Qui est Vava Dudu, légende synth-punk et créatrice derrière les costumes de Björk ou Lady Gaga ?

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Marie Rouge
Le 11.08.2021, à 09h44
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Comment définir Vava Dudu ? Artiste pluridisciplinaire, aussi à l’aise dans la mode et la création de vêtements qu’au sein de son groupe de synth punk La Chatte, la Parisienne prend un malin plaisir, depuis plus de trente ans, à casser les codes et briser les lignes. Rencontre avec un aigle de nuit, solaire et singulière, capable d’habiller Björk ou Lady Gaga sans jamais cesser d’écumer les bas-fonds de la capitale. 

Par Axel Cadieux
Photos : Marie Rouge

Vava Dudu se balade. Elle oscille entre les lignes, marche telle une funambule sur un chemin de crête fait de virages et d’imprévus, au rythme de son drôle de nom qui évoque une ritournelle. Vava ne dispose plus de son atelier-appart à Montmartre, depuis peu, puisque « le monsieur a décidé de vendre ». Mais, aérienne, elle retombe toujours sur ses pieds quel que soit le terrain exploré : vêtements, dessins, musique, installations… « C’est une artiste “all over” », synthétise Yann Chevalier, directeur du lieu culturel Le Confort Moderne à Poitiers et ami de Vava. « Elle offre un décloisonnement total des pratiques, poursuit l’homme aux cheveux poivre et sel. En France, on aime bien mettre dans des cases, on tombe trop souvent dans l’écueil de la catégorisation. Donc son profil est rare. Et précieux. » 

Vava Dudu n’a jamais rien fait comme tout le monde. Avant d’habiller Björk, Marilyn Manson, Tom Cruise ou Lady Gaga, la Parisienne née sous Pompidou quitte l’école en troisième, sans bac ni brevet des collèges. S’ensuivent une prépa aux Beaux-Arts puis l’académie des Grandes Terres et les cours de stylisme de Fleury Delaporte. À 17 ans seulement, elle intègre un premier bureau de style. « Je n’avais pas d’argent, il a bien fallu que je m’y mette », se marre aujourd’hui Vava Dudu, installée à la table d’un bar interlope de la rue du Faubourg Saint-Denis. Verre de Chardonnay à la main, tresses multicolores, yeux cerclés de bleu et cœur dessiné au milieu du front, Vava enchaîne : « Par contre, quand ils m’ont proposé un CDI, j’ai dit non. Je voulais pousser mes propres créations, car en parallèle je faisais notamment des accessoires, des t-shirts, des trucs avec trois bouts de ficelle, ce que j’ai toujours adoré faire. J’ai commencé à rencontrer des gens, dont Jean-Paul Gaultier, l’idole de mon adolescence avec Sonia Delaunay. J’ai fait mon premier showroom, rencontré mon premier agent au Japon… Ça a fait boule de neige. »

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En 2001, elle reçoit le prestigieux prix de l’association nationale pour le développement des arts de la mode (ANDAM) aux côtés de Fabrice Lorrain, dit « Fafa », son binôme d’alors. Une forme de consécration, qui ne teinte pas l’âme de pirate de Vava Dudu. « Je me souviens, il y a très longtemps dans une soirée fashion, un mec me demande à quel niveau j’en suis dans la mode, se souvient-elle en se marrant. Je lui ai dit : “Zéro, mec… ” Les gens étaient là à s’échanger des cartes de visite. Aujourd’hui, j’appartiens au truc parce que j’ai l’expérience, je connais par cœur le fonctionnement de ce petit monde. Mais je n’habillerai jamais une personne avec laquelle je ne suis pas en phase. » 

Céline Dion et Francky Vincent, notamment, sont éconduits par la comète Vava. Sandrine Arnone, amie de vingt ans, pose le personnage : « C’est une vraie punk comme on n’en fait plus. Je l’ai rencontrée en 2000, on était voisines à Ménilmontant. On ne pouvait pas la louper, elle avait un stagiaire japonais albinos et un look encore plus excentrique qu’aujourd’hui. Elle impressionnait beaucoup. C’est la première meuf que j’ai vue avec des cuissardes et un sweat à capuche ! Une fois, elle a aussi arrêté la voiture de Kate Moss à Gare du Nord pour lui filer un carton de vêtements. Kate Moss était venue à son showroom et était devenue l’une de ses premières clientes… »

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Vava Dudu fait son trou dans l’art et la mode comme elle a traversé la vie : sans filet et au culot, le plaisir de la transgression affiché en étendard. Au Japon, où elle est très reconnue, un propriétaire détruit volontairement sa boutique au marteau-piqueur pour être raccord avec les œuvres de « Vava et Fafa » qu’il met alors en vente. « Le vêtement m’intéresse quand il crée un décalage, esquisse-t-elle. Quand il amène un peu de rêve dans la réalité, qu’il crée du contraste et réveille les gens. Aujourd’hui, le vêtement est trop souvent devenu un logo. Ce qui marche, c’est Yves Saint-Laurent, Balenciaga… Sauf qu’il y’a juste leur nom écrit en gros sur le truc. Saint-Laurent est mort, Balenciaga aussi. Tout le monde est mort. Il n’y a plus que des directeurs artistiques, interchangeables, d’ailleurs. On n’est pas sur la créativité de l’individu, on est sur du label. C’est comme faire le packaging d’un yaourt. Ça manque de surprises. Quand on pense différemment, ça devient intéressant. » 

Les griffes de la chatte

Vava cultive sa différence, crée à l’unité, fuit la manufacture ou les séries pour privilégier le sur-mesure et la singularité. « En fait, ça se rapproche d’une œuvre, diagnostique Yann Chevalier. Et ce que j’adore, c’est que ça crée une appartenance. Porter un t-shirt, un bombers, un pantalon Vava Dudu, c’est aussi rejoindre une communauté, et ça, c’est vraiment fort. » Une communauté informelle que l’artiste appelle son « gang », en explosant d’un rire massif et cabossé. « Vava, c’est comme une planète avec tout le monde qui tourne autour, confirme Sandrine Arnone. Un astre autour duquel on gravite tous. Elle happe de nouvelles générations en permanence. À un moment elle n’avait plus de téléphone, volontairement. »

Fascinée par le charisme de Vava, Sandrine Arnone lui propose au début des années 2000 de passer des disques au Nouveau Casino, dont elle gère alors la programmation. Réponse de l’artiste ? « On va plutôt faire un concert. » C’est que depuis peu, la Parisienne a une nouvelle corde à son arc. Le groupe La Chatte, monté en 2003 en compagnie de ses partners in crime, Stéphane Argillet et Nicolas Jorio, dit « Nikolu ». « On m’a proposé de monter un groupe en soirée et ça s’est fait naturellement, rembobine Vava. On a appelé ça La Chatte, parce que tout découle de La Chatte ! »

Définir le groupe, forcer la catégorisation, c’est inévitablement se heurter à un mur : à l’image de Vava, La Chatte refuse les labels et étiquettes, naviguant entre musique électronique, punk et digressions sonores en tout genre, sans jamais prendre le temps de s’installer. « Évidemment, j’essaie de faire quelque chose de singulier, admet-elle. Quand on a commencé La Chatte, on a eu des gens qui nous ont proposé des tournées classiques, mais les tourneurs ne captaient pas trop le truc. Il y en a même un qui m’a dit : “Vava, tu vas être difficile à vendre parce que tu as une forte personnalité.” J’ai répondu : “En même temps, je fais pas un rendez-vous avec toi pour être hôtesse de caisse…” »  

Son grand truc, quand elle voyait une personnalité en soirée, c’était de lui sauter dessus et de lui déchirer son t-shirt avec les dents. 

Sandrine Arnone, amie de longue date

Au Nouveau Casino, Sandrine Arnone se souvient d’un concert « magique » et peu orthodoxe. « Vava appréhendait un peu et avait vachement bu, raconte-t-elle aujourd’hui. Elle a fait le concert couchée par terre, avec un sein qui sortait. À un moment, un mec gueule : “Génial le faux sein !” et elle répond dans le micro : “Mais putain, c’est mon vrai sein mec !” » Vava, c’est peu de le dire, électrise le public, détonne et surprend. « Ma place préférée dans le club, ça a fini par être derrière les platines ou sur scène, se marre-t-elle. De toute manière, c’était évident que ça allait arriver. J’adore la musique depuis toujours, c’est fondamental pour moi. J’ai grandi avec le punk, les Béru, les Cure, Depeche Mode, la new wave… Et puis les raves sont arrivées. Là, on est parti dans la teuf. Et à un moment, tu sors tellement qu’il faut bien faire un truc de tout ça. »

Vava Dudu, l’enfant de Sannois, dans le Val-d’Oise, a toujours été un aigle de nuit depuis son arrivée à Paris. Entourée de son crewaux frontières mouvantes, toujours, et de l’inévitable Sandrine Arnone : « Son grand truc, quand elle voyait une personnalité en soirée, c’était de lui sauter dessus et de lui déchirer son t-shirt avec les dents. Elle bondissait sur des gens précieux, qui repartaient plutôt traumatisés… » Vava confirme : « J’ai un truc avec la nuit, ça, c’est sûr. C’est une part importante de ma vie. Les personnes qui me sont les plus chères, je les ai rencontrées dans la nuit. Et puis, c’est aussi une façon pour moi de comprendre la société dans laquelle on vit. C’est un révélateur, les gens y sont différents. Comme au confessionnal… » 

Paris-Berlin aller-retour

À un tournant de sa vie, jeune quadragénaire, Vava Dudu décide de déménager pour Berlin. Manière de prendre l’air, de couper avec Paris, de se régénérer. Et de plonger, encore un peu plus, dans l’imprévisibilité propre aux fleuves nocturnes. Vava, rêveuse : « Je m’y suis perdue pour me retrouver. C’est comme un songe et c’est très beau, on y vit comme dans un village d’artistes. J’ai déjà dessiné et travaillé au Berghain par exemple. À Berlin, tout se confond. Le jour, la nuit, ça n’a plus d’importance. Le temps est éclaté, il n’y a pas de fin ni de début. Berlin, c’est Alice au pays des merveilles. Tu suis des gens dans leur périple et c’est la surprise permanente. Et puis un jour, tu te réveilles dans ton lit et tu reprends ta vie normale. » Vava y restera cinq ans, jusqu’en 2018 et un retour à Paris « pour réapprendre à dormir ».

Berlin, c’est Alice au pays des merveilles. Tu suis des gens dans leur périple et c’est la surprise permanente. Et puis un jour, tu te réveilles dans ton lit et tu reprends ta vie normale.

Vava Dudu

Après le temps de la déambulation vient celui de la nécessaire reconstruction. « J’ai un mantra, dit-elle, un truc que je brode très souvent sur mes vêtements : “Je t’invite à la révolution de ton être”. J’invite chacun à penser ses ambitions et désirs profonds. Pas le désir commercial, non, le vrai désir intime. C’est ça qui doit être le moteur. Moi, j’ai plein de désirs différents. Je suis un peu gamine par rapport à ça. La personne que je fréquente m’appelle “L’Enfant”. » 

Vava Dudu 3
©Marie Rouge

En revenant à Paris, Vava s’est donc réinventée. Au travers des dessins, devenus centraux dans ses créations, mais aussi des activités annexes : elle anime notamment des workshops et des ateliers au sein de collèges difficiles. « En gros, je leur apprends à faire des vêtements à partir de rien, explique-t-elle. Ces gamins vivent au milieu de tours, il n’y a pas d’horizon, architecturalement parlant, tout leur dit non. Tu ne sors pas de là. Donc il faut créer sa propre valeur, qui ne passe pas forcément par les marques ou l’argent. On a toujours des choses sous la main pour se transcender. J’essaie à mon échelle de leur faire prendre conscience de ça. Pour moi ça n’a pas toujours été simple et ça me fait plaisir d’aller leur raconter mon truc. »

Son truc, c’est avant tout l’histoire d’une renaissance. L’histoire d’une ado désœuvrée qui se brise littéralement les dents, à vingt ans, face à son miroir, mais qui trouve progressivement sa voie, un nouveau nom – « Vava Dudu, c’est comme le nom d’un groupe, sauf que moi je suis le groupe de moi-même » – et une capacité à s’imposer partout où elle passe, à laisser une trace tout en se permettant le pas de côté qui fait sa spécificité. « Vava, elle dure, sourit Sandrine Arnone. Tous les créateurs indépendants de l’époque crèvent la dalle aujourd’hui, ils ne font plus rien. Elle, elle continue. Et si elle a plus d’argent demain, ce n’est pas grave. Elle avance en permanence. Ça peut paraître flippant, mais elle le vit bien, toujours positive. Elle a traversé plein de trucs, mais elle n’a jamais perdu le nord. »

Quel est donc le secret de Vava Dudu ? Y’en a-t-il seulement un ? « Je ne me suis jamais sentie esclave, avance-t-elle. Sauf peut-être de l’amour, et encore… C’est pas de l’esclavage ça, c’est de la conjugaison… » Vava, poète, fait ce soir face à l’entrée du bar de la rue du Faubourg Saint-Denis. Son regard se laisse happer par le flux des passants, la foule mixte et louche de ce samedi hivernal, alors que la fin d’après-midi laisse lentement place à la nuit. Ça vibre. « Chaque époque a sa couleur, analyse Vava. Et en ce moment, je dirais qu’on est entre le noir et l’explosion de teintes vives. On a l’impression qu’on va droit dans le mur, et en même temps je trouve qu’on tend toujours vers davantage de mixité, d’abolition des codes et des frontières. C’est souvent le cas ici, dans ce quartier. J’adore, parce que ça fait écho à ce qu’est Paris à mes yeux : beaucoup de mélanges et de mixité. » Quelques amis ne tarderont pas à la rejoindre, au compte-goutte, parfois vêtus de ses créations. Comme une louve qui étoffe sa meute au gré des pérégrinations. Tel est le « gang » de Vava Dudu : bigarré, hétéroclite, rayonnant de couleurs et d’idées. À son image. 

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