Qui est Moonshine, ce collectif congolo-montréalais qui replace l’élégance au cœur de la fête ?

Écrit par Alexis Tytelman
Photo de couverture : ©Ceylan Logan
Le 15.05.2019, à 15h51
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©Ceylan Logan
Écrit par Alexis Tytelman
Photo de couverture : ©Ceylan Logan
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Après avoir retourné les dancefloor de Montréal et du monde entier, le collectif Moonshine posera ses valises à Paris le 24 mai. Comme à son habitude, l’évènement se déroulera dans un lieu tenu secret. Pour pouvoir y accéder, il suffira d’envoyer un texto au numéro affiché sur l’évènement Facebook. Rencontre avec le DJ Pierre Kwenders et son manager en chef Hervé Kalongo pour en savoir plus sur le collectif, sa relation aux musiques africaines et affiliées, mais aussi de l’élégance sapologique qui fait leur marque de fabrique depuis 5 ans.

« Le samedi après chaque pleine lune », indique son site internet, Moonshine organise des soirées d’un genre particulier. Lieu tenu secret, informations délivrées uniquement par texto et musique explosive mariant dombolo, afrobeat, techno et global bass. Depuis environ 5 ans, la recette élaborée par le jovial Pierre Kwenders et son manager Hervé “Coltan” Kalongo enflamme la nuit montréalaise. Devant le succès du rendez-vous préféré de la diaspora africaine de la ville, le concept s’est exporté partout dans le monde. Leçon de fête, mais aussi d’élégance à l’occasion de leur venue à Paris le 24 mai prochain. Un évènement à ne manquer sous aucun prétexte qui réunira Bonbon Kojak, Para One, un guest surprise, Petit Piment et la scénographe/artiste visuelle en chef de la bande, BOYCOTT, autour des deux éminents sapologues et apôtres de la joie de vivre. 

En deux mot, c’est quoi Moonshine ?

Pierre Kwenders : Pour moi, c’est un peu comme un évangile. Nous sommes les disciples du tout-puissant ambassadeur de l’enjaillement et on est la pour propager la bonne nouvelle.

Hervé Kalongo : C’est un délire en ami, une famille qui grossit, un long-weekend qui ne finit pas.

Qui est ce fameux tout-puissant ?

Pierre : Stephane Doukouré alias Douk Saga bien sur. L’inventeur du coupé-décalé, le roi suprême de la joie de vivre.

[Douk Saga est une véritable légende au Congo. Surnommé “Président”, il est considéré comme le pionnier du genre. Voir au sujet du remix ci-dessous un article paru sur Pan-African Music.]

Vous avez été défini par Vogue comme “une fête inclusive pour la diaspora africaine de Montréal”. Vous vous reconnaissez dans cette appellation ?

Pierre : Ça c’est ce que les gens disent, c’est la manière politique de dire les choses. À la base, c’était vraiment les amis des amis. L’atmosphère est inclusive au sens où tu en entends parler par tes proches. L’ambiance est familiale, pas comme en boite de nuit. C’est ça, être “inclusif” pour nous, même si le coté africain est tout de même important.

Hervé : C’est un peu comme une grosse fête de famille, un grand mariage africain où tout le monde se retrouve, où l’invité invite ses amis. Tout le monde est content et célèbre ensemble ce moment magnifique, sur de la musique qu’on aime et qu’on a envie de découvrir.

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Quels sont les autres collectifs et labels qui vous inspirent ?

Hervé : Présentement, ça part dans tous les sens. Il y a des trucs un peu latinos comme Branko et son label Enchufada, Príncipe…De l’autre coté, il y a toute la vibe sud-africaine, que ce soit du gqom ou de la deep. L’idée c’est d’avoir un peu toutes les influences afro, du coupé-décalé jusqu’à la techno. Cette influence provient du rythme qui est commun à toute ces musiques. Donc il n’y a pas de limites, tant que ça bouge. C’est ça, notre démarche artistique.

Pierre [rires: Ce que j’écoute et ce que je joue, ça n’a pas grand chose à voir. Ça tourne autour un peu de ce que Hervé dit, de l’afro house à l’afrobeat en passant par le coupé-décalé et le dombolo. Il y a beaucoup de nouvelles saveurs qui sont en train de naître autour de ça, autant en Afrique qu’ailleurs. Faisant partie de cette diaspora, ça nous fait très plaisir de partager la musique avec laquelle on a grandi. Comme il n’y avait pas beaucoup de plateformes pour apprécier ce type de musique, on a monté Moonshine. Et surtout, on est très fier de cette identité musicale.

En France, il y a de plus en plus de collectifs et de labels qui semblent s’inspirer de cette ambiance entre sonorités rave, dembow, hardcore, gqom, voguing… Avez-vous le sentiment d’avoir été précurseur ?

Pierre : Je dirais que le feu a été découvert partout sur la planète en même temps. Et c’est un peu la même chose avec ce son là. Plus on est, mieux c’est. Dans la manière de communiquer, de composer les mixtapes, c’est génial d’avoir des cousins où des frères partout. C’est organique et passionné. J’ai effectivement entendu parler de La Creole, il y a aussi Boukan Records, que l’on valide à fond, NAAFI à Mexico c’est pareil. Ils répandent aussi la bonne parole. 

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Un coup de coeur récent ?

Pierre : Très bonne question. Il y a Otim alpha – Loklobo cwero cwinya. C’est un son qui m’a fait vibrer dernièrement. Un genre d’hymne qui ne se termine pas. Tu peux l’écouter en boucle et on dirait que le feu est en train de naître en toi. Comme si Khaleesi avait mis un dragon dans ton corps.

Hervé : On était à la Nouvelle Orléans récemment. J’ai écouté beaucoup de bounce music, qui est un sous-genre du dirty south. Ça m’a fait penser au coupé décalé que je pouvais entendre à Abidjian en 98, avec le MCing et tout, il y avait des similarités entre ces deux mondes. Comment la musique voyage d’Afrique en Colombie ou ailleurs, c’est ça qui me fascine. Il y a un morceau de 5TH Ward, Weebie que j’ai bien kiffé. Pendant le séjour, Pierre a principalement travaillé sur son album.

Pouvez-vous m’en dire plus sur ce nouvel album ?

Pierre : « D’abord le travaillement, puis l’enjaillement », disait Douk Saga. Je dirais qu’on est à 50 pourcent de l’album. Le feu ne s’éteindra pas une fois que le tout sera prêt. Le feu ne dors jamais. J’aime toujours explorer de nouveaux styles, même si mon identité reste ce qu’elle est. J’explore de nouvelles avenues, de nouvelles vibes, j’espère que les gens vont embarquer dans ce délire là avec moi.

Toute une génération d’artistes issus de la diaspora congolaise ont explosé en France ces 5 dernières années : À quoi est-ce dû selon vous ?

Hervé : Question philosophique [rires]. Au Congo, et plus précisément à Kinshasa, j’ai l’impression que tout le monde chante, gratte la guitare, chante à l’église. C’est dingue. J’imagine qu’avec les voyages, l’immigration, c’est quelque chose qui reste, et tu le sens dans la musique de toutes ces personnes, En écoutant Niska, GIMS, Passy ou Damso, tu sens quelque chose de commun. La musique fait partie de nos vies depuis très petit. 

Pierre : Je me souviens que Gradur avait été un des premiers à mélanger rap et lingala, à mettre des moove congolais. Il rappe de manière très agressive tout en mettant des petit pas de dombolo bien sentis ! Ma théorie, c’est que tout a commencé au Congo. Si la musique française est dominée par la diaspora congolaise, c’est un peu normal. On l’a dans le sang, on a pas peur d’oser, de pousser toujours un peu plus loin. Je suis très fier de voir cette évolution dans la jeunesse congolaise, et si ça peut motiver toute cette diaspora à aller encore plus loin dans tous les domaines, je suis content. Ça va permettre aux gens de se rappeler que, peu importe ce qu’on fait, ça vient du Congo. L’histoire de l’humanité est née au Congo.

La sape, un élément emblématique de la culture congolaise, compte beaucoup pour vous. C’est quoi, pour vous, le futur de la sape ?

Pierre : Très bonne question [explose de rire], tu me prends par surprise ! Déjà, je dirais que la sape doit aller au-delà de la mode, c’est avant tout une question d’élégance. Même si j’adhère à l’idéologie de la sape, je ne me considère pas comme un vrai sapeur. Pour moi, la sape, c’est quand tu sors pour acheter du pain à la boulangerie, assure-toi d’etre élégant. Il y a une évolution qui se fait tranquillement vers ça. Cette jeunesse, les millenials commence à comprendre cette vision de l’élégance. Ça arrive en Amérique du Nord et, avec Moonshine, on vend du merch pour aider, non pas à imposer, mais à faire progresser cette idéologie.

Hervé : Je pense que, en Occident, il y a un décalage par rapport à l’Amérique du nord là-dessus. Beaucoup de français commencent à comprendre la sape. Respecter les personnes avec qui on se tient, être bien habillé et parfumé. Tu ne vas pas sortir en pyjama comme les ricains. Pour ce qui est de l’avenir de la sape en Amérique du nord, je vois bien un retour vers les années 80, les couleurs flashy. Les gens ont moins peur de tester autre chose que le noir et le gris. Par contre, le plus grand challenge, c’est de rester élégant en hiver, être capable d’etre élégant à l’année longue. Développer un rayon sape “hiver”. Ça c’est l’avenir.

Des infos sur la soirée du 24 mai ?

Hervé : Le mot d’ordre c’est : venez avec vos amis. On va aussi ramener des articles de merch, et je suis très curieux de voir comment les gens vont réagir. On dira rien sur le lieu ! Contrairement à Game of Thrones, on a envie de bien faire les choses, connecter avec des personnes qui sont dans notre ambiance. On veut savoir comment les gens se sapent. C’est un mariage. En fait, c’est surement nous qui serons surpris ! On va mettre un gros effort par rapport au visuel avec BOYCOTT, qui est en train de préparer un super show. Je continue à penser que la fête est l’endroit par excellence où les gens se mélangent. Le dancefloor, c’est la solution au métissage.

Pierre : D’accord avec Hervé, surtout que, dans la fête, c’est là ou on se laisse le plus aller. On oublie les codes de la société qui font qu’on veut se différencier les uns des autres. On se retrouve tous de bonne humeur, là pour une seule raison : faire la fête et ressortir en ayant vécu un moment incroyable. Si on pouvait avoir cette mentalité tous les jours, le monde serait très différent. L’évènement à Paris sera un nouveau voyage en direction du pays de l’enjaillement. Il faut que les gens soient prêts, mentalement et physiquement. Soyez confortables, avec les shoes qu’il faut.

Toutes les informations sont disponibles sur la page Facebook de l’évènement.

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