Vendredi 25 novembre, il est approximativement 1 heure du matin, le froid s’est abattu sur Paris. Planté au milieu de l’avenue de la Porte de la Villette, le Glazart fait office de brasero. Une longue file d’attente se presse sur les grilles de l’entrée. Les âmes festives qui s’amassent devant le club sont venues voir PITCH Mad Attack. Si ce nom ne dira sans doute rien aux néophytes, l’Italien de 32 ans est une sommité dans le monde du hardcore. Et ce soir-là, il est venu en mode raggatek.
Mais c’est quoi la raggatek, exactement ? Techniquement, on y retrouve les kicks de hardtek situés entre 160 et 220 BPM, astucieusement mélangés avec les mélodies, riddims et les vocals du reggae ou de la jungle. De temps à autre, le DJ ou le producteur accélère ces dernières afin qu’elles se glissent mieux au milieu des kicks précipités de la hardtek. Il semblerait que ce curieux mélange soit né dans l’esprit de Vandal. Un artiste britannique qui écume les teknivals européens depuis un peu plus de dix ans. A l’âge de 17 ans, ce dernier découvre les free parties sur le continent et se passionne pour ce rythme. Il décide d’y intégrer ses influences reggae. En 2011, il cofonde le label Kaotik Soundsystem, et dans la foulée sort ce que l’on peut considérer aujourd’hui comme son premier disque de raggatek, Kaotik Soundsystem 01, avec les titres “Original Nutta” et “Runaway”.
Vandal – Original Nuttah (Kaotik 01)
Le phénomène raggatek étant plutôt récent, il est possible de plonger dans les méandres de Discogs pour y trouver quelques bribes de ce mouvement, avant l’émergence de Vandal. Ainsi, en décembre 2007, le label français Narkotek sort Hors Série 03 signé par Guigoo. Sur la face A, on peut entendre le son “Outta Space” qui réutilise des pans entiers du fameux “Chase The Devil” de Max Romeo. Ce label étant en circulation depuis 2001, Vandal aurait-il pu être influencé par Narkotek au cours de ses pérégrinations festives sur le continent ?
Guigoo – Outta Space (Narkotek)
À noter que l’on retrouve également des samples de reggae sur la face A de Narkotek 06 de Seno, sorti en 2005. De là à considérer que la raggatek a plus de dix ans…
Seno – Untitled – A1 (Narkotek)
Retour sur le dancefloor du Glazart, déjà surchargé en cette froide soirée de novembre, en plein Paris, dans un club, mais avec une vibe de free party créée par la musique, l’ambiance générale et la population. D’ailleurs qui écoute de la raggatek ? Un plongeon dans la foule permet de constater que ce genre n’est pas le propre d’une élite restreinte. Ici, on trouve de tout, des trentenaires, des jeunes de bonne famille, des dreadeux et des fêtards expérimentés. Quiconque à l’esprit ouvert s’y sentira comme chez lui. Des conversations avec ces noctambules, une idée générale ressort : dans les soirées raggatek, l’ambiance est unique. C’est Xavier, âgé de 21 ans, qui résume peut-être le mieux la situation : “Ici, il n’y a pas de hype, on n’est pas là pour se montrer et pour dire qu’on y était, chose qui prend parfois le pas dans les soirées house et techno à Paris…” “La raggatek combine le message positif du reggae et assi la joie et l’ouverture d’esprit de la rave music“, nous explique Léa, qui écume les soirées Star Tek depuis leur création.

Pour Pitch Mad Attack, la raggatek, c’est aussi un renouveau et une fraîcheur qui fait du bien au mouvement. “Le phénomène Internet a permis d’amener énormément de gens vers cette musique. Avant, c’était quelque chose d’assez restreint et peu de gens en écoutaient, aujourd’hui, c’est en train d’exploser”, nous confie-t-il quelques minutes avant son gig.
L’engouement pour ce phénomène s’explique aussi par la programmation des Trans Musicales 2015. Le festival breton avait choisi de faire jouer Vandal cette année-là, ouvrant ainsi à la raggatek une audience beaucoup plus large en France. Certains programmateurs de festivals s’y sont mis dans la foulée, comme lors du Reggae Sun Ska à Bordeaux l’été dernier, où Vandal a terminé la nuit.
Pitch Mad Attack est d’ailleurs ravi de jouer à Paris : “Il y a vraiment un public en France pour la raggatek, comme en Angleterre ou dans certains pays d’Amérique Latine, on retrouve une belle vibe dans ces soirées.” Mais l’artiste n’oublie pas les autres genres de la rave music, qu’il passe sans discrimination. “Je joue vraiment de tout, je prend des vieux samples et je les mélange à des rythmes de hardtek ou de hardcore, il y a de la place pour tous les styles ici.”