin a commencé à être tracé par des filles comme Jennifer Cardini ou Chloé, qui ont compté pour ma génération de meufs, en tout cas dans la musique électronique.

En ce qui concerne la partie LGBT de cette question, je dirais que ma sexualité n’est pas un choix ou un attribut, c’est mon identité, mais ça n’a pas de rapport direct et utile avec la musique que je joue. Ce sont tous les composants de ma personne qui impactent sur ma musique. J’ai des idées politiques arrêtées sur le sujet et je les partage avec les gens autour de moi. Il y a énormément de choses qui me révoltent et j’essaye de les faire changer à mon échelle. Mais quand je joue, je fais de la musique, pas de la politique. Si ce que je suis, ou la manière dont je fais les choses, peuvent positivement influencer les gens autour de moi, alors tant mieux. Mais quand je suis en train de jouer, je ne pense pas à ça, j’essaye juste de faire un bon set et de faire danser les gens.

“Mais quand je joue, je fais de la musique, pas de la politique.”

La scène parisienne a bien évolué en quelques années. Comment perçois-tu cette nouvelle vague, dont tu fais partie, qui secoue un peu les choses ?

Je ne sais pas vraiment si je fais partie de cette nouvelle vague. Mais oui, je crois que le constat est assez unanime, la nuit à Paris a complètement changé. Il y a évidement beaucoup plus d’offres, autant dans le mainstream que dans les circuits plus indépendants, et c’est ça qui est vraiment génial. Maintenant, tu peux faire la fête à Paris dans des lieux complètement différents, à tous les prix, tous les jours. Tu as des clubs comme le Rex ou Concrète, mais aussi des spots incroyables comme la Station du Garage Mu ou d’autres projets comme Champ Libre. Il y a aussi tous les nouveaux crews ou labels qui défoncent, comme le label Permalnk ou les gars de Casual Gabberz ou des jeunes artistes comme Draum:Raum:, Boe Strummer, Détente ou les meufs de TGAF par exemple. Il y a trop de trucs qui se passent et ils vont tous nous mettre une raclée.

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Y a-t-il des artistes qui ont compté dans ta carrière ?

Je suis contente que tu me poses cette question car oui, il y a des gens qui comptent dans ma carrière pour des raisons très différentes et je n’ai pas assez souvent l’occasion de le dire. Un mec comme Krikor aka Crackboy par exemple, qui a été le premier à croire en moi alors que je ne calais pas deux sons, reste quelqu’un de très important pour moi. Il y a aussi Teki Latex qui m’a offert tous mes grands rendez-vous, les Overdrive, Boiler Room… Il a toujours cru en moi, même dans les périodes où ce n’était pas forcément facile. Ou encore des promoteurs comme Brice Coudert, qui m’a offert ma première Concrète. Ça sortait de nulle part et forcément, quand il te réinvite plusieurs fois, ça t’aide à avoir une légitimité à Paris. Le collectif Fils de Venus, aussi, qui me soutient depuis le début.

Sur un autre plan, il y a des artistes qui sont de très proches amis, comme December qui m’a récemment beaucoup influencée. Sa façon de concevoir la musique, qui était bien plus radicale que moi au début, m’a permis de vraiment préciser ce que je voulais être musicalement. Un mec comme Voiron également, à force de trainer ensemble et de partager des morceaux, évidemment, ça déteint. Tu vois, ce sont des profils très différents les uns des autres, certains ne peuvent d’ailleurs pas se voir, ça me fait rire !

Tes artistes préférés à Paris en ce moment ?

Tous ceux cités plus haut ! Mais aussi les mecs de Collapsing Market, Maoupa Mazzochetti, mes gars de Motto, Betty, le label Le turc Mécanique… Il y en a tellement !

Des endroits que tu recommanderais pour faire la fête ?

Comme je l’ai dit un peu plus haut, la Station du Garage Mu, sans hésiter, avec une programmation et un lieu trop cool ainsi qu’une équipe adorable ; le 6B, bien que je n’ai pas encore eu le temps d’y aller, mais j’en entends que du bien ; et bien évidemment la Java, c’est la maison.

Tu voudrais dire quelque chose aux lecteurs de Trax ?

De faire attention au soleil cet été, ne pas écouter tout ce qu’on dit à la télé, d’être curieux, ne pas uniquement aller dans ces soirées où il y a des DJs du top RA, soutenir sa scène locale car ce sont eux qui font que la fête à Paris est ce qu’elle est aujourd’hui, qu’on ne demande pas du Rihanna pendant le set d’un DJ et que je leur fais un bisou.

Tracklist du TRAX.186

Russell E. L. Butler – God Is Change
Svengalisghost – Marathon
Tzusing – King Of System
Beau Wanzer – Hey Hey Hey Hey
Amato – Physique
Bookworms – Showering
Jerome Hill – Memory Machine
Terence Fixmer – Elka
Signal ST – The Rave Signal
Buttechno – A1 Untitled
14anger – Daybreak In Hades
Umwelt – State Of Matter

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