Athènes, la fête est culturelle. Toutes les jeunes générations se confondent pour danser dans les parcs, la rue ou les bars, même l’été sous 40°C. Les clubs les plus appréciés comme le Aston, le Six Dogs ou le Romantso ne désemplissent pas et se modèlent au gré des événements comme d’authentiques espaces pluridisciplinaires. La fête et particulièrement les musiques électroniques sont liées à l’histoire sociale du pays : à partir des années 50, des pionniers de la musique expérimentale, tels Christou et Xenakis, organisèrent des séminaires calqués sur le concept de rassemblements démocratiques, afin d’étudier de nouvelles structures musicales (Xenakis fonda en 1975 le Contemporary Music Research Center).
Dans les années 80, la papesse de la synthpop Lena Platonos prédit les crises sociales à venir dans son album A Physical Exercise Unresolved. Des tracks que les jeunes Grecs chantent encore en cœur lors de ses performances live actuelles. Et dans les années 90, la psytrance, importée par des DJ’s étrangers, réveilla les Athéniens qui se réunirent par milliers dans des raves (Alsos, Inofita, Plus Soda) pour littéralement consommer la fête.
Lemos & Ilan
Mais qu’est devenu l’underground athénien dans cette atmosphère post-crise ? L’art étant aujourd’hui le seul remède viable à cette sinistrose généralisée, de jeunes labels se sont épanouis (Revolt!, Echovolt, Equivalence, Into The Light…), récupérant des espaces à bas prix pour y installer leurs studios.
Des producteurs comme Morah partent à l’étranger pour s’ériger en ambassadeur de cette scène insoupçonnée. D’autres comme Anestie Gomez, Sawf et Miltiades se rangent en ordre de bataille pour redorer le blason d’une scène qui était à la pointe de l’avant-garde musicale. En dépit des difficultés économiques, des collectifs comme Habeat s’efforcent d’organiser des soirées en toute légalité, où la liberté d’être est de mise, suivis par un public de plus en plus avide de qualité. C’est un fait, l’âme underground d’Athènes est immortelle ! La preuve par cinq.
Parmi les résidents du temple de la scène underground athénienne, le SIX Dogs, se trouve Anestie Gomez, qui se distingue autant par ses DJ sets – qu’il déroule jusque dans les meilleures soirées new-yorkaises (Resolute) – que par la précision de ses productions. Bien qu’il soit un excellent producteur d’une tech house aussi délicate qu’agitée – en témoigne son dernier EP Self Report sorti en 2015 sur le label SIX Dogs – Anestie préfère jouer, enchaînant les dates et s’amusant en B2B avec des artistes émérites tels que Kreon, Valentino Kanzyani ou encore Lemos.
Cet enfant terrible, qui sillonnait les soirées de rock psychédélique avant de découvrir la scène club, s’est acheté une paire de platines au début des années 2000 pour parfaire son aptitude d’autodidacte et commencer à collecter des vinyles. En quelques années, il s’est retrouvé parachuté dans les booth des clubs athéniens, puis du monde entier (Londres, Moscou, Tokyo, New York), et a conquis les oreilles d’artistes tels que Cabanne, Soul Capsule, Seuil et Margaret Dygas.
Après quelques années passées dans la folle effervescence artistique de San Francisco, Anestie revient dans sa ville natale et élargit ses compétences en dénichant des artistes pour le compte de jeunes labels grecs comme Revolt ! et Equivalence, tout en continuant entre deux DJ sets la production de tracks de plus en plus cérébrales pour Nervmusic, Antrakt et principalement London Project.
Morah
Avéré comme l’un des meilleurs artistes grecs de sa génération, Morah s’est d’abord fait connaître pour avoir participé à l’organisation des fêtes Phormix, dans sa capitale, avec son crew Frequency Control. C’est lors de l’une de ses soirées qu’il rencontre Helena Hauff et signe peu de temps après sur son label Return to Disorder, son premier album, Route (2015). Ce label lui sied à merveille puisque Morah enveloppe ses productions d’une techno sombre aux tonalités 80’s, chère à la productrice allemande.
Aussi puissant que dansant, ce premier album ouvre à Morah les portes d’autres labels comme Berceuse Heroique. En effet, exilé en Angleterre d’où il devient un excellent ambassadeur de l’underground grec, Morah a sorti au printemps dernier une sorte d’hymne grubby et engagée du doux nom d’Anarchy, faisant référence à la situation sociale de sa ville. Un crash intense qui perturbe les consciences et révulse les corps. Après avoir mis tous nos sens en révolution, Morah se tourne actuellement vers la drum’n’bass sous le nom de Low:r et nous réserve une série d’EPs pour la rentrée. À bon entendeur…
Artiste mystérieux, Sawf distille depuis quelques années ses productions obscures et brutes sur le label Perc Trax, et à vrai dire, on ne connaît pas grand-chose de cet artiste. Seul sa musique parle pour lui et ça n’est pas peu dire puisqu’il habitue ses auditeurs à des voix sombres sorties des tréfonds de ses productions grâce à l’extrême distorsion qu’il opère, ou simplement en ajoutant des chants démoniaques, comme sur son EP Sonic, sorti en 2015 sur Modal Analysis.
Depuis son excellent premier album Flaws (2011), largement acclamé par ses pairs malgré une mauvaise distribution dans les bacs, Sawf reste fidèle à l’agencement de ces atmosphères sonores inquiétantes où les beats syncopés se télescopent aux mélodies déstructurées pour révéler une techno-indus parfaitement conçue. Toujours avec discrétion, Sawf ne cesse d’imaginer des sons et compte une vingtaine d’EPs à son actif dont le dernier en date, sorti sur Code Is Law, Nihil Est, est une tempête technoïde aux rythmiques crépusculaires. Un track d’outre-tombe qui bouscule les dancefloors !
La discrétion est de mise pour cet artiste qui joue souvent en live dans l’ombre des clubs athéniens, réunissant un public toujours croissant. DJ pointilleux et producteur pudique, Miltiades aime sonoriser l’imperfection du chaos, offrant une musique qui oscille entre le sound design, la deep house et la noise. Après des débuts prometteurs en 2013 sur le label grec Nous avec son EP Epk.x, il réitère en 2014 avec la sortie de Stmete sur le jeune label indépendant d’électro atmosphérique Echovolt.
Très proche du crew Habeat qui réunit la crème de la scène underground athénienne, Miltiades évolue mystérieux à coup de gigs (Clôture du FASMA festival 2016) et de collaborations prédestinées, disséminant avec parcimonie ses perles noisy réalisées avec le Japonais Outermost (F-outworld, Prabsenc ou encore Dis.u.crt), puis celles plus minimales confectionnées avec Lykourgos Gousios et réunies en un mini-album du nom de leur récent projet Templeyard Studios. Affaire à suivre !
En téléchargement gratuit.
Ça n’est pas un jeune premier de la production musicale mais il reste l’un des maitres de la sphère électro athénienne. Il était impossible de clôturer cet article sans le citer tant sa production pointilleuse est une source d’inspiration pour toute la jeune génération d’artistes grecs. Imprégné de musique dès son plus jeune âge, George Lemos prodigue depuis son premier album (2006) une techno-house organique imprégnée de jazz qui le distingue de l’ensemble des artistes de l’arène underground athénienne. Très rapidement, il fusionne son talent à celui de Kreon sur un projet éponyme qui mélange rythmiques synthétiques et instruments acoustiques comme en témoigne leur divin EP Lookooshere.
En plus d’une série d’EP’s expérimentaux et dubby (Kaloo, M’animals, Faust) réalisés en solo sur divers labels (Balkon, Cecille Numbers, Bass Culture…), Lemos enchaîne les collaborations bien senties comme avec Masomenos, Tonny Lasar ou encore le saxophoniste Ilan Manouach avec qui il accouche, en 2012, du lumineux et minimal projet Glacial dont Ricardo Villalobos dira “C’est l’album de mes rêves !”.
Les gigs s’accumulent, les critiques sont dithyrambiques et Lemos assoit son statut d’artiste génial à l’international. Depuis 2014, il se concentre sur son jeune label Equivalence fondé avec son acolyte Kreon et revient à des sons plus folkloriques tout en gardant sa touche abstractive si caractéristique.