Depuis sa longère du XVIIIe siècle, le regard navigant entre le jardin « bien entretenu » de sa voisine, les deux mangeoires, au fond, et la grange où sèchent ses stères de bois pour la cheminée, Irène Drésel répond avec l’habitude de ceux à qui on pose souvent la question. « Tu veux parler de mon parcours en art contemporain ? Je l’ai un peu mis en stand-by, un moment il faut choisir. » Ses créations avaient pourtant eu quelques beaux échos il y a encore quelques années, notamment la fois où, sur le sol, elle avait répandu sur 30 mètres carrés une demi-tonne de verre brisé. « Ça faisait comme une piscine ou une mer de verre. C’est très beau, ça attire, mais lorsqu’on se rend compte, on prend peur, parce que ça peut être dangereux. J’étais vraiment sur cette frontière, cette formule attraction + répulsion = attirance. Tout était sur ce fil, cette tension de l’entre-deux. En musique, j’ai gardé cette approche. »
Il suffit pour s’en assurer d’écouter un peu ses morceaux. Charriant toutes leur lot mélancolique, ses mélodies prennent aux tripes, au cœur, évoquant par moments les Allemands d’Innervisions, ailleurs certaines compositions émues… de Rone. Et toujours, quelque part, un élément qui met un peu mal à l’aise : cette prière dédiée à sainte Rita chuchotée, à l’envers, sur le morceau Rita – « il faut passer le vinyle à l’envers pour la comprendre », glisse la malicieuse –, la flûte à bec alto de sa comparse polonaise Olga – « ça dérange la flûte à bec, c’est drôle et c’est beau à la fois, c’est surprenant » –, et au-delà, une tension émotive, partout. « Un magnétisme, une sensualité aussi », nous reprend-elle même. « Contrairement aux idées reçues, la musique techno est extrêmement sensuelle, les infrabasses tapent dans le bas-ventre. C’est comme une source d’énergie qui élève mon état vibratoire. On ne les entend pas, mais le corps oui, le souffle sonore fait vibrer le corps tout entier. C’est un phénomène qui m’intéresse énormément. »
Une sensualité effectivement présente dans les rythmes ronds, et les nappes enivrantes de ses productions, composées principalement sur Ableton Live – « je préfère épuiser à fond mes VST que de collectionner les machines pour faire joli » – et jouées sur scène dans un décor de fleurs sépias, son percussionniste et sa flûtiste à ses côtés, un peu derrière. Et costumés. « C’est vrai que c’est en marge, voire à l’inverse, du registre actuel techno. » Dentelles, capes, capuches et volants en tulle, alors que les kicks percutent et que les boucles tourbillonnent, c’est en effet peu commun. « Les gens viennent voir un spectacle, il faut qu’il y ait des choses des choses visuellement belles à voir. Ce n’est pas du tout secondaire. Pour être allée souvent voir des DJ’s que j’apprécie, c’est toujours t-shirt sombre et VJing derrière eux, et souvent des hommes. » Une approche qu’elle définit comme « féminine » même si elle se garde d’être elle-même féministe. « C’est moins ça que le côté sensuel, à la limite de l’érotisme, romantique. Je m’attache vraiment à ce qu’on ne sache pas si c’est produit par un homme ou une fille. » Même si, sur la pochette de son premier EP, dédié à Sainte Rita – « quand on prie Sainte Rita, ça rend les choses possibles, c’est bon à savoir hein ! » –, on ne sait si Irène Drésel chante, rit, éternue, « ou jouit » complète-t-elle.
Reste que son univers séduit, du prix Ricard Live qui la fit approcher des finales, à InFiné qui signa un morceau sur une compilation, du centre FGO-Barbara qui l’accompagne à nouveau cette année au sein du programme Séquences, aux festivals Fnac Live et Ouest Park, qui l’invitèrent sur scène l’année passée. Jusqu’à Pone qui vient de lui confier le remix d’un de ses morceaux, sur un maxi à sortir bientôt. Irène Drésel observe cet intérêt sur sa personne attentivement, dans le silence de sa longère – « j’ai besoin de silence pour composer, d’être dans quelque chose de vierge » – basculant parfois son siège en arrière pour regarder le jardin.