Radio Meuh : La grande histoire d’une webradio au sommet

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Daily Laurel
Le 04.05.2021, à 18h24
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En 2007, Philippe Thévenet et Christian Pollet-Thiollier ont une idée: diffuser de la musique sous forme de playlists sur Internet. Une idée simple qui fait aujourd’hui de leur station Radio Meuh la première webradio de France, avec 2 millions d’auditeurs mensuels, inscrivant au passage La Clusaz sur la carte des musiques électroniques.

Par Maxime Jacob

Quand il fait beau à La Clusaz, il est un chalet qui se repère de loin. Pas par son architecture – il ressemble à tous les chalets construits en station alpine dans les années 1970 – mais grâce au Solex bleu électrique qui barre l’entrée. Le véhicule garé à la va-vite masque partiellement la tête de vache munie d’un casque audio dessinée sur la porte : les armoiries de « la Meuh », la webradio de La Clusaz. Les occupants de l’édifice en bois l’ont affectueusement rebaptisé « la Maison de la Radio Meuh », en hommage au siège parisien de Radio France. C’est là, en ce premier mardi d’avril, dans un calme formidable, que Philippe Thévenet se remet doucement du week-end de fête qui a agité la station. À 44 ans, l’homme derrière Radio Meuh vient de clôturer avec son équipe la septième édition du Circus Festival, rendez-vous annuel des amateurs de funk, de world music et de reblochon. « J’ai pu dormir un peu ce matin, c’était nécessaire », baille le Savoyard au visage glabre. « On a démonté les structures, mais on a encore pas mal de paperasse administrative à remplir. » Deux jours plus tôt, Philippe Thévenet courait partout, de régie en concerts off installés dans les bars de la ville, alors que les Napolitains de Nu Guinea jouaient sous le chapiteau de la grande scène, que le public des Congolais Kokoko ! s’essayait à la transe alpine. « On commence à être rodé maintenant ! Les premières éditions, ça ne filait pas aussi droit, sourit le quarantenaire. Quand on a commencé tout ça, il n’y avait qu’une dalle de béton qui servait de parking à la place du chapiteau. »

©Nicolas Scordia

L’organisation de festival, ce n’était pas le cœur de métier du natif de La Clusaz. Issu d’une famille d’hôteliers, Philippe Thévenet avait un destin tout tracé, bien loin des ondes radiophoniques : il aurait dû reprendre le business familial, un hôtel historique de la station bâti dans les années 1940. « J’aurais pu m’assurer un revenu à vie, mais je ne m’y suis jamais vraiment vu », balaie l’intéressé. La faute en partie à son grand frère, qu’on imagine en santiags et surchemise en daim et qui l’initie dès l’adolescence à Neil Young et Bob Dylan. MTV fera le reste : comme tout teenager dans les 90’s, Philippe est victime de l’Unplugged de Nirvana. « À La Clusaz, on a la chance de ne pas être trop isolés de grandes villes comme Annecy ou Genève. Je pouvais trouver les disques de Soundgarden que je voulais à la Fnac. Si j’étais né à Albertville, ça aurait été moins facile. » La musique prend rapidement beaucoup de place dans la vie du Cluse. Il passe son bac, ne poursuit pas d’études, gagne sa vie comme saisonnier en hiver, voyage le reste du temps. « Parmi mes amis, je suis devenu le type branché musique. J’organisais les périples à Lyon pour assister au concert des Foo Fighters, je me tenais au courant des sorties », restitue-t-il.

« Attends un peu qu’on ait l’ADSL! »

Au début des années 2000, le futur directeur d’antenne reprend la gérance d’une brasserie de La Clusaz, qui devient rapidement le quartier général de sa bande de potes. « On servait des plats typiques, des raclettes, etc.. Le lieu avait même été recommandé par le guide du Routard ! Il faut de l’imagination pour s’en rendre compte aujourd’hui mais à l’époque, le restaurant était à la fois un lieu pour touristes et l’endroit où l’on se retrouvait pour fumer des cigarettes en écoutant de la musique. » La bande-son de l’établissement est fournie par le patron lui-même. Les graveurs de disques viennent de débarquer dans les foyers et le Savoyard brûle beaucoup de CD-R. « Bien sûr, je ne passais pas de Nirvana ou de morceaux trop énervés dans le restaurant. L’idée, quand je faisais une playlist, c’était de sélectionner des morceaux qui apportent une ambiance mais qui ne sont pas dénués d’intérêt si l’on tend l’oreille. Je me suis donc naturellement dirigé vers le funk, vers des ambiances plus empreintes de groove. » L’histoire aurait pu en rester là sans compter l’intervention de Christian Pollet-Thiollier, ami de longue date et informaticien. « J’avais toujours rêvé de vivre de la musique », confie Philippe Thévenet. « Le fait de créer des playlists m’a donné une idée : créer une radio FM. Mais après réflexion, c’était beaucoup de boulot et obtenir une onde pour émettre était compliqué. Et là, Christian commence à me parler de streaming. On était en 2002. Il m’a dit : “Attends un peu qu’on ait l’ADSL et on lance notre radio en ligne.” Je crois que je lui ai répondu : “L’AD… quoi ?!” »

La technologie ne permet pas encore aux deux Cluses d’émettre en streaming depuis le massif alpin. Mais le projet fait son chemin, jusqu’à ce qu’en 2007, Christian Pollet-Thiollier tombe sur un logiciel open source, qu’il bidouille un peu. Nom de code ? Mediabox404. Un outil qui permet à Radio Meuh de créer des playlists hébergées sur un serveur situé à Paris. Douze ans plus tard, le monde a oublié Myspace mais la radio tourne toujours sur le même programme. Cette sélection musicale tout-terrain va rapidement se faire connaître dans toute la France : « Beaucoup de saisonniers viennent travailler à La Clusaz. En repartant dans leur région, ils parlent de Radio Meuh autour d’eux, diffusent la radio dans les bars où ils travaillent », affirme le programmateur.

Les vertus de la gentiane

Avec 2 millions d’auditeurs mensuels en 2019 d’après l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), Radio Meuh est la première webradio indépendante de France. Devant Nova et juste derrière les stations de Radio France et autre OÜI FM. La formule des débuts demeure inchangée : du groove en continu et sans publicité. Seule nouveauté, Philippe Thévenet et son équipe diffusent désormais des émissions en forme de cartes blanches à des DJ’s. En 2016, Laurent Garnier y délocalise It Is What It Is, la mensuelle qu’il tenait sur Mouv’, après avoir rencontré la bande de Meuh autour de quelques dés de gentiane maison. « Garnier appréciait tellement la gentiane que son manager a commencé à flipper », raille Philippe Thévenet. « Il nous a dit que ça allait être compliqué de lui trouver de la gentiane à chaque fois qu’il est programmé ! » Le DJ ouvrira la voie à son protégé S3A, qui assure à son tour une émission à l’antenne la même année. « J’ai été séduit par la ligne exigeante mais grand public de Radio Meuh », affirme le résident du Rex Club. « Ils ont un côté proche des gens, pas élitiste. » « À chaque fois qu’on décide d’inviter un DJ à lancer son émission, c’est par affinité personnelle. On souhaite que Meuh reste un truc de potes », ajoute le directeur d’antenne. S3A confirme : « On s’est rencontrés alors que je jouais au Sucre, à Lyon. On a décidé de travailler ensemble à l’issue d’une soirée bien arrosée. »

Le « truc de potes » s’est tout de même un peu professionnalisé, avec 5 personnes dévouées à l’organisation du Circus Festival et une équipe de DJ’s qui sillonne les festivals pour représenter l’écurie. Un développement inévitable, au regard de l’engouement mondial autour du phénomène webradio. En France, Radio Meuh a ouvert la voie pour Le Mellotron, Rinse.fr, LYL, pour les Lillois de Comala et beaucoup d’autres. Des équipes plus jeunes, qui fédèrent des scènes électroniques locales, lancent des carrières et qui expérimentent façon radio libre au-delà du format de playlist en ligne, avec des émissions filmées et des événements en commun. Antoine Wildcake présente par exemple Comala Maison sur la station éponyme : « Je me rends chaque mois chez des DJs pour les interviewer », décrit-il. « On discute autour d’une sélection de disques de leur collection et quand je peux, je filme tout ça. Faire de la vidéo, c’est devenu incontournable. » Ailleurs en Europe, Worldwide FM, mais surtout NTS ou Red Light Radio, l’antenne qui a mis les DJs en vitrine dans le quartier rouge d’Amsterdam, font la pluie et le beau temps sur la scène électronique mondiale. « Si j’ai un regret, c’est de n’avoir pas suffisamment développé ce genre de concepts vidéo », confie Philippe Thévenet. « On a été très pris par l’organisation du festival ces dernières années et on ne s’est pas assez intéressé au développement de nouveaux formats. » Tenus à l’écart du bouillonnement des contre-cultures et des hypes métropolitaines par les chaînes de montagnes et la distance, les Savoyards s’appliquent à rattraper le retard. À leur rythme, et sans quitter la Clusaz. « Phil », comme on l’appelle, sourit : « Je ne me vois pas vivre ailleurs. J’ai besoin de la montagne et du calme, c’est une question d’équilibre personnel. C’était l’idée derrière ce drôle de nom, Meuh. C’est la radio des montagnards sympathiques. »

©DR
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