Par quoi as-tu commencé : collectionner des disques ou les mixer ?
C’est une question que l’on me pose souvent, et la réponse est très relative. Je me souviens avoir 10 ans et vouloir m’occuper de la programmation musicale à chaque événement familial, nous faisions ces grands barbecues, et j’étais derrière les platines à passer quelques tracks. Puis il y a eu une période de ma vie où je jouais pour des amis à différents événements, je ne sais pas si on peut appeler ça être DJ. Il y a environ quinze ou seize ans, j’ai commencé à jouer à Amsterdam et c’est devenu un peu plus sérieux. J’ai ensuite arrêté un certain temps de passer des disques pour me concentrer sur la composition. Ensuite il y a six ans, j’ai enfin commencé à pouvoir vivre de ma musique. Honnêtement, j’ai toujours l’impression d’être un débutant.
Pour le côté collectionneur, j’ai toujours absorbé de la musique d’une façon ou d’une autre. Des 45 tours de punk, des vieilles sorties de Warp, ou bien en m’achetant mon premier 12 pouces chez Fat Beats, ou en collaborant avec le label Rush Hour puis après avec les Red Light Records. Mais je ne me considère pas comme un collectionneur. La plupart du temps, les disques sont une galère, les platines dans les clubs ne fonctionnent pas toujours, et si tu as déjà transporté 4 000 disques, tu sais de quoi je parle… Je suppose que trouver et jouer de la musique sont deux choses qui se complètent, mais je pourrais arrêter de chiner aujourd’hui, et prendre plaisir à jouer les disques que j’ai depuis longtemps. J’en ai acheté beaucoup trop par rapport au temps que j’avais pour les jouer. Je ne pense pas que j’ai écouté tous les albums, ou toutes les faces B des vinyles que je possède. Mais c’est plutôt cool, ça permet de continuer à découvrir.
Comment t’est venu ce goût pour digger et mixer de la house africaine, italienne, ou de la boogie house ensemble ? Y a-t-il eu certaines fêtes, certaines personnes qui t’ont influencé ?
Je pense que l’origine du style de ce que je joue vient du fait que j’ai grandi avec les vidéos de skateboard dans les années 90, où tous les genres de musique étaient mixés, je m’y suis mis sans trop m’y connaître. Je crois que je ne me suis jamais affilié à un genre spécifique à cause de cette éducation. Mais plus tard, l’ouverture d’esprit des gens de la scène d’Amsterdam, dont j’ai parlé précédemment, m’a poussé encore plus loin dans cet état d’esprit.
Il y a comme un terme à la mode pour définir les DJs diggers, renommés “selectors”. Tu te sens spécial comme DJ ?
Le terme n’est définitivement pas nouveau, il prend ses racines dans la culture du sound system jamaïcain, où une équipe s’occupe du son et une autre s’occupe de la partie recherche de morceaux, dans le sens où ils se concentrent sur la narration plutôt que la technique. Mais je ne me sens vraiment pas comme quelqu’un de spécial, sauf peut-être le lundi matin…
Tu es également compositeur, et la musique que tu sors peut être un peu différente de celle que tu proposes en set. Comment tu fais le lien entre les deux, jouer et composer ?
Je n’y pense pas vraiment, ça peut être le seul terrain d’entente entre mes qualités de DJ et producteur. La manière dont je fais de la musique est très intuitive, je joue juste avec des engins selon des situations, et j’enregistre ça, puis parfois je coupe un morceau de cette jam. Quand je joue, je ne prépare jamais, je suis juste un flow. Parfois ça marche, d’autres fois non. L’énorme différence avec mes débuts, c’est que maintenant j’arrête de me soucier de ce que les gens pensent.
Est-ce que découvrir de bonnes musiques, surtout quand elles ont été enregistrées il y a des décennies, t’incite à composer ? Ou ça peut être handicapant ?
Écouter ce genre de musique est définitivement inspirant, mais j’ai remarqué que je ne peux pas vraiment apprécier certaines musiques car je ne peux pas m’empêcher d’analyser leur structure. J’apprécie vraiment d’écouter des trucs dont je n’ai aucune idée de la façon dont c’est assemblé, séquencé, ou quel genre d’instruments sont utilisés.
Il y a un nouvel album de Gaussian Curve qui va sortir. Tu connaissais Gigi Masin par sa musique avant de le rencontrer ?
Je connaissais Gigi bien avant de le rencontrer. Mais pour moi, il était cette figure mythique qui a fait ces albums époustouflant à l’époque. La première fois que je l’ai rencontré, c’était comme rencontrer une licorne ou quelque chose comme ça ! Music From Memory (MFM) a publié sa compilation et Gigi est venu à Amsterdam pour rencontrer les gars du label, Jonny Nash était également en ville et ils se sont arrêtés à mon studio. La fois d’après, on a enregistré une jam très cool en 30 minutes, sans l’avoir planifié. Puis, Tako de MFM a dit que nous devrions essayer de faire d’autres choses, donc on a planifié un week-end ensemble et on fait quelques jams qui sont sortis sur le premier album.
Donc le premier album était une jam-session, et le second ?
Pour le premier album, nous ne nous sommes jamais posé la question de quelle forme ça prendrait. Peut-être pour quelques tracks, mais on ne s’était jamais dit qu’on en ferait un album. Mais tout est arrivé,de manière très naturelle, on ne s’est jamais concerté pour savoir quel genre de musique on voulait faire. On a juste fait une session et on l’a enregistré. Je n’utilise pas ce mot souvent, mais c’était magique. Pour le deuxième album, on avait déjà joué quelques live et notre dynamique mutuelle était beaucoup plus solide. On était très confiants, on pouvait fixer un autre enregistrement. Mais il est surprenant de voir combien le collectif a grandi, et je suis plus fier du fait que l’album semble plus évolué que le précédent, mais tout en restant fidèle à Gaussian Curve.
Parle-nous de la compilation Italian dream house. C’était quelque chose que tu voulais faire depuis longtemps ?
Ça fait longtemps que je suis la house italienne. Même si elle a eu ses influences de Detroit, de New York, de Jersey, ou de Chicago, il y a cette petite touche qui a son propre son très spécifique. Je peux toujours m’associer à elle, dans la manière dont elle a été conçue, de façon intuitive et musicalement optimiste, qui est une émotion très difficile à apporter, une musique mélancolique mais inspirante en même temps.
Pourquoi la house italienne ?
Principalement, parce que personne ne l’avait encore fait de la manière dont je l’avais en tête. J’ai eu l’idée de regrouper ces sons particuliers pendant des années. Ensuite, j’ai monté le label, et personne ne l’avait encore fait, alors j’ai senti que je devais le faire.
Tu referais une nouvelle compilation?
Oui, bien sûr, je travaille sur d’autres compilations pour le label. Il y a un océan de musique là-bas qui mérite une attention accrue.
Je suppose que tu commences à connaître tous les disquaires chez toi. Comment tu trouves de la nouvelle musique? Grâce aux voyages ?
Ouais, je connais mon chemin pour rechercher de la musique, mais honnêtement, plus vous la recherchez, plus elle vous trouvera. Traverser le monde et rencontrer des personnes d’esprit aide, bien sûr. Je ne passe plus trois jours dans des foires aux disques comme je le faisais avant. Même lorsque je le faisais, les disques me semblaient moins importants. Tu achètes une centaine de disques et il y en a peut-être dix que tu voulais vraiment. Parfois, tu fais de bonnes affaires, mais d’autres, tu te fais avoir. Maintenant, lorsque je vais dans ce genre d’endroits, c’est de façon moins obsessionnelle, je me balade, je parle aux gens, je vois ce qui vient. C’est beaucoup plus personnel, plus amusant, et je me sens moins comme un collectionneur de timbres. Et puis avoir deux disquaires dans le même bâtiment que mon studio aide pas mal…
Avec les accès en ligne comme Discogs, et Internet en général, il est facile d’être submergé par la quantité de musique qui t’entoure (et une grande partie de celle-ci n’est même pas sur le web …). Que conseillerais-tu à quelqu’un qui commence a collectionner? Sur quoi se concentrer, que faut-il éviter ?
Ne vous sentez pas intimidé par ce que vous ne connaissez pas. Suivez simplement ce que vous aimez. Quiconque prétend connaître la musique raconte des conneries. Vous seriez surpris de voir combien de personnes connaissent les enregistrements les plus rares, mais sont incapables de nommer une chanson de David Bowie. C’est tout un voyage personnel, sans règles, et évitez toute personne qui essaie de vous dire autre chose.
Young Marco sera aux côté de Soichi Terada et de Clémentine pour la Club Trax à La Machine à Paris, ce vendredi 29 octobre prochain.