Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Peter Jones : On s’est rencontrés tous les six en août 2017. C’est une collaboration entre Jacob et moi, et un groupe ougandais appelé Nilotika Cultural Ensemble. Jacob avait rencontré l’Ensemble en 2016, alors qu’il venait en Ouganda pour le Nyege Nyege festival. En août 2017, on était un groupe plus conséquent parce qu’on collaborait avec plus de membres de l’Ensemble. Quand on a réalisé que le projet allait décoller, on avait à ce moment-là environ 7 percussionnistes. On a réalisé que ça allait être trop pour continuer le groupe donc on est redescendu à 4 percussionnistes.
Quelles étaient les intentions derrière le projet ?
Je dirais que c’est principalement un mélange de percussions et de synthés. On essaie d’en faire quelque chose de naturel. Il fallait avoir l’impression de jouer à partir des instruments de percussions, comparé à d’autres musiques électroniques où tout est électronique. L’idée était de plus se concentrer sur le côté Ougandais.
Vous voyez des similarités entre techno et musique ougandaise ?
Oui, il y a beaucoup de similitudes. Quand tu vas dans la musique en profondeur, que tu la décortiques pour trouver ce qui t’intéresse, tu peux le discerner. Quand tu écoutes nos percussions et que tu écoutes de la techno, tu remarques que la différence se situe dans le son mais les motifs, la façon dont tout se développe est la même. Donc c’était facile de jouer ensemble parce qu’on peut compter les mesures, et ensuite faire du “freestyle” par-dessus pour finir par avoir un très bon morceau à la fin de la journée. Je pense que l’énergie est la même dans les deux styles. Dans les deux cas, il y a une sorte de groove répétitif auquel les gens peuvent se raccrocher, et qui peut leur donner envie de danser.
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Comment créez-vous cette énergie en concert ?
Jacob Maskell-Key : En sautant partout… (rires)
Nilotika : La raison est que nous sommes connectés. Quand Jacob et Peter sont arrivés, ils savaient aussi bien comment compter les mesures que de jouer des instruments. Entre nous, c’est devenu un échange d’idées sur la façon d’utiliser nos différents instruments, électroniques et acoustiques. Nous nous entraînons beaucoup, c’est fastidieux. Mais sur scène, comme tout est déjà prêt, on peut un peu plus se lâcher et avoir plus d’énergie.
Peter : Plus on joue ensemble, plus on peut facilement communiquer. Quand je suis arrivé dans le groupe, je ne savais pas trop comment la musique ougandaise fonctionnait, j’ai dû apprendre à connaître cette culture. Maintenant je maîtrise son fonctionnement et je sais ce qu’il faut faire. C’est beaucoup plus facile d’écrire quelque chose ensemble, et c’est en partie de ça que vient notre énergie : c’est un travail collectif, on apprend comment chacun fonctionne.
J’ai entendu dire qu’il n’y avait pratiquement pas d’effets numériques dans votre musique.
Peter : Oui, tous les sons viennent principalement de synthétiseurs pour la partie électronique. Il y a quelques effets numériques mais c’est toujours fait d’une manière externe. Les effets que j’utilise viennent de mon ordinateur portable, et parfois je séquence certains trucs depuis mon ordinateur jusqu’aux synthés mais ceux-ci sont toujours la source de son principale. On utilise aussi quelques samples en live. Par exemple, dans le morceau “Choir Chops”, il y a un sample vocal. L’analogique est une manière d’avoir un son plus organique. En live, je joue réellement les morceaux, c’est-à-dire chaque note. On a toujours trouvé que c’était la meilleure façon pour nous d’être connectés et de s’éloigner des séquenceurs. Les percussions sont toujours jouées aux côtés des sons électroniques mais je suis toujours celui qui suit les percussions.
Vous composez donc par au-dessus d’une première ligne de percussions ?
Peter : Parfois, on commence par les sons de synthés et on travaille à partir de ça. Les rythmes des synthés peuvent être ensuite retranscris en motifs de percussions. Et des fois, on utilise des rythmes traditionnels comme point de départ. Ces différents rythmes viennent d’endroits en Ouganda que tout le monde connaît. Beaucoup de titres de chansons sont juste les noms de ces rythmes, comme notre morceau “Ding Ding” qui tire son nom d’une musique du nord de l’Ouganda. C’est le premier son qu’on trouve dans le morceau : le « ding-didi-ding-didi-ding… »
Jacob : Certains appellent aussi cette musique « Ding Dong », pour je ne sais quelle raison. (rires)
Votre label Nyege Nyege Tapes était déjà habitué à ce type de musique ?
Jacob : Nyege Nyege a toujours fait de l’électronique, c’est un label expérimental. Les membres de Nihilotika sont présents aux côtés du label depuis ses débuts, avec le festival Nyege Nyege par exemple. Donc ce projet Nihiloxica était vraiment important car il leur permettait de pousser leur relation avec le label encore plus loin.
Peter : Ils avaient travaillé avec d’autres musiciens avant mais rien n’en était vraiment ressorti. Donc ce projet est une façon de rendre justice à leur culture.
Pouvez-vous me parler de votre nouvel EP Biiri ? Qu’est-ce que ce titre signifie ?
C’est marrant que tu demandes ça. Ca signifie « 2 » en ougandais, car c’est notre second EP… On est très inventifs avec nos noms, comme pour les titres de chansons (rires). Les morceaux sont certainement plus travaillés que sur l’EP d’avant, qui avait été fait en un mois. Celui-ci a pris un an. Il y a beaucoup plus de rythmes traditionnels, comme sur “Ding Ding” et “Baksimba”. En même temps, le fait de se concentrer sur ces musiques traditionnelles permet de composer plus rapidement parce que les membres de Nihilotika connaissent déjà ces rythmes, ils ont déjà une sorte de schéma, qu’on va ensuite moduler. Ces rythmes traditionnels ne viennent pas de chansons à proprement parler donc tu n’as pas forcément un début et une fin. C’est sans doute un autre lien qu’on peut établir entre la techno et la musique ougandaise car elles sont conçues pour être continues. L’autre principale différence est qu’il y a moins de musiciens sur ce disque, ce qui nous permet d’expérimenter un peu plus et de donner à chacun un peu plus la liberté de jouer des parties intéressantes. Le premier EP est un peu plus « basique ».
Est-ce que cette direction est une indication pour vos futurs projets ?
Peter : Je pense que c’est un mouvement continu. La façon dont nous écrivons et performons change tout le temps. Ce que nous publions est comme un instantané de ce que nous faisons sur le moment car nous sommes déjà en train de composer de nouvelles choses, qui ont en quelque sorte des influences métal. Je suis en gros un fan de ce genre. Dans “Ding Ding”, les parties de synthés font très guitares par exemple.
Comment se passent vos concerts ? Est-ce qu’il y a un côté « performance artistique » ?
On est en train de travailler sur des visuels live. On ne peut pas en dire plus pour le moment mais c’est pour bientôt. On a aussi prévu des danseurs pour l’année prochaine. Ce sera basé sur ces danses ougandaises. Chaque rythme ougandais a une danse qui lui est propre, qu’on pourra incorporer dans notre live. C’est très important pour nous d’exporter cette musique en dehors du pays. Si nous faisons un light show, ce sera certainement plus occidentalisé – tout en gardant la culture ougandaise comme base. L’idée est aussi d’avoir un résultat plus visuel et divertissant pour améliorer le concert car la techno et l’électronique ne le sont pas trop : on ne regarde pas un DJ jouer comme on regarde un groupe en live.
Pour votre concert à Paris, vous allez jouer près d’une ancienne voie de chemin de fer (La Petite Ceinture). Vous aimez jouer dans des lieux atypiques ou underground ?
Le réseau de chemin de fer ougandais ne marche plus vraiment. C’est quelque chose qui pourrait être pertinent de ce point de vue là. Il a été privatisé en fait. Dans les années 90, le président a privatisé beaucoup de choses… Jouer à côté de voies de chemin de fer sera comme une sorte de clin d’oeil et un retour à l’époque où on avait le train en Ouganda. (rires) Si les gens s’asseyaient pendant un de nos concerts, ça tuerait vraiment notre “vibe”. Je ne pense pas qu’on pourrait jouer de la même façon qu’avec un public qui saute dans tous les sens. On a joué dans un lieu à Stuttgart où les gens étaient littéralement debout à boire du vin, et à nous regarder comme si on était une exposition. C’était très bizarre et on n’a pas vraiment pu en profiter. Les endroits où nous pensons devoir nous produire sont ceux où de la techno pourrait être jouée. Ça dépend principalement du public.