Qui est Corp., ce crew techno de militantes roumaines qui chante le féminisme avec des mélodies underground ?

Écrit par Gil Colinmaire
Photo de couverture : ©D.R
Le 07.02.2019, à 14h45
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Écrit par Gil Colinmaire
Photo de couverture : ©D.R
Du 15 février jusqu’au 15 mars prochain, le collectif de DJ’s queer et féministes roumaines Corp. partira en tournée dans toute la France, dans le cadre du Semaphore Festival, lancé à l’occasion de la saison France Roumanie 2019. Entretien avec la bande, une semaine avant leurs deux premières dates à Lyon et Paris.


Le collectif de DJ’s queer et féministe roumaines Corp. s’apprête à effectuer une tournée française jusqu’à la mi-mars, à l’occasion du Semaphore Festival, organisé par l’agence AMS Booking. Un projet réalisé avec des artistes de la scène hexagonale (VOIRON, Sentimental Rave, le festival Comme Nous Brûlons…) dans le cadre de l’année France Roumanie initiée par l’Institut Français et terminera sa route à Bucarest et Cluj (en Transylvanie) en mai et juin.

Créé il y a quelques années par les DJ’s Admina, Chlorys, Beatrice Sommer et Cosima von Bülove, le collectif avait pour première intention de donner plus de visibilité aux femmes musiciennes en Roumanie et assurer une “safe place” pour la communauté LGBT, en organisant soi-même ses soirées. Entretien avec les membres fondatrices de Corp., à une semaine du début de leur tournée.

Votre musique est décrite comme étant un mélange de sonorités traditionnelles et expérimentales, contemporaines. Pourquoi ce choix ?

Il y a beaucoup de styles que nous adorons et que nous jouons, ça dépend du contexte dans lequel nous sommes. En ce moment-même, nous jouons plus un mix de techno avec un peu de breakbeat et d’influences orientales. D’ailleurs, Cosima a aussi un autre projet de pop minimale orientale. On joue toutes dans des soirées en club mais nous suivons aussi notre propre direction. Certaines vont plutôt jouer de la musique expérimentale ou avant-gardiste… Sinon, nous avons beaucoup de choses en commun dans le collectif, mais aussi avec le reste de la scène à Bucarest. On essaie de créer des liens avec d’autres personnes qui font de la musique.

Comment se traduisent vos idées politiques et sociales dans votre musique ?

La musique est comme un outil politique pour nous. Elle parle du fait d’être différente et créative, et de faire quelque chose qui n’est pas encouragé par le système éducatif roumain. C’est aussi une musique qui essaie de lutter contre la gentrification. Nos fêtes sont adressées en particulier à la scène queer : nous voulons créer un lieu sûr pour la communauté LGBT. Cela se ressent dans l’atmosphère des soirées où nous jouons, on essaie d’être les plus inclusives possible. Alors qu’en général, dans les clubs mainstream, tu dois te conformer à une certaine apparence, une certaine norme. C’est ce que nous essayons de changer dans nos soirées.

Comment avez-vous réagi au référendum d’octobre dernier visant à réviser la définition de la famille dans la Constitution roumaine, en excluant notamment les couples homosexuels ?

C’était une réaction un peu désorganisée. Nous avons résisté et tenté de boycotter le référendum. Notre plateforme nous a permis d’en parler et nous avons essayé de convaincre les gens de ne pas aller voter. Nous avons réussi. Mais les 20% de votes finaux ne sont pas uniquement dus à ce boycott : cela vient aussi du fait que les gens ne croient pas trop à ce que raconte l’Église et ne vont pas voter. Beaucoup se disent qu’il y a des problèmes plus importants à régler. Le gouvernement est très corrompu. Pour la plupart des gens, c’est une nouvelle perte de temps et d’argent, qui ne résoudra pas leurs problèmes. En plus de ça, une grande partie des votants a probablement été forcée de voter.

Est-ce difficile de défendre vos idées en Roumanie ? Y a-t-il une censure ?

Depuis que les gens nous écoutent, c’est beaucoup plus simple de délivrer notre message. Mais le chemin pour en arriver là a été difficile. C’était plus compliqué il y a environ 8 ou 10 ans lorsqu’on organisait nos premières soirées queer. C’était un peu effrayant : tu t’adresses publiquement à une communauté marginalisée, mal perçue par le reste de la population. Nous craignions que des gens d’extrême droite viennent saccager nos soirées… À cette époque, ça pouvait arriver. Mais les menaces continueront toujours, quoi que tu fasses.

Vous projetez de créer un studio de développement artistique destiné aux femmes.

C’est en cours de réalisation. Nous voulons faire de ce studio un lieu sûr pour toutes les femmes qui veulent apprendre à jouer, faire de la musique, ou qui ont simplement besoin de parler… Nous n’avons pas encore trouvé de lieu mais nous réunissons progressivement des équipements et des fonds. Il faut investir beaucoup d’argent et c’est difficile de trouver un endroit sans voisins. C’est également très dur d’obtenir des subventions culturelles car les organismes ne financent que les projets, pas les loyers. On est en train de penser à d’autres solutions pour avoir un projet plus durable : trouver des endroits moins chers, se mettre en contact avec des gens qui pourraient nous monter un projet solide.

Comment vous situez-vous par rapport au phénomène de la minimale roumaine ?

En ce qui me concerne [Cosima], j’ai des liens familiaux avec cette scène (rires). Mon frère, dont le nom de scène est Herodot, est un des artistes les plus connus de la rominimale. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé pour que ça prenne cette ampleur. Le milieu de la minimale n’est pas vraiment ouvert aux autres sphères… Je me rappelle qu’une de nos missions quand nous avons décidé d’organiser les soirées queer était d’unifier nos deux scènes, mais c’était un peu utopique car les gens ne viennent pas quand ils ne reconnaissent pas l’environnement habituel du club, les DJ’s, la configuration, la musique, le public… L’intérêt qu’a l’Europe pour l’électronique roumaine n’est en revanche dirigé que vers la minimale. Nous avons eu quelques articles, par exemple d’Electronic Beats, qui comparaient nos scènes respectives. Ils disent que la scène électronique roumaine est vaste, mais quand tu lis l’article, ça ne parle que de minimale. Nous ne pensons pas que ça nous ait permis de gagner en visibilité. Après, c’est un phénomène qui attire beaucoup de monde donc c’est normal de voir beaucoup d’informations circuler à ce sujet. Et les gens ici qui s’intéressent à cette scène sont fiers que ce soit une création roumaine.

Qu’est-ce que ça vous fait de venir jouer en France ? Avez-vous des liens avec des artistes français ?

En fait, j’ai [Cosima] déjà joué en France avec mon autre projet qui est un duo. J’ai beaucoup aimé. C’est une super opportunité, tout cet échange… Nous sommes très excitées par ce projet. Sentimental Rave (présente avec Corp. au concert du 15 mars à Rennes, puis à Bucarest le 6 juin) nous a contactées sur Soundcloud mais nous ne connaissons pas personnellement les autres artistes qui vont venir jouer, comme celles du festival féministe Comme Nous Brûlons, mais cette tournée est l’occasion de faire leur rencontre et de pouvoir échanger avec elles.

Dates de la tournée du Semaphore festival en France :

15 Février – Sucre, Lyon
CORP x VOIRON x GIBOI & Jeanmi

16 Février – Petit Bain, Paris
CORP x COMME NOUS BRULONS

21 Février – REX, Paris
NADSAT invite DUAL SHAMAN et TRYM / VON BIKRAV / CRYSTALLMESS / VOIRON

22 février – Lieu Unique, Nantes
Crystallmess et Dual Shaman

1er mars – L’international, Paris
Dual Shaman

8 mars – Le Grand Cagibi, Tours
Karpov not Kasparov live / Collectif Rencontres Electro

14 Mars – Stéréolux, Nantes
Karpov not Kasparov / CORP

15 mars 1988 Live Club, Rennes
Sentimental Rave x CORP

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