Les synthétiseurs s’entassent à l’entrée de la pièce. Pablo Bozzi partage ce salon-studio avec Arthur, son pote et colocataire. « Beaucoup de claviers, un drum pad et plusieurs pédales d’effets, énumère le producteur en pointant chaque machine du doigt. C’est simple. Dès que j’ai un peu d’argent, j’investis dans du nouveau matériel. » Ce home-studio bien fourni fait face aux platines vinyles et CDJ du Toulousain. Un dispositif conséquent mais nécessaire au travail de ce garçon arborant une épaisse moustache de biker et une chemise à manches courtes tout droit sortie des 80’s. Le reste de la pièce est occupée par trois larges canapés en cuir noir. Les murs sont habillés de posters du label berlinois aufnahme + wiedergabe et d’une mystérieuse plaque en métal endommagée. « Ça ? Arthur l’a ramené d’une performance durant laquelle les mecs utilisaient le son de perceuse dans une plaque de métal. À la fin du show, mon coloc’ l’a prise et elle a fini sur notre mur », s’amuse Pablo.

Friedrichshain, quartier de coeur
Quand ils arrivent à Berlin, en août 2017, les deux Toulousains posent directement leurs valises dans cet appartement situé à Friedrichshain. « C’est mon quartier de cœur », confie le moustachu. Habitué à traîner dans le secteur depuis 2015, Pablo y venait régulièrement voir son pote Thomas, avec qui il forme Imperial Black Unit. Initialement connu comme le quartier punk et alternatif, l’arrondissement réunit aussi de nombreux clubs techno de la ville. « J’ai rapidement apprécié l’ambiance : des jeunes familles, des parcs à proximité et de bonnes options pour manger dehors à toute heure », liste le garçon qui émerge souvent au couché du soleil.

La nuit, quand il n’est pas en en soirée, Pablo produit. « J’ai un rythme de vie décalé. La nuit m’apporte davantage d’inspiration. Je ne sais pas si c’est le fait que tout le monde dorme mais ça me met dans une bonne vibe », reconnaît le jeune producteur qui a passé son hiver confiné dans son salon-studio, le nez dans ses machines. « Le Covid a foutu la merde concernant les soirées. Financièrement, c’était compliqué, mais, d’un autre côté, ça m’a laissé énormément de temps pour produire », se réjouit le protagoniste de l’italo bozzi music.
Italo Bozzi Music
Fin 2019, Pablo commence à se lasser de l’EBM brutale produit sous son alias Lapse of Reason. « Au même moment, je perds ma maman. J’avais besoin de quelque chose de moins dark avec plus d’émotions et il me fallait un nouvel alias. Ça s’est fait très naturellement », se souvient Pablo Bozzi, qui finit par sortir ses nouveaux morceaux sous son véritable nom.
Celui qui a démarré les musiques électroniques en arrivant au lycée après dix ans passés à jouer du clavecin au conservatoire de Toulouse, part en quête d’un nouveau son. « Je découvre l’italo disco via le new beat et la scène belge, se souvient le jeune homme né d’un père italien qui a toujours écouté de la musique des années 80. Je lui ai emboîté le pas en développant une passion pour cet esthétisme synth wave. »
Son goût pour cette période ne se limite pas seulement à la musique, puisque, grâce à ses grands frères, Pablo tombe aussi amoureux du Giallo, ce cinéma d’horreur italien incarné par les films de Dario Argento. Il n’est donc pas surprenant que les sorties du label Giallo Disco de Vercetti Technicolor nourrissent l’inspiration du producteur toulousain par la suite. « Ça m’a vraiment donné envie de produire de l’italo. Il y a cet aspect plus dark qu’ils appellent horror disco. C’était la parfaite transition entre l’EBM et l’italo, confie Pablo qui ne se fait pas prier pour en insérer de plus en plus dans ses Dj sets. Quand j’en jouais en club, je trouvais que certains morceaux manquaient de punch. Alors j’y ai rajouté des gros kicks, des basslines plus lourdes et des drums plus compressés ! » Lorsque le premier EP tamponné Pablo Bozzi sort sur le label de Phase Fatale, certains de ses potes lui font cette blague avec italo body music et italo bozzi music. « Le jeu de mot représente bien ce mélange EBM et italo. C’est resté et ça a même créé un petit engouement », avoue l’artiste.
Cyberpunk
À cela s’ajoutent les influences plus spatiales de films comme 2001, l’Odyssée de l’espace ou de l’univers cyberpunk, déjà présent grâce au sample de Blade Runner dans son projet Corpo Mecanicco, sorti en septembre 2019 avec son pote Kendal. L’idée de produire de la musique pour un film trotte dans la tête des deux amis formant le duo INFRAVISION. « Quand on compose, on visualise toujours une image. Si la production de musique de film se concrétise un jour, ça serait top ! J’y crois car notre musique hybride entre trance et italo s’y prête bien. Si l’univers de la mode s’y intéresse, ce n’est pas pour rien. On retrouve même de l’italo dans l’industrie mainstream, dans “Blinding Lights” de The Weeknd par exemple », cite Pablo, désormais directeur artistique musical de la marque parisienne Egon Lab.
Attachés à la puissance de l’image, les deux garçons de la Ville rose prévoient de clipper “4am in Parga Street”, issu de leur album sorti le 31 mai sur Fleisch Records. Kendal et Pablo imaginent d’ailleurs une vidéo avec « une vibe cyberpunk 80’s façon film d’action futuriste » dans lequel ils aimeraient incarner des tueurs à gages en pleine poursuite. Encore en gestation, le projet devrait sortir de terre en fin d’année.

Avant d’appliquer cette teinte cinématographique à ses productions, Pablo Bozzi a diggé le genre de fond en comble. D’abord avec les tubes italo du début des années 80 puis avec la variante « plus technoïde » qui voit le jour fin 90 début 2000. Boîtes à rythmes et synthétiseurs remplacent les instruments traditionnels. « Des artistes tels que Robert Görl de DAF, Sandy Marton, Fockewulf 190, Hard Corps et surtout la compilation Mixed-up in the Hague sortie en 1999 par I-f. J’ai ressenti un aspect très festif qu’on retrouve en club sur le dancefloor, décrit le Dj. Ça déclenche un sentiment d’euphorie puissant. »

Mais en attendant de retrouver les clubs, Pablo Bozzi se concentre sur le reste et enchaîne les voyages entre la France et l’Allemagne. « À Berlin, j’ai ma résidence chez Hör. À Paris, il y a mon travail comme curateur pour Egon Lab et des occasions particulières comme le live à la Gaîté Lyrique. Puis, à Toulouse, il y a Kendal et tous mes potes », liste le garçon. À chaque retour dans la capitale allemande, sa petite routine reprend forme. « Je me donne à fond en studio, confie le noctambule. Je suis dans les starting blocks pour être prêt quand tout va repartir ! »