C’est en 2017 que le pseudonyme 8Ruki apparaît pour la première fois sur Soundcloud, avec des morceaux frais et un flow importé des États-Unis. Près de 6 ans plus tard, le rookie n’en est plus vraiment un, et sort son premier album, INT8TION. Portrait.
C’est quelque part, en région parisienne. En réalité, ça pourrait être partout, dans n’importe quelle chambre d’ado, au crépuscule des années 2000. Ils sont plusieurs potes à poser des top lines sur des productions trouvées en ligne. Le bruit de la télé résonne depuis le salon. C’est bientôt la fin de la grande époque de MTV et des clips qui tournent en boucle – “A Milli” de Lil Wayne, en tête. Quand ce n’est pas la télé, c’est la radio – Planète Rap sur Skyrock, évidemment. Parfois, la chambre devient trop petite pour les ambitions de certains. Alors on cherche un studio, on découvre de nouveaux espaces. Et on persévère. Le reste est une histoire d’engrenage. C’est le mot choisi par 8Ruki pour présenter son entrée dans le rap. Une histoire d’engrenage, et de persévérance. De ses amis d’alors, il est le seul à avoir continué dans le rap. « Pourtant je n’étais pas le plus prometteur, observe-t-il. Mais j’étais constant ». Le temps a été son allié. Alors que le rappeur sort son premier album, INT8TION, retour sur les premiers pas d’un rookie, qui n’en est déjà plus un.
Jeune CEO
Au bout du fil, 8Ruki prend du temps pour répondre aux questions qui lui sont posées. Les secondes passent, il réfléchit, pèse le pour et le contre de chaque phrase. Plusieurs fois il explique : « Attends, je cherche le bon mot pour te répondre ». Ce perfectionnisme, il semble l’insuffler dans tout ce qu’il fait. Dès l’apparition de ses premiers morceaux sur Soundcloud, en 2017, il a l’habitude de tout faire par lui-même. Loin des labels, il fonde ses propres structures pour sortir ses morceaux et s’entourer d’une famille musicale qui partage son ADN. Le collectif 8SCUELA, qui réunissait sept rappeurs, dont 8Ruki, en est un bon exemple. À partir de 2019, c’est sur 33recordz qu’il continue de sortir ses nouveaux projets. Une manière de se protéger, et de garder le contrôle sur la direction et l’identité de ses créations : « C’est important de ne pas brader sa musique, d’avoir foi en son projet, même s’il n’y a pas de retour immédiat » explique le rappeur, avant d’ajouter : « L’industrie, c’est le diable si tu n’es pas préparé, car tu vends ton âme : ce que tu dis, ce que tu vis, toute ton expérience ».
Aujourd’hui, 8Ruki n’a que de la gratitude pour cette époque, à laquelle il doit toutes les connaissances qu’il a accumulées sur l’industrie musicale : « Ça a été très important dans la création de nos carrières, jeunes artistes issus de Soundcloud ». Ce qu’il retient de cette expérience, c’est surtout la certitude que rien n’est possible seul. Monter un collectif, fonder son propre label : toutes ses étapes ont été pour le rappeur un moyen de s’entourer – de bien s’entourer. « Nous sommes des animaux sociaux. Si on réussit quelque chose, c’est une réussite en équipe » affirme-t-il, sûr de lui.
L’industrie, c’est le diable si tu n’es pas préparé, car tu vends ton âme : ce que tu dis, ce que tu vis, toute ton expérience
8Ruki

Savoir s’entourer
Dès ses premiers morceaux postés sur Internet, 8Ruki cumule les collaborations, preuves de son envie de toucher à tout, et surtout de son envie de sortir de sa zone de confort. Constamment en quête de nouveauté, le rappeur s’échappe à Lyon, à Bordeaux, à Marseille et même au Canada – voyages qui lui permettent de rencontrer des figures comme Rowjay ou encore JMK$. On le retrouve parfois sur des titres improbables, à mille lieux de ce qu’il peut faire seul : c’est le cas de “FREEZE”, un morceau de Coucou Chloé, remixé par Brodinski. C’est ce dernier qui fait écouter 8Ruki à la productrice, pour qui le coup de cœur est instantané. Quand elle appelle le rookie, celui-ci ne fait pas la fine bouche : « J’ai tout de suite saisi l’opportunité ». Il faut dire que le rappeur doit beaucoup à Brodinski, qui fait pour lui presque office de grand frère. « J’aspire à devenir comme lui, affirme-t-il. Quand il passe me voir au studio, on parle pendant des heures ».
Cependant, au-delà de tous les rappeurs, au-delà de tous les producteurs, il n’y a qu’une personne à qui 8Ruki pense, lorsqu’on lui demande qui est la personne ayant le plus influencé sa carrière : « Ma mère. Elle m’a toujours soutenu sans sourciller, avant même que ça devienne sérieux ». Pourtant, il y avait de quoi avoir peur pour son fils. Du jour au lendemain, ce dernier plaque son CDI confortable sur les Champs-Elysées pour se consacrer à temps plein au rap. Un pari risqué, aujourd’hui relevé. En effet, 8Ruki sort cette semaine son premier album, intitulé INT8TION, œuvre aussi réfléchie qu’aboutie. Né de sa rencontre avec le producteur Binks Beatz (13 Block, Dinos, Laylow), cet opus synthétise toutes les envies de 8ruki : l’afro se mêle à plusieurs nouveaux genres nés sur Soundcloud ces dernières années, de la plugg à la rage. Si le rappeur est fier du projet dans son intégralité, il retient néanmoins le titre “Plus d’espoir”, dans lequel il a glissé un message, « si vous arrivez à le trouver », sourit-il.
Nous sommes des animaux sociaux. Si on réussit quelque chose, c’est une réussite en équipe
8Ruki
Des Lyonnais Jäde et BU$HI à l’étoile montante So La Lune, 8Ruki a su s’entourer des talents les plus prometteurs de la nouvelle scène rap et R’n’B. Ce n’est pas un hasard, pour celui qui valorise presque autant la rencontre humaine que musicale. Pour lui, une session studio ne commence jamais véritablement avant une longue discussion, qui peut durer des heures : « Je préfère connaître les gens avec qui je fais de la musique, se poser avant d’aller en cabine ». Pour chaque morceau, 8Ruki et Binks Beatz ont passé sept heures en studio, soit une nuit presque complète, le temps de s’appréhender. Pari réussi.