Qui est (La)Horde, ce collectif qui fait entrer le jumpstyle et la musique hardcore au théâtre ?

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©D.R.
Le 09.05.2018, à 16h07
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©D.R.
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La phrase “On n’écrit pas parce que l’on a quelque chose à dire, mais parce qu’on a envie de dire quelque chose“, du philosophe Emil Cioran résume bien la philosophie de (La)Horde. Ce collectif, qui fait trembler les planches de France depuis 2011, crée selon son envie et son inspiration tout en cassant les codes de la danse contemporaine. Il se produira au festival Antigel à Genève, le 16 février, pour présenter son spectacle phare To Da Bone.

Par Lucas Javelle

« On ne sait pas trop à partir de combien on peut former une horde. On trouvait que, sans ce nombre défini, c’était assez intéressant et dynamique. On aurait pu s’appeler la “troupe”, mais la “horde” donne vite un rapport d’épuisement, de mouvement et d’énergie. C’est une chose que l’on retrouve dans tous nos travaux. » Ce “on”, c’est (La)Horde. Un pronom indéfini, qui reflète la volonté et le nom choisi par ses trois initiateurs Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel. Pour eux, chaque collaborateur forme cette horde, qu’ils soient 11 sur scène à danser le jumpstyle ou plus de 150 pour une Nuit Blanche à la Halle Hébert dans le 18e, le 7 octobre 2017. Soudés avec leur équipe de fidèles qui les suit depuis le début, comme Lily Sato, leur costumière, ils refusent toute forme de reconnaissance artistique individuelle. Ici donc, personne ne parle en son nom, mais tous s’adressent conjointement en celui du collectif, en parfaite hétérarchie.

Les trois artistes partagent tout de même un passé, du côté de Strasbourg pour les études en arts, et puis de la vie nocturne, dans les soirées en club parisiennes, comme Flash Cocotte à la Java, « l’une des plus belles philosophies de soirée rencontrée jusqu’aujourd’hui ». Une source d’inspiration qui pourrait sembler évidente, tant la liberté des corps y est présente, comme dans la philosophie de (La)Horde. « C’est le corps qui est central. Pour nous, un corps qui bouge, c’est de la danse, quoi qu’il arrive. C’est un langage universel qui permet de raconter énormément de choses à travers le corps. On aime être dans un rapport de fonctionnalisme : prendre un geste qui fait sens pour raconter une histoire, ou raconter le contexte d’un geste qui a déjà la sienne. »

Les danses post-Internet

C’est donc dans le monde de la nuit et ses lieux de fête que l’univers de (La)Horde s’est formé, à travers le processus d’observation des corps et de l’ambiance et bien sûr via la performance. En 2015, les soirées Possession leur confiaient une résidence d’artiste, un geste symbolique qui les plaçait au même niveau que les DJs. Ils s’orienteront ensuite du côté du théâtre, où ils créeront leur propre club avec To Da Bone, un spectacle dédié à l’univers du jumpstyle dont les danseurs ont été recrutés en ligne, leur manière à eux d’analyser les mutations de la danse à l’ère d’Internet.

Ce style de danse, cousin du hakken, est né du côté des Pays-Bas et de la Belgique à la fin des années 90, avant de disparaître peu à peu du paysage festif, pour finalement réapparaître grâce au Web quelques années plus tard, où la communauté de jumpers continue à évoluer et à partager sa passion. Les danseurs ont été choisis pour leur authenticité et leur connaissance de l’histoire de cette danse. « On est tombé sur une vidéo sur Internet, puis une autre. De vidéo en vidéo, on a compris l’ampleur de ce mouvement. On a vu quelque chose de très actuel dans cette révolte des corps. On y voit une violence qui va dans le sens de l’émancipation. Et on trouvait l’utilisation de cet outil très puissante. Ça brise toutes les frontières. On a rendu ça réel en permettant à des personnes qui se connaissent virtuellement depuis une dizaine d’années de finalement se rencontrer. »

La première de la troupe a eu lieu à Montréal, le 31 mai 2017, lors du Festival TransAmériques. Onze danseurs venus des quatre coins du monde se partageaient la scène pour une farandole énergétique de tapage de pied sur fond de musique hardcore. Le projet arrive ensuite dans une version raccourcie d’une dizaine de minutes en septembre 2017 au Théâtre de la Ville à Paris, avant une performance complète d’une heure en ouverture de la Biennale Charleroi Danse en Belgique, le même mois. Une consécration en extérieur dans un décor très industriel, que le collectif ne tarde pas à reproduire en salle. Une scénographie épurée, pour donner une ambiance de club vide rapidement comblée par la danse des jumpers. L’œuvre est saluée par les critiques et assoit encore un peu plus la réputation de (La)Horde. « On voulait s’orienter vers quelque chose qui nous intéressait et qui racontait une histoire. Il y a aussi cette envie de travailler avec des communautés dont la danse est le premier plaisir, parce qu’elle transparaît dans le monde dans lequel elle se développe. »

En avance sur la France

Et le public suit. « On a le sentiment d’avoir un public plutôt fidèle. On a commencé par travailler avec lui, avec des gens qui aiment et qui sont spectateurs avant tout. Ça nous a aussi permis d’éparpiller des ambassadeurs pour (La)Horde », expliquent-ils, soulignant « un pouvoir d’identification très fort dans notre travail » autour de leurs histoires authentiques. Pourtant, ce projet qui casse les codes de la danse contemporaine en a laissé certains perplexes. « On s’est beaucoup battu pour que les gens comprennent notre structure. Au-delà de l’obstacle financier que tu retrouves partout, c’est celui de la compréhension du travail collectif qui pose problème. À l’étranger, c’est une notion déjà beaucoup plus acquise ; en France, elle a du mal à être comprise jusqu’au bout. En ce moment, on parle beaucoup de fluidité des genres. La fluidité des compétences, c’est aussi un sujet important. »

Les artistes de (La)Horde se détachent d’une représentation formelle, en institutionnalisant ce qui ne l’était pas et en détruisant ce qui l’était, mus par cette volonté originelle de mettre en œuvre ce qui les captive. « On ne s’arrête ni aux médiums ni aux lieux de représentation. On est libre, et surtout pas snob. Si des choses nous intéressent, on s’attelle toujours à les faire de la bonne manière. » Et toujours sans se soucier de l’avis des autres. « On a fini par arrêter d’attendre que des personnes valident nos centres d’intérêt, nos envies ou nos ambitions. Si tu penses déjà à comment cela va être reçu, perçu ou critiqué, tu ne peux pas créer. Il faut juste faire exister les projets, et voir après comment ça se passe. »

Plus d’information sur leur représentation à Antigel sur le site du festival.

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