À Reims, il faut le savoir: la vie nocturne alternative, c’est pas trop ça. À 2h du matin, c’est terminarès, la fête est finie. Alors, quand les associations locales ont l’occasion d’organiser des évènements, elles y vont à fond. Et le public le leur rend bien. Comme dans beaucoup de petites villes calmes comme Reims, la moindre soirée attire des publics différents.
Ces publics se sont donc réunis les 23, 24 et 25 septembre dernier au Palais du Tau. Si aujourd’hui celui-ci sert de musée pour la cathédrale, il fût une résidence d’archevêques de Reims au Moyen Age. On imagine bien là quelques parties fines médiévales… Alors, quel meilleur endroit pour célébrer la dernière édition des Noces Félines ? Pour officier dignement cette dernière danse, la team de Velours Prod a programmé trois ambiances, pour trois nuits aux atmosphères uniques. Avec toujours un fil rouge : l’amour du live pour la transe hypnotique.
Hypnose Boréale pour un jeudi normal
Ainsi dès le jeudi, l’Hypnose Boréale se levait sur Reims. Ouverture du bal avec Ayuji & Numa pour un b2b solaire. Les deux amis du collectif La Forge, en place dès 20h30, lancent les hostilités d’une longue nuit chaude. Le public est timide, mais se laisse aller doucement. Pour l’accueillir, les gars de Posca se tiennent à l’entrée, feutre à la main, et invitent les artistes en herbe à peindre une fresque géante, qui sera complétée tout au long du festival. Le chic bar à champagne, un peu plus loin, contraste avec une énergie familiale et des prix ultra accessibles. Côté merch, on brade les prix pour liquidation totale : sweats d’anciennes édition, tote bags, t-shirts… On achète avec mélancolie mais on s’attarde surtout sur les milliers de masques de chat. Peints à la main par Velours et ses bénévoles, ils sont l’identité visuelle des Noces. Chaque jour, le stand se vide un peu plus et les masques se vissent sur les visages.
Le temps de faire un tour, La Forge a quitté la scène et Emile Londonien a pris sa place. Issu du label strasbourgeois Omezis et du groupe de techno Cheap House, le trio raconte la rencontre entre le Grand Est et Londres, rendant délicieusement hommage au broken beat, à la house et au jazz. Mêlant composition et impro, la bande embarque le public sur un chemin stratosphérique. De là, on ne peut plus revenir.
Dans les coulisses, Romane Santarelli, petit génie technoïde, s’impatiente de jouer : « C’est chouette d’être là. Tout est allé très vite ces derniers mois. La première fois que j’ai dansé en club, c’était juste avant le premier confinement. Et cet été j’ai fait la première partie de Woodkid aux Nuits de Fourvières à Lyon, c’est fou ! ». Juste après, les Marseillais fous de Makoto San prennent le relais. C’est là que l’Hypnose Boréale prend réellement vie. Masqué comme jamais, le groupe né de multitudes d’entités offre au public une techno ultra musicale. Les instruments inconnus s’invitent, tout est millimétré et simplement sublime.
Frénésie Tropicale pour un vendredi idéal
Le vendredi, place à la Frénésie Tropicale. Cette fois, le week-end commence, il n’y aura pas de quartier. Dès 20h, un petit groupe se presse devant l’entrée pour profiter du salon extérieur aménagé par Fikus. Duo de femmes extra, Fikus travaille main dans la main avec Velours depuis des années pour élaborer des scénographies végétales à couper le souffle. Avec finesses, le mobilier recyclé ou en palettes est orné de fleurs rares (coucou les Orchidées du Japon) et surmonté de guirlandes lumineuses. Chaque soir, c’est le même cirque. Avant que le public n’arrive, on ouvre les bouteilles de champagne et on arrose les plantes. Les bénévoles s’activent et prennent les derniers rayons de soleil avant l’arrivée des félins.
Le rémois Kuzcko semble déjà en transe. Son warm up commence un peu fort mais témoigne d’une grande connaissance musicale et d’un sens aigu des transitions. Puis, Voilaaa Sound System fait son apparition. La bande franco-sénégalo-nigériane fracasse les basses avec un lointain disco des années 70. Le crew programmé sur plusieurs festivals dans les mois à venir est réuni par Bruno Hovart, producteur depuis 15 ans sur différents labels de Lyon, Paris, Berlin, Detroit, Melbourne ou Londres. S’il est déçu de la prestation de ce vendredi (il nous l’avouera plus tard), le public n’est pas d’accord et se laisse transporter dans les pentes de Lyon, où tout a commencé.
Ce soir là, la jauge affiche complet très vite. Les anciens de Velours s’invitent, la nostalgie de la fin n’est pas encore arrivée à destination. Même Yuksek passe une tête pour dire au revoir et confirme le ton général : à Reims, la vie nocturne est très calme. « J’aime beaucoup ce qu’a créé Thibaud Rolland », commente le Rémois. « Je n’avais jamais pu y participer, donc c’est bien d’y être pour la dernière. Il ne se passe pas grand chose pour les scènes indépendantes et alternatives ici… Je suis très content. »
Puis Guiss Guiss Bou Bess débarque avec ses sabars, ses rythmes séculaires et électroniques. À la barre, Stéphane Costantini, beatmaker/batteur et Mara Seck, héritier de la tradition griotique et percussionniste. Saluant la mémoire de Doudou Ndiaye Rose et la spiritualité de la communauté Baye Fall dans un grand shaker, ils mixent le tout pour préparer le public à Moonshine. Le collectif canadien qu’on ne présente presque plus embarque le public dans un large univers aux accents afro-futuristes, bass heavy, kuduro et électro-funk. Difficile de s’imaginer une troisième noce aussi hypnotique.
Transe Orientale pour un samedi sale
Puis samedi arrive. La journée, les Rémois·es profitent de la Cour d’Honneur, où se tient le fameux salon végétal de Fikus. Un atelier de Posca accueille les plus jeunes, on se remet doucement de la veille. Mais surtout, on attend patiemment la dernière soirée. L’émotion commence à se faire sentir dans les équipes. Thibaud Rolland travaille son discours de clôture dans un coin, les yeux tristes et le sourire tout de même. « Ça fait bizarre… Je m’en rendais pas bien compte les deux premiers jours mais là, je sens que c’est la fin. Il faut penser à l’avenir maintenant. La fin de quelque chose, c’est toujours le début d’une autre », philosophe-t-il.
Puis la mélancolie s’échappe. Les artistes s’enchaînent à la perfection. Le duo Bedouin Burger laisse place à Johan Papaconstantino. Après son live, le prodige grec semble ému de revoir le public : « Ça fait vraiment du bien de voir les visages. La petite scène permet ça, tout de suite on ressent l’énergie du public. » Rechargé à bloc, il disparaît pour se fondre dans la foule et profiter de la dernière noce.
Enfin, c’est le moment du discours. Thibaut Rolland monte sur scène. Cette fois-ci, c’est Charlotte de Fikus, sa chérie, qui tient le gâteau. « Les Noces Félines auront été les 10 plus belles années de ma vie », souffle le fondateur dans le micro. Parmi le public, celleux qui ne connaissent pas l’histoire de Velours partagent néanmoins la nostalgie. Clap de fin sur Kabylie Minogue. Bye bye Velours.